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Billet de blog 29 janvier 2025

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Journée sous le signe du bizarre

Ce second vendredi au festival Flamenco de Nîmes, le programme est chargé : conférence dansée de Fernando López au Carré d'Art, consacrée au Flamenco queer, Hommage à Antonio Gades par Rafael Ramirez au théâtre de l'Odéon, au théâtre Bernadette Lafont la chanteuse Maria Terremoto et fin de fiesta à la bodega Diego Puerta.

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Illustration 1
Rafael Ramirez et Maria Mezcle dans l'hommage à Antonio Gades © Sandy Korzekwa

M’interrogeant sur la proposition, je suis revenue à Nîmes pour assister à la conférence du danseur, chorégraphe et universitaire Fernando López, intitulée « Flamenco queer ». Toute la première partie historique, partant de 1850 à nos jours, parle du travestissement comme pratique relativement courante. Elle est équitablement répartie entre hommes et femmes. Les mondes du flamenco et de la tauromachie étant étroitement imbriqués, il y est question de femmes, obligées de se travestir pour défiler dans l’arène sous des noms d’homme, afin de défier l’interdiction qui leur était faite de toréer. Il y est question de femmes dansant en pantalon, mais aussi d’hommes vêtus d’atours féminins, sans qu’il soit explicitement question d’orientation sexuelle. Et puis les choses se gâtent. Les femmes disparaissent du propos pour laisser place aux héros/hérauts de l’homosexualité masculine dans le flamenco. Le conférencier rend un hommage particulier à Marco Flores qui le premier aurait affiché un amour homosexuel sur scène lors d’un spectacle en 2012. Mémoire défaillante ou volonté politique, le doute est permis. En 2004, Mayte Martín et Bélen Maya se mettaient en scène dans un magnifique « Flamenco de Camara ». Quelques années après, La Tremendita et Rocio Molina proposaient « Afectos ». Ces spectacles n’étaient pas alambiqués, mais explicites, d’une épure quasiment janséniste. Chichis et fanfreluches en étaient bannis. Nous pourrions divaguer à l’infini sur l’image absolument grotesque des femmes que véhiculent certains gays, entre bimbo et cagole, en fonction de la latitude. Nous assistons au mime de femmes hypersexualisées, maquillées comme des camions volés, d’une superficialité affligeante, qui se dandinent ad libitum, mais dont la danse évoque, bien malgré eux, l’entrée des tanks russes dans Prague. Après cet exposé, est posée une question sur l’invisibilisation des femmes, plus précisément sur la disparition des lesbiennes dans son discours ; sa réponse : « Je travaille régulièrement avec Bélen Maya, c’est une amie. » Cela ne vous rappelle rien ?*

Le soir, à l’Odéon, encore et toujours flamenco queer ; là, c’est Rafael Ramirez qui s’y colle. Le prétexte de la soirée est un hommage à Antonio Gades, qui n’a rien demandé. Démarrage lunaire : dix minutes dans le noir et le silence , seul un rectangle de néon blanc troue l’espace. Puis une chemise vaporeuse émerge de l’encadrement lumineux. Tout étant à l’avenant, pour un final en apothéose, il s’encadre nu dans cette porte lumineuse pour une probable évocation de la mort du grand bailaor survenu il y a un peu plus de 20 ans. Mais tout n’était pas à jeter dans ce spectacle. La présence de la cantaora Maria Mezcle lui a donné vie et quinze minutes émergent de ce boulgui boulga : la Mariana qu’elle chante en accompagnement du danseur, comme un pas de deux. Moment parfait. Sur une petite heure, c’est peu.

Illustration 2
Maria Terremoto et son guitariste Nono Jero © Sandy Korzekwa

La dernière partie de la soirée valait elle aussi son pesant de cacahouètes. Maria Terremoto, héritière de la dynastie Terremoto de Jerez et cantaora à la capacité vocale impressionnante, est accompagnée par l’excellent guitariste Nono Jero, les palmeros Juan Diego Valencia et Manuel Cantarote et un metteur en onde dont on ne connaitra pas le nom. Sono au max, réverb idem, que le spectacle « Manifiesto » commence. Le rideau s’ouvre sur une estrade en fond de scène. Se détache dans un halo de lumière une silhouette dissimulée par un long voile de veuve. Puis un écran géant projette des paysages, des films de son enfance et la traduction de son propos, la douleur d’être orpheline, puis sa libération. Et elle chante sa tristesse à travers une tona, toujours dissimulée par son crêpe sombre. Elle descend de son estrade et enlève l’oripeau. Ce qui permet d’admirer sa jolie robe noire de style Renaissance. Debout, un micro à la main, elle arpente la scène, telle une rock star ; elle fera une exception pour la siguiriya, chantée assise, sur une estrade. Pieds nus, robe rose, c’est la seconde phase, celle de l’apaisement, de l’acceptation.

Dernière phase, la libération. Robe de cuir noir, courte et asymétrique, et bottes à talons styletto, façon Julia Roberts sur Hollywood Boulevard.

L’aspect artistique est navrant, tout est expédié comme un clip, ça va vite, on ne s’éternise pas. Une exception, la siguiriya qui laisse entrapercevoir l’étendue de son talent. Les ombres de Rosalva et Maria Carey semblent plus présentes que celle de son père, l’ensemble ressemblant à une belle opération marketing.

Un fino plus tard et la belle guitare d’Antonio Moya me réconcilient avec le flamenco. La guitare d’Antonio vagabonde entre rêverie poétique et appels rageurs, tel le joueur de flûte. Les artistes arrivent peu à peu et s’agglutinent autour de lui. La soirée peut commencer.

* Pour celles et ceux que cela intéresserait, il existe un film « Carmen et Lola » de Arantxa Echevarria qui raconte la naissance de l’amour entre deux très jeunes femmes dans la communauté gitane de Madrid. Il existe en DVD.

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