Cela fait plusieurs années maintenant que j’entends « tu es courageuse d’avoir porté plainte ». Mais croyez-moi, je n’aurais absolument pas eu le courage de le faire si j’avais su à quoi m’attendre. En fait, je l'ai fait par ignorance. On évoque souvent l’injustice et la bêtise inhérentes à la manière dont sont reçus de trop nombreuses plaintes. On évoque les enquêtes foireuses. Mais on parle assez rarement de la suite, simplement parce qu’il y a rarement « suite », notamment dans le genre d’affaire qui me concerne. Alors quand j’ai compris qu’il allait y avoir une suite, je me suis sentie soulagée, je me suis dit que j’étais entendue. Je ne savais pas à quel point je le serais dans la suite de la procédure, mais je me disais, « c’est déjà pas mal ».
En réalité, j’ai le sentiment d’avoir été entendue jusqu’au premier procès. C’était long, mais ça avait du sens. Puis, il y a eu l’appel. L’attente de ce second procès dont je tâchais de comprendre la nécessité, la légitimité, mais qui déjà avait beaucoup moins de sens. Parce que donner le droit à l’accusé condamné en première instance, d’avoir un second procès sans qu’il n’y ait aucun élément nouveau, c’est déjà admettre que la justice a pu "se gourer". C’est reconnaître que potentiellement les premiers juges ont mal fait leur boulot. Mais qu’est-ce qui garantit que les juges du second procès l'ont bien fait ? En quoi leur décision serait plus légitime et donc définitive que celle des premiers ? Est-ce juste parce qu’ils sont seconds ? Ou bien est-ce parce qu’ils savent qu’un appel est possible que les premiers juges sont plus « durs » et peut-être même plus « justes » ? Franchement, je m’y perds.
La grande question que je me pose, c’est : « si l’on avait échangé les juges du premier procès et les juges du second, est-ce que le résultat aurait été inversé ? » Est-ce que lors du premier procès mon agresseur-psy aurait été condamné à deux ans de prison dont un ferme, autorisé à exercer en institution mais plus en libéral ? Et est-ce qu’au second procès il aurait été condamné à quatre ans de prison dont deux fermes avec interdiction d’exercer la profession de psychologue pendant cinq ans et inscrit au FIJAIS ? Logiquement, ça aurait dû être le cas. Car si c’est seulement l’ordre dans lequel ont été faits ces deux procès qui détermine la peine, alors dites-moi à quel moment le jugement est juste ? Alors ce serait la faute à pas de chance ? Le second tribunal en appel a été plus « clément » que le premier parce qu’il s’agissait de juges différents ?
Je suis dépassée par cette justice, alors je cherche des réponses, je me renseigne… Et je lis ceci : « La justice doit respecter des règles précises pour assurer un procès équitable :
• la présomption d'innocence : toute personne est innocente tant qu'elle n'est pas déclarée coupable.
• la proportionnalité de la peine : toute sanction doit être proportionnelle à l'infraction.
• le contradictoire : la justice respecte le principe d'égalité dans l'intervention des personnes engagées dans le procès, les parties. La partie civile est la victime de l'infraction.
• la non rétroactivité de la loi : une personne ne peut être accusée au nom d'une loi adoptée après les infractions qui lui sont reprochées.
• la possibilité de recours : toute personne condamnée peut demander à être jugée deux fois. »
Je comprends la nécessité de ces principes. Je comprends la notion de « procès équitable ». Mais qui va écrire des règles concernant les victimes ? Pourquoi toutes ces règles, ces cinq principes, ne parlent-ils que des droits de l’accusé ? Notamment la possibilité de recours. Pourquoi une victime n’aurait-elle pas droit, elle aussi, de demander un second jugement ? Ce qui se fait en général, c’est que c’est le ministère public qui fait appel, à la demande de la partie civile. Mais il n’est pas écrit que la victime peut demander à ce que son agresseur soit jugé deux fois. Que craint la justice ? Un acharnement ? Ça me donne l’impression que l’accusé serait nécessairement en état de faiblesse par rapport au plaignant. Comme si on se disait : « oh… Le pauvre, on l’accuse de faits vraiment terribles… » Mais je me rends compte que c’est ce qu’induit la présomption d’innocence. C’est ce terme-là : « innocence », qui rend fou quand on est victime. Pourquoi ne pas la nommer « présomption de non culpabilité » ? La nuance peut sembler faible, mais il me semble qu’on ne déclare jamais un accusé « innocent ». On le déclare « non-coupable ». Dans mes yeux de victime, ça change un peu la donne. Ou alors on intègre un principe de « présomption de victimité ». Zut ! Ce mot n’existe même pas.
Pour ce qui est du principe du contradictoire, conceptuellement, je comprends aussi. Mais aujourd’hui j’ai appris qu’à cause de ce principe, mon agresseur, qui a été reconnu coupable et condamné, avait le droit d’être présent lors de l’expertise psychiatrique qui a pour but une évaluation du préjudice que j’ai subi. Ça veut dire que même à ce moment-là, même après six ans de procédure, après deux procès qui donnent lieu à une condamnation, il a encore le droit « de la ramener ». J’ai du mal à le dire autrement. Je vais me retrouver face à un expert psychiatre pour lui exposer la manière dont je vis depuis ce que j’ai subi, le degré de souffrance que cela a engendré chez moi, afin que cet expert détermine le montant des dommages et intérêts dont mon agresseur devra s’acquitter, potentiellement avec lui posé là à côté de moi.
Alors moi, naïvement, je m’étais dit que cette épreuve serait un peu moins douloureuse que toutes les autres, que j’avais juste à exposer les choses et que l’expert allait évaluer, selon des barèmes, que je n’aurais plus à me battre, ou à le convaincre de quoi que ce soit, mais si. Évidemment, je dois fournir une quantité astronomique de documents qui prouveraient à quel point cette histoire m’a pourrie la vie, au cas où, même après le passage devant deux tribunaux qui ont condamné cet homme, on puisse en douter. Mais en plus, il a le droit de contester les arguments qui seront avancés par l’expert et le montant des dits dommages et intérêts ? Mais à quel moment je suis censée me sentir un peu soulagée ou apaisée ? À quel moment je suis censée avoir l’impression que la justice est juste ? Pire, à quel moment suis-je protégée ? On a peur que l’expert exagère ? Que moi, j’exagère ?
J’arrive à un stade où la procédure devient plus douloureuse que ce que j’ai subi. Parce que les agressions que je dénonce ont eu lieu pendant huit mois. La procédure, à ce rythme-là, va durer huit ans. Qu’on ne me dise pas que je ne m’en serais pas sortie sans cette procédure, c’est faux. Au final, il n’y a rien de courageux dans cette démarche. J’ai subi au départ, je continue de subir. Je ne vois rien, absolument rien de réparateur. À la limite, la seule chose qui me porte un peu, c’est de me dire qu’en portant plainte, à force de procédures absurdes, du sens finira par apparaître et le juste naîtra de toute cette absurdité. Mais pour l’heure, le combat est interminable, malgré la condamnation. Finalement, j’ai le sentiment moi aussi d’être condamnée. La procédure se terminera au moment où sa peine se terminera. Quand pourrais-je me dire « c’est fini » ? À quel prix ?