
Sous l'emprise mortifère de ceux qui sans vergogne, l'exploite jusqu'au tréfonds de ses entrailles, le monde, hors de contrôle, devenu flou, bouscule toutes espérances des générations à venir. Rien ni personne, ne semble pouvoir mettre un terme à cette course folle vers la fin des temps prophétisée par Nostradamus.
Sous les feux de la tentation, nuit et jour, la terre se calcine de toutes parts. Saturé jusqu’aux plus profonds de ses pores, l'air ambiant suffoque à perdre haleine. À vau l'eau, les océans, bousculés par les mauvais temps, débordent sur les bords de mer, engloutissant des lignes entières de rivages côtiers. Sous l’influence du dérèglement climatique, à tour de rôle, les éléments se déchaînent dans l’ombre de nos pires cauchemars.
Inexorablement la marée déferle ses draperies de houle sur l’ensemble du bord de mer, engloutissant en son sein ces vierges territoires de grève dépouillée. Au fil de vertigineux coefficients, peu à peu, elle grignote le patrimoine terrestre de son indéfectible labeur de Titan, repoussant le trait de côte au pied des hauteurs sablonneuses. Dans le fracas tonitruant de son roulis, ses longues déferlantes viennent à se fracasser en mer d’écume sur les rochers érigés en échalas de fortune. Vagues d’assaut sonnant l’hallali sous les cris stridents des oiseaux de mer. Inoubliable spectacle qui dresse sa furie aux clartés du petit matin.

Du haut des dunes de sable blond, entre renoncement et dépit, d’impassibles vigies scrutent inlassablement l’horizon, le regard acéré pointé vers le lointain, où dans sa course folle s’abîme l’astre du jour. Impassibles guerriers frappés d’immobilisme, troublantes sentinelles fouettés par les vents, abandonnées au désespoir de leur triste sort, en proie à la désolation du néant, aux outrages des intempéries et à la profanation des lieux.
Vu d’ici le cheval fougueux n’a point le même attrait. Sa frénésie semble apaisée par les distorsions de la profondeur de champ. Les yeux écarquillés au grand large, les récifs festonnés par le linceul de cretonne bleutée, scintillent de mille paradis embrasés. Le temps, à portée de néant, semble s’être affranchi de tout labeur.

Colosses aux pieds d'argile, ils sont les dernières vigies face aux exubérances des tempêtes. Casemates de béton rescapées des vestiges d'un passé tourmenté, abandonnés à leur triste sort, ils sont et ils font partie intégrante de ces paysages restés sauvages. Longtemps décriés, bien souvent critiqués, ils ont failli disparaître sous le haro de la réprobation générale. Porteurs d’un devoir de mémoire, sous la patine des temps, ils ont su estomper leur aspect bien trop austère pour s'affranchir de postures jadis guerrières. Derniers fleurons de cette furie wagnérienne, déchue dans les arcanes barbares. Atlantikwall, la mémoire vive. 5 000 km de lignes défensives jusqu’à perte de vue. Écho de la symphonie de l’indicible.
Sous de faux airs de tranquillité, les fauves lâchés dans le tourbillon des flots remportent la bataille de la mer. Grignotées par les tourments maritimes, de multiples lambeaux de falaise succombent aux assauts des marées, engloutis dans l’anonymat des grandes douleurs muettes, vaincus par les profondeurs souterraines des afflux. A l’extrémité des continents, l’océan vocifère ses naufrages. Peau de terre contre pot de mer. Les belligérants de Neptune à l’assaut de la dune, l’écume au gré du vent. De toute part, la grève, le silence, l’espace infini, solitaire, effrayant, captivant.

Dans les dunes de Flandre, ce blockhaus vêtu de miroirs brisés, rencontre insolite de l’art et de l’histoire, œuvre transgressive et militante de culture et de mémoire, réfléchissait ses rayons de lumière et de soleil. La mer toujours recommencée s’y miroitait en mille flamboiements ou s’y perdait en sombres froideurs. Après s’être accaparé, chaque jour, des couleurs du ciel, des nuances du paysage environnant et des éclats de mer, il s’endormait serein dans l’intimité de la nuit, la bienveillance des croissants de lune et des lueurs complices des étoiles.
Cette casemate bétonnée sans entrailles, échouée dans les dunes, expression amère d’un cauchemar destructeur des années « guerre », construit par l’armée allemande il y a presque 8 décennies, parée d’une nouvelle cape de reflets originaux, rendue visible et vivante, avait été baptisée par l’artiste d’un verbe curieux et interrogateur « Réfléchir ». Une invitation à entrevoir le monde et sa beauté d’une autre façon, à découvrir ces jeux étranges de miroirs éclatés à la recherche d’un « je » volontairement introuvable, un signe d’espoir tourné vers l’avenir. Nouveau regard propice aux réflexions et à la protection de la paix dans le monde. Fil d’équilibre de la vie et de l’avenir où l’âme erre à la recherche d’un nouveau chemin tracé pour traverser l’ombre et les souffrances afin de saisir et tutoyer la lumière qui nous entoure.
La mosaïque, œuvre éphémère (2014 – 2021) de l’artiste « Anonyme » se voulait sortir des sentiers battus et s’inscrivait dans la tradition du Land Art. Créer un espace d’illusion par des reflets naturels, embellir la nature que l’homme ne cesse d’abandonner et de détruire mais aussi draper ce monstre géant et cynique d’une nouvelle peau généreuse d’humanité. Désormais, dépouillé de ses bouts de miroirs, ce fantôme de la seconde guerre mondiale commence aujourd’hui à s’habiller d’une nouvelle cape de graffitis et de fresques fugaces.

Le cordon dunaire de la côte d’Opale s’érode de jour en jour, entaillé par l’action des fortes houles et des marées de vives-eaux. Entourés d’une flopée d’autres, les blockhaus aujourd’hui, plus ou moins bringuebalants, balayés par les pluies, les vents, les tempêtes successives, au cœur des marées plus ou moins violentes glissent, s’éventrent, se détruisent laissant un paysage désolé, une plage jonchée de décombres, vestiges d’un lourd passé d’amertume et d’une époque apocalyptique d’atroces noirceurs, de pertes humaines incalculables, de crimes insensés et de multiples blessures.
Cette atmosphère étrange ne décourage nullement les promeneurs curieux de nouvelles créations Beach Art, une liberté doublée d’un plaisir non dissimulé pour les graffeurs amateurs ou artistes, porteurs d’un art à l’image de la vie... jamais figée, toujours en perpétuel mouvement. Un monde obscur, écorché vif, vulnérable face à ce point de lumière, sensation inouïe de la voûte précieuse de notre humanité !

C’est ainsi que, dans leur mue saisonnière, les blockhaus se camouflent sans cesse par détournements éphémères et inspirations pittoresques. Au fil de l’art pictural, la peinture reprend ses droits. Sans arrêt sur le fil, la poésie, âme solitaire.
De la côte d’Opale jusqu’à la côte d’Argent, périple sous la plume raffinée d’Edmey chuchotée au Vent.