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La Tia Anica La Piriñaca (1899-1989), cantaora qui a porté haut l'étendard de la solea, disait : « Cuando canto a gusto me sabe la boca a sangre » , soit « Quand je chante avec plaisir, j'ai un goût de sang dans la bouche ».
Solea, le palo mère du flamenco. Douze temps, temps forts, temps faibles, temps suspendus, douze temps ou un compás qui emprisonne l'artiste sans aucune échappatoire possible. On ne transige pas avec le compás. Pour le maîtriser, c'est un cruel apprentissage. María Moreno, entourée de musiciens talentueux, Raúl Cantizano, vielle à roue, Eduardo Trassiera, guitare, Manu Maseado, percussions, et la chanteuse Angeles Toledano, le décortique plus d'une heure durant. Une première bonne idée, les spectateurs sont accueillis par un patchwork sonore autour de la solea. Deuxième bonne idée, un cercle définit un espace spatio-temporel aux règles intangibles, on ne peut pas en sortir. Le spectacle commence et cela se dégrade. Une fois de plus la lumière est aux abonnés absents, une séquence stromboscopique, cela semble très tendance cette année, vient ponctuer la scène dans le noir. Quand la lumière revient, faiblement, un spot, placé en fond de scène, éblouit celles et ceux qui sont dans la ligne de mire. Le costume de la danseuse semble un traje plein de froufrous, de dentelles et de volants, très classique. En fait il est complètement transparent. La chanteuse, en noir, est aussi tout en transparence. On ne sait si c'est pour faire moderne ou si c'est pour passer en prime time sur Canal Sur.
Il y a quelques moments somptueux, notamment un duo avec le guitariste Eduardo Trassiera. Mais pour que la mayonnaise prenne vraiment, il eut fallu une cantaora. Angeles Toledano a une voix magnifique, elle chante admirablement, mais elle n'est pas flamenco. C'est une cantante tout à fait respectable. Elle transforme la solea en bluette éthérée. Certains m'ont dit que la solea était un cante, difficile pour les jeunes. C'est possible. Mais pour moi ce n'est pas une question d'âge, c'est une question de culture. Le flamenco est transgénérationnel historiquement. Mais peu à peu la maladie moderne de la ségrégation touche cet art magnifique. Les vieux avec les vieux, les jeunes avec les jeunes et les intermédiaires cherchant à tout prix à faire d'jeune's. Alors que la transmission est au cœur de la culture flamenca.
C'est un spectacle de plus qui semble formaté pour franchir les obstacles des concours et des récompenses. A la faveur d'une pseudo-modernité, on édulcore, on écrème, on écrête tout ce qui pourrait être rugueux, difficile et impliquant un apprentissage. L'aficionado y trouve difficilement son compte. En résumé, le flamenco, ce n'est pas la Star'ac.