Billet de blog 8 février 2011

Pierre RATERRON (avatar)

Pierre RATERRON

Artite plasticien multi-medias, Novelliste ,Chroniqueur

Abonné·e de Mediapart

Pas n'importe qui après Moubarak !

Quelle opposition face à l'armée et à Moubarak?... Le peuple, bien sûr et en particulier la «République de la place Tahrirh», au Caire, dont les militants sont courageux et déterminés. En entamant leur troisième semaine, ils soulèvent notre enthousiasme et notre admiration. «Dégage!», «Game over!», «Le peuple ne veut plus de Pharaons» mais aussi «N'importe qui sauf Moubarak» hurlé par les manifestants, hommes et femmes confondus ...

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Artite plasticien multi-medias, Novelliste ,Chroniqueur

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Quelle opposition face à l'armée et à Moubarak?... Le peuple, bien sûr et en particulier la «République de la place Tahrirh», au Caire, dont les militants sont courageux et déterminés. En entamant leur troisième semaine, ils soulèvent notre enthousiasme et notre admiration. «Dégage!», «Game over!», «Le peuple ne veut plus de Pharaons» mais aussi «N'importe qui sauf Moubarak» hurlé par les manifestants, hommes et femmes confondus ...

C'est ce «N'importe qui...» qui devrait nous interpeller, nous les Occidentaux –et particulièrement les Français– qui rêvons d'un rétablissement de la démocratie par le soulèvement du peuple sur des barricades... En cela, la Révolution du Jasmin nous a comblés, chassant un dictateur et sa famille corrompus... Ce qui valorise d'autant la magnifique victoire du peuple tunisien qui, sans conteste, a été le déclencheur, par exemplarité, du soulèvement du peuple égyptien...
«Qu'avez-vous fait de notre jeunesse?», crient les mères de la place Tahrir, femmes d'Egypte qui depuis fort longtemps (et bien avant les Européennes et les Américaines) on su montrer leur indépendance, revendiquer et diriger des mouvements politiques majeurs, comme le Wafd, parti laïc et démocratique, fondé au retour de la délégation (en arabe, Wafd = délégation) conduite à Londres en 1918/19 par Saad Zaghloul pour obtenir l'indépendance qui sera acquise en 1922. Et dès 1923, c'est Huda Sharawi, féministe, qui crée le Comité central du Wafd avant d'en être élue présidente!
Il faut bien se résoudre à un constat navrant: le Wafd n'existe plus, démantelé par Nasser, recomposé par Sadate en «Neo-Wafd», ses députés ne représentent plus, sous Moubarak, l'idéal laïc et démocratique. Ils font partie de cette nébuleuse qui, à chaque élection, se débrouille pour se maintenir à flot, quitte à avoir quelques arrangements avec le pouvoir... Bien sûr, des intellectuels s'insurgent, mais certains ne résistent pas à la médiatisation internationale, en profitant pour promouvoir leurs livres tout en réfutant toute interférence étrangère dans le soulèvement égyptien.

Avec les moyens numériques de communication, c'est une occidentalisation significative! En effet, nous sommes habitués à voir les cohortes de «spécialistes» (avec chacun son ou ses livres...), analyser, prédire, tout et son contraire. A part Mediapart, rares sont ceux, comme Charles Enderlin (France 2) ou Yves Harté (Sud-Ouest) qui, dès les premiers jours de l'insurrection, ont pressenti que la transition ne pourrait se faire sans Moubarak et les Frères Musulmans... Car c'est avec ces derniers que Souleimane négocie, les autres composantes de l'opposition, El Baradeï y compris, n'étant là que pour participer à l'évènement.

