Sachant qu’il est nombre de blogueurs qui hésitent à s’aventurer dans les méandres du rétro-journal, je ne résiste pas au plaisir de reprendre ici quelques extraits de la dernière chronique
En apparence, il est question de choses très techniques : la pension de réversion. Mais, à y regarder de plus près, le débat révèle une tendance – subliminale, certes, mais réelle – à faire de la retraite un viatique de survie pour le vieux travailleur.
Premier temps : retour-arrière ( Retraites/rétro_journal/j_6/16 juin/ où il est question de savoir ce qu’il y a derrière le mot « répartition » ) .
L’article 2 – dans la version soumise à l’Assemblée – était ainsi rédigé : « Tout retraité a droit à une allocation en rapport avec les revenus qu'il a tirés de son activité. ». Plusieurs députés – dont Martine BILLARD – se sont inquiétés de ce glissement sémantique.
« L'article parle d'allocation , et non plus de pension . Or, nos régimes de retraite par répartition versent effectivement des pensions de retraite, non pas une allocation.
La seule allocation que l'on connaisse dans ce domaine est l'allocation aux vieux travailleurs salariés, appelée aussi minimum vieillesse. » disait François LIBERI [PC], avant d’ajouter :
« Cela signifie-t-il que les auteurs du projet de loi ont à l'esprit une forme de revenu de remplacement plus proche de la charité publique que d'une réelle prise en compte des besoins des retraités et pensionnés ? »
Deuxième temps : revenons à l’article 22 qui propose une modification substantielle de la pension [ voir détails dans RETRAITES/rétro-journal/ j_13_25 juin_quand le social vs’invite au débat / au fond/ Vue d’ensemble]
Questions préalables :
qu’est-ce que la « pension de réversion » ?
quelle est la raison d’être de ce dispositif ?
La réponse des députés à ces questions s’organise autour de deux axes :
1) un axe « solidarité » ou « compensation » :
« Souvenons-nous que notre pays compte plus de quatre millions de personnes veuves, qui vivent dans la détresse morale et ont besoin d'une sécurité financière. » [D.JACQUAT/UMP]
« [La pension de réversion] est la réponse que la société apporte à un accident de la vie qui aboutit à des situations dramatiques et qui concerne aujourd'hui quatre millions de personnes. » [A.VIDALIES/PS]
« Le veuvage constitue un accident de la vie dramatique, difficile psychologiquement, mais souvent aussi financièrement, notamment pour les mères de famille .
En effet, celles-ci doivent continuer à élever leurs enfants, et les charges fixes de la famille demeurent inchangées, alors que les ressources financières baissent le plus souvent de manière très importante. » [Jean-Luc Préel/UDF]
Une variante : la pension de réversion comme « mesure de redistribution, de compensation »
« Si les femmes aux carrières incomplètes ou inexistantes ne perçoivent que peu ou pas de retraite du vivant de leur époux, elles bénéficient en revanche d'une pension de réversion par la suite,
ce qui constitue un mécanisme de redistribution d'autant plus important que leur espérance de vie est plus élevée que celle des hommes, et que, en moyenne, elles ont cotisé moins longtemps que leur conjoint.
« Les femmes sont également les principales pourvoyeuses de l'aide familiale aux personnes âgées de leur entourage : parents, grands-parents, conjoint.
La redistributivité des retraites en faveur des femmes peut donc apparaître comme la légitime contrepartie des services non-marchands rendus au sein de la famille. » [A.CHASSAIGNE/PC]
2) un axe « transmission d’un droit acquis »
« La retraite est un droit acquis, un salaire différé » sur lequel « le conjoint survivant a un droit à exercer. » [J.DESALLANGRE/PC]
« Droit de la veuve - ou du veuf - au titre des cotisations payées par le défunt » , la pension de réversion est « calculée en fonction des ressources au jour du décès » ; elle est un droit acquis . » [A.VIDALIES] .
C’est « un droit ouvert par cotisation » [G.COLOMBIER/ UMP].
Plus précisément : une « fraction d'un droit acquis par cotisations » [Jean-Luc Préel] ou « fraction de la pension de retraite que le conjoint décédé aurait dû percevoir » [M.F.CLERGEAU/PS]
Que se passe-t-il avec les modifications proposées ?
« Vous nous présentez l'article 22 comme un moyen de simplifier et d'améliorer l'ensemble du dispositif concernant les pensions de réversion. Pour vous, la simplification consiste à supprimer l'assurance veuvage, tout en maintenant la cotisation qui la finance.
Pour compenser cette disparition, vous permettez au veufs et aux veuves de faire valoir leurs droits à une pension de réversion, quel que soit leur âge et sous conditions de ressources. De plus, celle-ci sera révisable chaque année. »
Marie-France CLERGEAU résume ainsi les modifications proposées. Et de conclure :
« Vous créez une allocation différentielle aléatoire, ce qui ne permet pas d'organiser sa vie et est injuste ».
