Des "vraimentPD" qui fleurissent un peu partout, vous trouvez ça drôle? Ça se passe pourtant, sur Twitter, la plateforme de microblogging aux 140 caractères par message.
Twitter fonctionne avec des mot-clés. Chaque auteur peut indiquer le thème de son message par un mot ou une expression précédée d'un dièse (un hashtag), ce qui permet aux autres utilisateurs de suivre une conversation sur le sujet qui l'intéresse. Des hashtags, il y en a de très classiques, genre #politique, #Obama, #iPad...
D'autres sont plus éphèmères, liés à des emballements ou des modes. Genre #howareyougaga (gros buzz autour de Lady G. oblige). Ou #vraimentPD. Depuis deux mois, ce hashtag se taille son petit succès sur le Twitter francophone.
Et c'est un festival! "#vraimentPD" y est (au choix...) synonyme de "naze", "ringard" etc. Florilège non exhaustif (pseudonymes et noms ont été floutés) :


On peut également citer ce bref échange. Le 17 mai, un journaliste (@vincentglad) passe à la télé. Sur Twitter, d'autres utilisateurs le chambrent :

Parfois, c'est beaucoup plus cru :

A l'origine de l'emballement, une vidéo postée le 13 mars sur le site 10minutesaperdre, inspirée d'une vieille pub des années 80 pour le jus de raisin (l'original ici, sur le site de l'INA). «L'idée était de reprendre des faux clichés homophobes et d'en faire une parodie», explique un des deux animateurs du site, Baptiste Lorber. On y voit une succession de saynètes ponctuées d'incrustations «ça, c'est vraiment PD» en lettres roses. Avec "PD" écrit en majuscules, comme l'insulte des cours de récré. «C'était exactement ça qu'on voulait, le fameux "PD" taggé sur les tables de cours. C'était du sixième degré. Enormément d'homos ont adoré la chanson et sont venus nous féliciter.»
Sur Twitter, la vidéo, visionnée 154.000 fois, a beaucoup tourné. De toute évidence, certains internautes n'ont pas saisi le «sixième degré» : «On a commencé à modérer les commentaires sur notre site, parce que certains utilisaient l'expression pour un rien, explique Baptiste Lorber. Evidemment que des gens ne comprennent pas le 2,3,4,5 ou 6eme degré. On le déplore, ça nous fatigue même.»
«L'expression "belle farandole d'enculés", ça n'a rien d'homophobe», affirme par exemple l'auteur de cette sentence mémorable, contacté par mail...
Bien sûr, ces messages balancés sur Twitter ne ressemblent pas aux appels de haine sur Facebook ou aux commentaires homophobes sur certains sites d'information, tous deux épinglés par SOS-Homophobies dans son rapport annuel 2010. D'ailleurs certains de leurs auteurs hurleraient certainement de se voir taxés d'homophobes. De toute évidence, beaucoup de ces mini-messages relèvent de la private joke, voire de la plaisanterie balourde entre mâles (et quelques filles). @zefede l'a d'ailleurs bien compris :

Bartholomé Girard, président de SOS-Homophobies, met pourtant en garde contre cette «forme de banalisation de l'insulte». «Certains disent "pédé" sans forcément penser à la dimension homophobe. Le propos est, dans leur esprit, l'équivalent de "con", "naze" etc. Or, le terme "pédé" n'est pas innocent. Des personnes se font insulter, harceler, frapper, tabasser voire tuer en entendant le terme "pédé". Imaginez le scandale si certains disaient "c'est vraiment négro" ou "c'est vraiment juif". On ne discuterait pas de savoir si c'est du racisme ou de l'antisémitisme.»
Sans compter, dit-il, les messages qui véhiculent «tous les clichés éculés concernant les gays : faible, effeminé, peureux».
«L'homophobie consiste à disqualifier l'homosexualité, explique Louis-Georges Tin, fondateur du comité IDAHO et organisateur de la Journée mondiale de lutte contre l'homophobie et la transphobie. Il est vrai que le mot "pédé" ne désigne pas forcément l'homosexualité elle-même, mais si le terme peut être utilisé dans n'importe quel contexte négatif, c'est que l'homosexualité est devenu le signifiant négatif universel par excellence. C'est donc le signe d'une homophobie sociale généralisée.»
Pour lui, l'argument du second degré ne tient pas. «Il y a une forme de schizophrénie sociale à continuer de penser qu'on n'est pas homophobe alors que les mots qu'on utilise le sont.»
Pas étonnant du reste que ce genre de propos apparaisse sur Twitter : le statut des paroles y est très flou, à la lisière du public et du privé. Certains y chroniquent leurs moindres faits et gestes, tout ce qui leur passe par la tête. Résultat, des pensées ou des "boutades" privées se retrouvent publiées. Même celle que d'habitude, on évite en public.
Cet épisode rappelle une polémique récente aux Etats-Unis. Dans les cours d'école, "That is so gay" était devenu l'expression favorite des ados pour désigner quelque chose de ringard, nul, stupide...
A tel point que le Gay, Lesbian and Straight Education Network, réseau de lutte contre l'homophobie à l'école a concocté une série de pubs où des actrices célèbres (Hillary Duff, Wanda Sykes) expliquent à des jeunes qu'ils feraient mieux de penser à la portée de leurs paroles...
Qu'on aime ou pas ces vidéos au ton plutôt moralisateur, elles ont tout de même permis une prise de conscience. Le site de la campagne, thinkb4youspeak.com, continue d'avertir sur la portée parfois ravageuse des mots. Chaque jour, il recense le nombre de "fag" (pédés), "dyke" ("gouine") ou ("so gay") sur Twitter. Mardi en début de soirée, il comptabilisait plus de 1500 "fags", 535 "dyke" et 846 "so gay".
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