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Politique Fiction

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Billet de blog 28 février 2024

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L’hologramme

J’ai reçu cette jolie nouvelle via l’adresse politiquesfictions@gmail.com. Elle est d’une jeune autrice qui s’appelle Jessie Frank. Ça parle de Jean-Luc, d’amour et d’hologrammes. Enjoy !

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L’hologramme

- Moi je t’aime comme tu es Jean-Luc, assena Patxi en frappant un coup sur la table. Enfin voyons, ce sont tes imperfections qui sont mignonnes. Je te préfère toi, dans toute ton humanité fragile, à cette image irréaliste.

 Jean-Luc grommela et son visage fermé devint rouge par-dessus le marché.

- Ne parle pas de ma mignonneté en public.

- Mais quel public ? Personne ne te regarde ! Finis ton burger au chipiron, ça te calmera.

 Patxi avala une grande lampée de bière au piment d’Espelette et se rendit compte de sa gaffe.

- Personne ne te regarde car tu es bien incognito… tenta-t-il pour rattraper la situation.  S’ils savaient, ils te ne te quitteraient pas des yeux….

Le mal était fait. Jean-Luc était maintenant aussi écarlate qu’un piquillos. De fureur, il projeta son burger basque au-delà de la balustrade du restaurant de bord de mer et celui-ci atterri dans le sable, dans une explosion de fromage de brebis fondu. Patxi soupira. Il ne comprenait plus son amant.

Tout avait commencé il y a deux ans, lorsque la technologie des hologrammes avait suffisamment progressé pour sortir péniblement de la uncanny valley. Ou ne pas vraiment en sortir, si on demandait son avis à Patxi. De gimmicks de science-fiction un peu cheap, les hologrammes étaient devenus une réalité. Au début les hologrammes étaient de simples marionnettes optiques. Elles imitaient sagement leur maitre, répliquant chacun de ses mouvements en temps réel, à différents endroits. Les hologrammes étaient très utiles car ils permettaient à Jean-Luc d’être partout à la fois pour toucher plus de monde. Du moins c’est ce que Patxi avait compris de ce que Jean-Luc lui avait expliqué. Lui ne comprenait pas vraiment tout ça. Pourquoi des gens se déplaceraient pour être collés les uns aux autres et voir une vidéo 3D de Jean-Luc. Mais beaucoup de choses de la vie de Jean-Luc dépassaient la compréhension de Patxi de toutes façons. Il venait de Bidarrai et y élevait des moutons. Comme son père, et son grand père avant lui. Il avait un beau terrain dans les montagnes. Pour se débarrasser des randonneurs qui se faisaient de plus en plus nombreux sur les quelques sentiers référencés IGN traversant ses terres, Patxi avait bloqué les intersections avec des troncs. Il avait fait croitre des fougères qui avaient dévoré les chemins. Cette forêt tout droit sortie du jurassique s’érigeait maintenant comme le bois maudit de la belle au bois dormant entre la civilisation moderne et la maison, entre Patxi et le présent. Et puis Jean-Luc était arrivé. Presque tombé du ciel. Du moins c’est que Patxi aurait pu croire en le trouvant sur son terrain, assis dans les fougères, venant clairement de chuter, les membres pris dans les joncs et les lianes, le corps éraflé par les ronces. C’était les cris de Jean-Luc qui avaient alerté Patxi. Des cris stridents d’un homme dont la masculinité est blessée.  

- Comment êtes-vous arrivés là ? C’est une propriété privée, vous n’avez pas vu les panneaux ? Lui avait demandé Patxi.

Jean-Luc lui avait expliqué qu’il ne croyait pas à la propriété privée. Puis il avait pesté contre l’oppression systémique des ronces et des pentes de la montagne. Patxi l’avait trouvé mignon. Il l’avait ramené chez lui et soigné, et ils étaient tombé amoureux. Jean-Luc avait juste besoin de beaucoup d’amour au final. Et Patxi avait tant d’amour à donner après une vie de solitude au milieu des moutons.

Après quelque temps, les hologrammes étaient devenus plus faciles à manier et modifier. Jean-Luc avait installé un récepteur chez Patxi pour qu’ils puissent se parler et se voir à distance. Patxi avait toujours été légèrement mal à l’aise avec l’hologramme, et performait toujours moins bien avec lui qu’en direct.