Donc, pour elle, on est passé d’une « pension » « garantie » et « universelle » (en ce sens qu’elle s’applique à toutes les personnes qui sont dans une situation donnée – ici, le veuvage) , à une « allocation » « différentielle » et « aléatoire », « susceptible de fluctuer tous les ans en plus ou en moins, voire d'être supprimée ».
Jean-Luc Préel [UDF]fait la même analyse qu’elle :
« [ La pension de réversion] devient une allocation différentielle, révisable tous les ans en fonction des ressources annuelles du conjoint survivant alors qu'actuellement elle est attribuée une fois pour toutes, par liquidation au moment du décès du conjoint. Ne craignez-vous pas que cette remise en question annuelle ait des effets pervers ? »
Des « effets pervers ? »
« C'est prendre le risque de le voir ne s'appliquer qu'à une proportion de la population tout à fait réduite. » [ M.Vaxès/PC]
« Le conjoint survivant a un droit à exercer. Il ne doit pas entrer dans le champ d'une assistance sociale qu'il ne sollicite pas. » [J.DESALLANGRE/PC]
« La Fédération des associations de conjoints survivants avait souhaité, et je peux le comprendre, que la réversion ne devienne pas une forme d'aide sociale et qu'elle reste un droit ouvert par cotisation.
On ne peut que regretter l'abandon de cette formule qui rompt avec le principe de solidarité nationale. » [G.COLOMBIER/UMP]
… « Changement d'orientation » ? …
… « Changement d'inspiration » ? …
… « Changement se système » ? …
« Les pays qui ont supprimé des prestations spécifiques de survivants en les fusionnant à une prestation de type allocation ont tous changé implicitement la nature du système. Ce modèle, que vous voulez nous imposer aujourd'hui, va concerner en premier lieu les femmes seules et âgées. Avec votre réforme, la notion de besoin se substitue à celle de risque et à l'objectif de maintien du statut et du revenu. Nous allons donc vers des prestations minimales, versées sous conditions de ressources . [M.Vaxès]
La « pension » … une « prestation minimale » (et, qui plus est, « versée sous conditions de ressources » ) … une « sorte d'aide sociale » … « la pension se réduisant à une espèce de minimum vieillesse » [A.CHASSAIGNE] … « une forme de revenu de remplacement » (« plus proche de la charité publique que d'une réelle prise en compte des besoins des retraités et pensionnés » /F.LIBERI) ? … « une sorte de filet de sécurité empêchant de tomber et de sombrer dans la misère » … un « viatique minimal » [le même] ? ...
Certes, dans l’article 22, il n’est pas question d’« allocation », mais bien de « pension » de réversion. Certes, dans l’article 2, François FILLON a préféré, en fin de compte, revenir au terme « pension ». Certes, dans son discours de présentation de la réforme [ j01_10-juin-2003 ] , il affirme haut et que « la question des retraites », c’est « celle de la justice » (sous-entendu, pas celle de la « charité »).
Mais, quand j’entends ce dernier dire que la pension de réversion « se justifie avant tout pour assurer aux veuves n'ayant jamais travaillé un montant minimal de retraite » , j’ai un doute. Et je me demande si la première rédaction de l’article 2 (« Tout retraité a droit à une allocation en rapport avec les revenus qu'il a tirés de son activité. ») n’est pas un vrai « lapsus » - c’est-à-dire que cette formulation malheureuse marque l’accès impromptu au niveau du langage et de la représentation de quelque chose d’inavoué … parce qu’inavouable.
« Le Diable est dans le détail ! » , disait Elizabeth GUIGOU … Je dirais, quant à moi : « Le Diable est dans les mots » …
Comme le dit le poète (René CHAR), « les mots savent » - disent, révèlent – « des choses que nous ne savons pas d’eux » . Et si la droite – au fond d’elle-même – n’avait pas abandonné ces images, ces idées, ces représentations d’une masse de travailleurs qu’il faut bien nourrir, payer, aider … pour qu’elle continue à travailler le plus longtemps possible et qu’elle ne se révolte pas ? (« Martine B. » : « On est sorti de l'esclavage ! Dorénavant, pour les faire travailler, il faut payer les salariés ! »/ j07_17-juin / « et Martine B. ?)
Et si, pour elle, la retraite – loin d’être un droit, une garantie - n’était qu’une « charge » , un de ces prélèvements coûteux auxquels on ne pouvait pas échapper mais qu’il fallait contenir dans des limites raisonnables pour les tenants du pouvoir et acceptables par le commun des travailleurs ? Une simple allocation pour vieux travailleurs ?
Vous me direz : François FILLON ne cesse de vanter les mérites de la répartition. Il va même jusqu’à lancer cette phrase : « La répartition, c’est la République . » [ Retraites/rétro_journal/j_6/16 juin/ où il est question de savoir ce qu’il y a derrière le mot « répartition » ] …
… mais c’est pour mieux te tondre mon enfant … et te vendre les fonds de pension ?
Peut-être ; mais pas seulement. Et si c’était – tout simplement – « parce que je suis le lion » … et que toi, le travailleur, tu n’est qu’un vermisseau - utile certes, mais à condition de ne pas être trop envahissant !