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En 2010, je rédigeais un article, pour cette édition participative, sur une revue qui avait déjà presqu’un an et deux numéros, à l’époque : La revue Monstre, « revue d’exploration pédé pour la décennie 2010-2020 », comme elle aimait se présenter. Depuis juin 2012 et son numéro 4 programmatique, « Testodrama », son silence se fait sentir dans un paysage minoritaire atomisé.
Mais qu’est-ce que l’histoire d’une revue ? D’abord celle d’un désir. Un désir, par exemple, de faire communauté dans un monde atomisé, comme je le crois. De verser sur le papier des imaginaires que l’on souhaite partager, et peut être faire politique. Une politique de l’affect, avec hargne parfois, de celle qui veut à tout prix ; avec empressement, en tout cas, et l’urgence de dire. Mais on ne décrit pas l’histoire d’un désir. Un désir, ça se raconte dans la masse de sa matière, fabriquée en mots et en images, en silences, aussi. Alors, peut-être est-ce cela l’histoire, dire certains silences, leur lourdeur, le manque qu’ils suscitent, les interrogations des plus futiles aux plus gênantes. Le manque, parce que finalement, il n’y a pas plus quotidienne et intime dans le monde éditorial que l’expérience d’une revue indépendante. Fragile structurellement et économiquement, comme on le sait, ce morceau de papier ne tient souvent qu’au fil d’une disparition de contexte, d’époque, de politique, d’une personne, d’un groupuscule qui s’effrite sous les décombres de l’ambiance nauséabonde. C’est soudain. Alors, on s’attache démesurément, forcément.
La revue Monstre fut de cet éclair, entre décembre 2009 et juin 2012. Revue pédé qui promettait une décennie sous les lumières cristallines de ses astres, elle irradie aujourd’hui un ciel obscurci par des factions identitaires crispées à des signes boursoufflés : LGBTQI, queer, trans, gay, lesbienne, non binaire, inclusif.ve, et j’en passe. Faire péter les plombs de la culture mainstream, tel aurait pu être son vœu, au monstre. Et pourtant, qui peut paraître se prémunir de la cruauté des écrans, aujourd’hui ? Truth lies beyond, comme dirait l’autre. Comment se dire, donc, quand nos corps ont déjà été déchiquetés sous chirurgie, et jusqu’à l’écœurement ? Trouver une voix. Plus qu’un ton, moins qu’une orchestration, une sonorité, une réverbération. Monstre a choisi la rumeur, un temps, de son numéro 5. Comme Chanel, et sous le label « pédés de Belleville », comme une décadence programmée. Puis s’en est allée ; laissant derrière elle l’embrasure d’une porte ouverte la nuit, sous le duvet de ma mélancolie.
Il n’y aura donc pas d’histoire. Si ce n’est ce bref morceau de silence et cette envie de faire un peu de bruit, pour réveiller ceux qui ne sont pas morts, ceux qui résistent, en font des tonnes, sont murés entre la maladie, l’ennui et le rêve.
La belle endormie n’attend plus son prince charmant. Elle en a passé l’âge. Et si c’était donc cela ? Rien que cela.
Stéphane Léger