2009, c'était quand déjà ? C'était hier. Et le temps lourd ou fluide, c'est selon, le temps physique en tout cas a inexorablement passé. Certes, il y a les saisons rituelles, ritournelles qui abreuvent la mémoire. Voici par exemple, entre toutes, la façon dont la revue Altermed a fêté la «saison turque», ô surprise pas encore achevée (juillet 2009 à mars 2010), instituée par la diplomatie française.
Les éditions Non Lieu publient deux revues d'égale qualité. L'une, la si joliment nommée Au sud de l'Est, s'intéresse plus particulièrement aux Balkans. Elle en est à son cinquième numéro, et il faut encore la découvrir. L'autre, Altermed, comme l'arbore son sous-titre, expose à chaque numéro «La Méditerranée autrement».
Pour Altermed, il s'est agi ni plus ni moins de prendre clairement aux mots les déclarations d'intention du fameux «processus» de coopération Nord-Sud de Barcelone de 1995. Ainsi, avec cette troisième livraison, consacrée aux «cultures turques», la revue a mis le cap sur les rives orientales du pourtour méditerranéen.
L'assurance dès son édito d'«un dialogue soutenu avec les autres cultures européennes» ne fait pas mystère du positionnement de la revue par rapport à la Turquie. Et si cela ne suffisait pas, la parole est donnée d'emblée à la journaliste turque Ece Temelkuran: «La Turquie veut vivre dans le domaine de l'Europe d'une manière consciencieuse, libre et équitable; la Turquie sent que, dans un monde privé de conscience mais plein de désir pour le profit et le pouvoir, l'Europe aspire à d'autres valeurs humaines. Non pas seulement pour son distingué continent, mais pour la planète entière. La Turquie voudrait contribuer à la réalisation de cette aspiration européenne.»
Au cœur de ce numéro, si le critique Mehmet Basutçu offre une présentation intéressante d'un cinéma turc (Güney, Ceylan, Erdem) assez notoire au demeurant, la metteure en scène et comédienne Zeynep Su Kasapoglu explore des sentes moins connues, au «croisement des cultures à travers le théâtre populaire». Livrant deux extraits de pièces (Le Jeu de Sehnaz d'Özakman et L'Invité d'Erenus), elle nous fait pénétrer dans ces «terres d'Anatolie (qui) ont produit des centaines de comédiens et d'écrivains turcs, grecs, arméniens, kurdes, lazes». Cet ensemble est clos par «deux nouvelles kurdes» de Fawaz Hussain et de Lorin S. Dogan.
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Mais qui pouvait mieux ouvrir ce numéro «engagé» sinon Nâzim Hikmet? Pour la circonstance, Ali Aktogu a offert à la revue des traductions inédites de poèmes du grand poète turc, dont un écrit à Moscou en 1925.
Héraclite ! Héraclite !
Peut-on mettre sous clé l'eau qui coule ?
Et il faut aussi découvrir Ahmed Arif et Attila Ilhan. De ce dernier, ce poème d'amour à une Arménienne (extrait):
peut-être Maria Missakian pense-t-elle tous les soirs
à s'échapper de Paris pour te rejoindre
comme si par une nuit de misère
elle étranglait sa ville comme son enfant
une douleur de crucifiée dans ses paumes.
Altermed, n°3, «Cultures turques», éditions Non Lieu, novembre 2009, 194 p., 15€.
Pour rappel, cet article dans le Club Mediapart d'Elif Kayi, Pitié, arrêtez de nous parler de la Turquie.
Les éditions Non Lieu invitent à une rencontre autour de ce numéro en présence de ses collaborateurs. Audition d'un entretien avec Nâzim Hikmet et récital de poèmes par Ève Griliquez. Le vendredi 26 février à 18h30, à L'Accort (l'assemblée citoyenne des originaires de Turquie), 39, bd de Magenta, Paris Xe (métro Gare de l'Est).