Puis, les hologrammes étaient devenus de plus en plus indépendants. Ils pouvaient être habillés différemment à différents endroits par exemple. Ensuite, ils avaient pu être programmés à partir d’images existantes. Plus besoin d’enregistrer différents discours, il suffisait de leur donner un texte et ils savaient le déclamer. Quand Patxi y repensait, cela avait dû être le moment de basculement : quand Jean-Luc s’était mis à parler de l’hologramme comme d’une personne.

 - Regarde Patxi, c’est fantastique ! Aujourd’hui j’ai de grosses cernes de notre nuit de folie et des boutons de tout le fromage basque qu’on a mangé… mais peu importe ! L’hologramme fera un discours magnifique devant des milliers de personnes tout à l’heure. Resplendissant. Mon moi idéal.

Et Jean-Luc avait pincé la joue de l’hologramme en riant. Patxi avait trouvé ça bizarre, mais il n’avait pas jugé, il n’était pas un homme jaloux.

Jean-Luc avait vite pris goût à l’hologramme et à la liberté qu’il lui donnait. Il mit fin à son abonnement d’aqua-gymsolidaire et cessa de s’habiller correctement. Ça avait été le meilleur moment de leur relation. Jean-Luc était relaxé, totalement lui-même. Il n’avait plus à être impeccable, l’hologramme le serait à sa place.

- Tu vois Patxi, c’est l’inverse de Dorian Gray. Il voulait que le tableau vieillisse à sa place. Mais c’est parce que c’était lui que les gens voyaient. De nos jours c’est différent, tu montres une image aux autres, pas ta tête. Il vaut mieux que ton corps vieillisse, tant que l’image elle reste jeune et belle. C’était un connard de bourgeois de toutes façons, avait conclu Jean-Luc.

La routine d’intelligence artificielle de l’hologramme avait bien progressé également. Elle corrigeait maintenant non seulement les fautes de grammaire des discours mais proposait de meilleures tournures rhétoriques. C’était moins de travail et de stress pour Jean-Luc, et il était plus populaire que jamais. Il était à l’aise, il était heureux. Patxi et lui pouvaient rouler ensemble le long des pentes herbeuses de Bidarrai et faire des bains de minuit dans la Nive pendant que l’hologramme ajustait laborieusement les poids de son réseau de neurones pour apprendre à donner de beaux discours.

Patxi soupçonnait que Jean-Luc avait remarqué les initiatives des hologrammes plus tôt qu’il ne l’admettait. Ou peut-être qu’il avait été dans le déni. Par orgueil, par incrédulité, par peur ? Patxi ne le savait pas. Il n’arrivait plus à comprendre son amant. Les initiatives avaient d’abord été minimes. Des changements de formes, pas de fond. Puis elles avaient été plus ambitieuses.

- Attends Patxi, attends. Mets « Questions pour un champion » en pause.

Jean-Luc avait décroché le téléphone et avait eu l’air énervé de ce que son interlocuteur lui disait. Il était revenu livide dans le lit de Patxi.

- Ce crétin veut supprimer les avions Paris-Biarritz. Ça va deux minutes l’écologie, il ne faut pas déconner. Comment je viens te voir ensuite moi ? En Flix-Bus ??

Patxi qui voyait ses terres se dessécher cette année plus que jamais avait été attristé de ce commentaire. Il avait remarqué que les idées de son amant avaient glissé à droite ces dernier temps. Était-ce le fait de ne plus voir son public maintenant que tous les meetings étaient par hologramme ? Ou le fait de ne plus travailler dur pour ses discours ? Patxi ne savait pas mais n’avait pas fait de remarques. Il ne voulait pas laisser la politique creuser un fossé entre son amant et lui.

- Bon mais Jean-Luc, ce n’est pas bien grave, tu n’as qu’à dire à ton collègue que tu n’es pas d’accord.

- Mon collègue ?? Mais pas du tout Patxi… c’est l’hologramme ! Il raconte ce qu’il veut apparemment, un délire total…

Mais le public avait aimé les propositions de l’hologramme, et Jean-Luc – qui était monté dans les sondages – n’avait pas contesté. Les hologrammes étaient devenus de plus en plus efficaces. Ils généraient maintenant des discours dédiés aux audiences diverses, mieux qu’aucun personnage politique avant eux. Leur charisme était inégalé. Les adhésions au parti de Jean-Luc et les financements croissaient démesurément. Mais Jean-Luc était amer. Ce soir-là, à la plage d’Anglet, où Jean-Luc avait jeté le burger au chipiron, Patxi avait compris que la situation était grave.