Plus qu'ambiguë, la relation entre le pouvoir et les Frères Musulmans: pourchassés, emprisonnés par Nasser et Sadate, après l'assassinat de ce dernier, Moubarak a dissous le mouvement. En revanche, il leur a laissé toute latitude pour s'organiser dans les domaines social, économique et religieux, en somme un «deal» du genre «Pas de politique mais le reste, vous vous en débrouillez...»
Et là, les Frères Musulmans ont fait merveille: ils ont organisé, jusque dans les villages les plus reculés, des réseaux d'entraide, mais aussi d'alerte et de renseignements, des structures associatives, mais aussi de veille... Au plan religieux, les Frères Musulmans eurent tout loisir de régler leur compte aux chrétiens, en particulier les Coptes en suivant scrupuleusement l'adage: «Pas vu, pas pris...»
Un flash-back s'impose: les Coptes étaient les habitants de l'Egypte, avant la conquête arabe. 642, prise d'Alexandrie, fuite des Byzantins par la mer, après un long siège. D'après l'historien copte Michel le Syrien, «Dieu amena du sud (de l'Arabie) les Fils d'Ismaël pour nous délivrer de la cruauté des Romains» (Byzance étant l'Empire romain d'Orient). Les Coptes furent autorisés à pratiquer leur culte, chrétien, à la condition qu'il le soit en arabe, respectant le hadith de Mahomet: «Il n'y a pas de différence entre un Arabe et un non Arabe, si ce n'est la piété» qui se place dans la continuité du judaïsme et du christianisme, Abraham et Aîssa (Jésus) faisant partie intégrante de la religion musulmane.

Or, pour les fondamentalistes musulmans, l'arabe ne peut-être la langue d'une autre religion que l'islam. La chasse aux Coptes a toujours été d'actualité, tantôt sporadique, tantôt systématique comme aujourd'hui. Les récents massacres d'Alexandrie et de Choubrah, quartier du Caire, sont à rapprocher d'assassinats de maronites au Liban et de chrétiens de rite chaldéen dans le nord de l'Irak.

Nos «grands penseurs» qui sont si prompts, à juste raison, à réagir contre toute manifestation d'antisémitisme ou d'anti-islamisme, n'ont guère fait part de leur indignation ou même de leur trouble... Je n'ose croire que l'importance de ces faits graves (au regard des droits de l'homme et de la laïcité, garante de la liberté de culte dans la sphère privée) n'ait été mesurée qu'à l'aune de leur écho médiatique ou de la défense d'une cause partisane.

Dès le 25 janvier, les Frères Musulmans étaient prêts. Ils ont d'abord adopté un «profil bas» pour mieux jauger les forces en présence. Puis, constatant, d'une part que les forces laïques et démocrates n'avaient pas de cohésion et, d'autre part, qu'El Baradeï était isolé, courageux mais dramatiquement seul, ils comprirent que c'était à eux, structurés et organisés, de prendre la tête de l'insurrection. Et tout naturellement, ce sont eux qui mènent les négociations. Bien sûr, les Frères Musulmans ne sont pas Al Quaïda, mais leurs liens avec le Hamas et le Hezbollah sont forts... L'Iran en profite pour réclamer un régime islamique et l'application de la charia en Egypte.

Quant aux «observateurs incitatifs» que sont les USA et Israël, ils sont dans l'expectative. Les premiers en adaptant leurs incitations à la réalité des faits: recommander à Souleimane (qui est un général) de conduire les négociations en vue d'une transition ordonnée, dans le respect des droits de l'homme et des aspirations du peuple égyptien (diplomatiquement correct, mais vœux pieux...). Les seconds en une observation très attentive (à juste raison) du déroulement des négociations chez l'allié égyptien, tout en essayant de prévoir les différents scénarios possibles...

Le premier ministre d'Israël pourrait prendre tout le monde de vitesse en accélérant le processus de paix avec l'Autorité palestinienne, ce qui renforcerait la position d'Abbas par rapport au Hamas. Mais pour cela, il faudrait qu'il le veuille et que le Président Abbas l'accepte... Pour exaucer les aspirations et les exigences du peuple d'Egypte, en particulier ces jeunes qui appellent de toutes leurs forces la liberté et la démocratie, souhaitons que soit constituée, très vite, une force politique puissante basée sur la laïcité et sur la démocratie dont ils deviendraient les acteurs. Là, l'Europe et particulièrement la France, qui n'a pas particulièrement brillé par sa clairvoyance aussi bien en Tunisie qu'en Egypte (pilier de la francophonie dans le bassin oriental de la Méditerranée) devrait être très attentive et se mettre en capacité d'aider à la création de cette force laïque et démocrate.

De manière incontestable, rien ne sera comme «avant» en Tunisie et en Egypte. A présent, il appartient aux forces de progrès, en France et en Europe, d'accompagner fraternellement, mais sans ingérence, l'accession de ces peuples à la liberté et à la démocratie en prenant garde de ne pas les décevoir dans leurs aspirations impérieuses, ô combien légitimes!

* lire aussi : Le jasmin, fleur de la liberté
L'armée au centre de l'échiquier égyptien

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