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Alegorias ou l'itinéraire d'une enfant bénie par les dieux de la danse. Si l'on fait l'impasse sur un début laborieux, le noir et un corps qui émerge d'un gigantesque voile blanc, et des liaisons approximatives qui nuisent à la cohésion d'ensemble, ce second spectacle de Paula Comitre est un plaisir de l'œil et de l'oreille. Lorena Nogal, son alter ego en danse contemporaine, est un modèle de fluidité et de grâce. Il y a une telle cohésion entre les deux danseuses, qu'il est parfois difficile de distinguer l'une de l'autre, elles ne font plus qu'une. Une mention toute particulière pour le cantaor Tomas de Perrate, pivot essentiel du spectacle, qui flamenquise ce qui ne l'est pas nécessairement. Le guitariste Juan Campallo et le percussionniste Manuel Heredia complètent le plateau avec bonheur.
Trois très grands moments de ce spectacle : Paula Comitre dansant les tangos, puis vinrent la Petenera et la Colombiana. Ces trois bailes valaient à eux seuls le déplacement.

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Et puis Patricia Guerrero clôture le cycle ballet. Comitre et Guerrero ont sensiblement le même âge, le même parcours sans faute de l'excellence. Cette dernière proposait un ballet Deliranza qui évoque ce moment où la fatigue, lors des répétitions, devient telle que la danseuse sombre dans une torpeur qui appelle le rêve (ou le cauchemar) éveillé. Le propos tendrait plutôt vers le cauchemar. Des spectres viennent hanter la jeune danseuse qui livre une véritable performance puisqu'elle danse quasiment durant tout le spectacle. Le corps de ballet est impeccable dans son aspect mécanique, quasiment robotique. Quant aux musiciens, ils sont relégués derrière un rideau. Est-ce pour cette raison que l'écoute est perturbée ? La guitare de Dani de Morón, directeur musical du spectacle, est inaudible, ce qui est dommage. Rien n'émerge vraiment.
Cette hantise du compás, récurrente depuis le début du festival, c'est un peu « Les temps modernes » de Charlot revisités. Mais que serait le flamenco sans ce compás obsédant ?

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Cela nous amène insensiblement au dernier jour, samedi 20 janvier, à L'Odéon, au spectacle jubilatoire d'Antonio Molina El Choro et Jesus Corbacho ou la journée (et la nuit) de deux flamencos, pour une « Francachela » (bringue) de derrière les fagots.
Nous sommes loin du ballet, place à l'improvisation réelle ou supposée. Le carcan du compás semble loin, il est intrinsèque aux deux artistes, tels des enfants qui font les palmas avant de savoir marcher. Les deux compères nous entrainent dans une tragi-comédie où le rire se mêle aux pleurs, où le pan con tomate et le café du matin sont le prétexte à des fandangos à la gloire de Huelva, leur terre natale. Ces fandangos seront le fil conducteur de la soirée. Ils mangent et boivent sur scène comme à la maison, ils chantent et dansent comme dans une fiesta, jusqu'au bout de la nuit. Tout est là, les soleares, les tangos, les alegrias, les bulerias..., achevés ou inachevés. Le bord de scène, délimité par une bande de sable, évoque les grandes plages de la région, avec lequel les artistes jouent et dessinent. Choro danse une soleá dans un cercle très réduit. Le rythme est soutenu et la palette des émotions intense.
Le sous-titre du spectacle le résume parfaitement : « Tragedia, alegria y complicitad », « Tragédie, joie et complicité ». Un grand merci à ces deux artistes qui nous ont embarqués pour une aventure passionnante, bouleversante et drôlisssime.