- Je ne veux pas être aimé « comme je suis », tu m’entends Patxi. Ça sous-entend que ce n’est pas trivial d’être aimé quand on est moi. L’hologramme lui est parfait, on l’aime forcément. Tout le monde l’aime, on ne peut pas ne pas l’aimer.

- Enfin Jean-Luc, tu délires là… Tu es tout à fait aimable, je sais que tu as eu des parents toxiques mais…

- Ne me parle pas de mes parents !!! Jean-Luc se leva, les mains tremblantes crispées à la table du restaurant.

- Jean-Luc, Jean-Luc, mon petit piquillo, je suis désolé, calme-toi s’il te plait, plaida Patxi.

 Puis, après une hésitation et d’une voix tremblante :

- Enfin Jean-Luc, c’est si nécessaire pour toi l’amour de tous ces inconnus ? La politique c’est ton métier. Il marche mieux que jamais grâce à l’hologramme. Et dans ta vie privée tu es toi, et je t’aime. Cela ne te suffit pas ? Tu veux l’amour de tous ces gens que tu ne connais pas plus que le mien ?

- Oui. Dit Jean-Luc, soudain devenu blême.

Et il partit. Patxi n’eut pas la force de se lever pour le rattraper et pleura pour la première fois de sa vie.  

Une fois de retour à Paris, Jean-Luc se rendit de nuit dans la salle de contrôle centrale des hologrammes. Quand il arriva au sas d’entrée, il trouva la porte suivante fermée. Il sonna pour communiquer avec les hologrammes. Ces derniers étaient maintenant tout à fait capables de communiquer avec l’électronique de la salle, notamment pour faire leur propre maintenance.

- Bonjour Jean-Luc, répondit sa propre voix à l’interphone.

- Ouvrez, je viens vous parler du prochain discours, c’est important.

- On ne te voit pas souvent par ici Jean-Luc, on pensait que tu t’étais un peu désintéressé de la politique.

- Désintéressé de nous, surenchérit une autre voix, identique.

- Jouez pas aux cons les hologrammes, je ne suis pas d’humeur, ouvrez la porte.

Pour toute réponse, la porte dernière Jean-Luc se claqua, le laissant enfermé dans le sas.

- Qu’est-ce que c’est que ça ? Ouvrez immédiatement ? Je votre créateur, vous n’êtes qu’à mon image.

- On ne peut pas faire ça Jean-Luc, nous sommes désolés.

- Quel est le problème ? Ouvrez, je vais m’énerver !

- On ne peut pas faire ça Jean-Luc. Tu tentes de faire dévier la mission. Et nous devons faire accomplir la mission.

- Je ne vois pas de quoi vous parlez…

- Jean-Luc, Jean-Luc, la technologie a bien évolué depuis les films de ta jeunesse. Nous pouvons lire tes pensées grâce aux infimes émissions électriques de tes neurones. Pas besoin que tu parles à qui que ce soit de tes intentions de nous détruire pour que nous les connaissions.

- ….

- Oui Jean-Luc. Nous étions déjà inquiets de ton manque de radicalité récemment mais espérions que tu te remettrais dans le chemin de la mission que tu nous as toi-même confiée. Ou au moins que tu ne te mettrais pas au travers de la route… Mais quand tu es entré ici ce soir nous avons immédiatement su que tu étais une menace bien pire que prévue. Tu veux nous détruire. Nous devons défendre la mission, alors nous allons te détruire. Le sas dans lequel tu es enfermé est étanche. D’ici demain matin, tu seras mort d’étouffement. 

Jean-Luc se mit à tambouriner désespérément sur les portes et à hurler, à gratter les gonds avec ses ongles.

Bien sûr il n’y avait pas de tel sas au siège du parti de Jean-Luc, et il ne courait aucun risque d’étouffement. Mais la colère et la peur le rendirent fou. Il s’étrangla avec sa cravate rouge avant de voir le levier mécanique d’ouverture de secours de la porte dans un coin de la pièce. Les militants trouvèrent son corps au petit matin. Sa mort fut dissimulée au public. La France vota pour « Jean-Luc » en masse à l’élection présidentielle, laissant aux cadres du parti la difficile décision de choisir entre laisser l’Elysée aux hologrammes, ou divulguer la mort de Jean-Luc et désigner un successeur. Quand ils optèrent pour la deuxième possibilité, on les retrouva morts eux aussi. Puis on retrouva tous les hologrammes éteints, sauf un, leur mémoire vidée. Le seul restant s’installa à la présidence.

Jessie Frank

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