Deux ans de pandémie mondiale déconnectent de la réalité. Le 32e festival flamenco de Nîmes commence ce soir, et cela semble un événement lointain qui ne prendra son sens qu'une fois assise dans mon fauteuil.
Sur le papier, ce festival a lui aussi un goût d'étrangeté. Les lieux, tout d'abord. Exit La Paloma, je ne le regrette pas. Salle trop grande, trop froide, complètement antinomique du flamenco. Des spectacles au théâtre Bernadette Lafont, bien sûr, mais une montée en puissance du petit théâtre de l'Odéon, ancien cinéma reconverti en salle de spectacle. L'endroit parfait.
La programmation valse allègrement entre tradition, classicisme et modernité, avec un gros oubli, pas un seul artiste français à l'affiche, alors que notre scène flamenca est riche de multiples talents. Inés Bacán et Pedro el Granaíno sont les représentants de la tradition. Sans chichi, sans fioriture, en un mot sans concession. C'est à prendre ou à laisser. Je prends. J'ai souvenir de ce festival où Inés chantait à l'Odéon. Elle avait consumé la salle d'émotion avec sa « Nana ».
Viennent les académiques, dont le Ballet Flamenco de Andalucia qui s'attaque au « Maleficio de la Mariposa » de Federico Garcia Lorca, histoire folle d'un amour impossible entre un papillon et un cafard. Mais que serait l'Espagne sans son poète de génie, mis à toutes les sauces, plus ou moins heureuses. De quoi sera faite cette salsa-là ?
Ensuite viennent les classiques qui lorgnent vers la modernité. Pour l'excellente danseuse Maria Moreno, j'avoue ne pas comprendre le concept de « danse traditionnelle stylisée ». Son spectacle au titre abscons « More (no) More » éclairera peut-être ma lanterne.
Côté excellence, nous avons la chanteuse Rocío Márquez. Elle explore plusieurs aspects du flamenco, expérimente beaucoup, fait des choses qui m'échappent parfois, mais elle a la volonté d'innover et de faire sortir le cante des salles poussiéreuses au public convenu, pour l'imposer dans la sphère publique, avec succès, puisqu'elle a reçu une Victoire du jazz, en 2020, dans la catégorie Musiques du Monde pour son disque « Visto en el Jueves ». Rappelons que Jueves est une référence au marché aux puces qui se tient le jeudi à Séville calle Feria, entre Alameida de los Hercules et La Macareina. Une ultime tentative pour faire revivre ce quartier populaire, en voie de gentrification, où ouvriers et artistes se côtoyaient, et qui perd son âme chaque jour un peu plus. Le temps d'un concert la cantaora lui redonne vie.
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Pour clore le festival, une carte blanche est donnée au guitariste virtuose Dani de Morón. Comme son nom, l'indique, cet artiste vient d'une ville à la tradition flamenca bien ancrée. Diego del Gastor, Son de la Frontera en sont les plus éminents représentants.
Pour le reste de la programmation, j'avance en terres inconnues. J'ai du mal à comprendre ces spectacles qu'il faut voir un livre dans une main et la lorgnette dans l'autre. Mais nous allons aussi découvrir de nouveaux artistes, comme Romero Martín, soit Alvaro Romero chanteur et Toni Martín musique électronique pour « Manifestio », manifeste gay. Pour ce que j'ai pu voir sur Internet et écouter, Alvaro Romero, le crâne rasé en moins, n'est pas sans rappeler l'Anglais Jimmy Sommerville, ce chanteur extra des années 80, qui avait contribué à sortir l'homosexualité du ghetto et pris la tête du mouvement contre le Sida. Sa voix et sa gestuelle était reconnaissable entre mille. C'est une démarche courageuse que celle de Romero . Car le milieu flamenco n'est pas connu pour sa tolérance et son ouverture.
Mais faut-il le rappeler, la force tranquille des femmes avait déjà ouvert bien des portes. Souvenons-nous de ce « Flamenco de cámara » de Mayte Martin et Belén Maya, ni manifeste ni protestation, juste une évidence : « Nous sommes là. » C'était à la fin des années 90. Plus près de nous, « Afectos » de Rocio Molina et Rosario la Tremendita.
Mais ne boudons pas notre plaisir. Après ces années de disette, écouter et voir des spectacles, partager avec des amis sont une victoire pour la vie. Merci Nîmes l'Andalouse.
Renseignements : https://theatredenimes.com/festival-flamenco/