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Billet de blog 25 mars 2024

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À L’AUNE DES PARADIS PERDUS

« Les vrais paradis sont les paradis qu’on a perdus » Marcel Proust

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
La fuite des temps © Vent d'Autan

50 ans déjà, ou presque. Les années avaient filé sans même s’en apercevoir. Tout était allé si vite qu’il ne se souvenait guère, qu’il ne se souvenait déjà plus. Jusqu’au dernier instant il l’avait cherché avec cette frénésie compulsive, en vain. À bout de souffle, bousculé par tant de soupçons d’incertitude, scrutant au-delà de ses derniers replis, peine perdue.

Dans le creux d’une vague, dans le murmure du vent ou dans le sillage des nuages, quand vint l’heure de la marée montante, parfois elle apparaissait de manière inattendue, évanouie au détour d’un chemin, d’une fronce dans la forêt, d’une crête au bord des abrupts, vision aussi fragile qu’une éclipse céleste. À peine le temps de regarder le soleil se coucher à flanc de coteaux.

Sans but précis il déambulait en cette parenthèse blottie en son âme, les yeux lambinant sur une venelle étroite, un mur lézardé, une paire de volets clos ou un balcon fleuri. Tout ce qui lui rappelait le caractère authentique de cette prima donna flottant dans la brume de ses déchirures. Dans un lieu qu’il ignorait encore, les sens enivrés par un parfum de mystère, bientôt il formulerait un vœu avant que par trois fois la cloche ne le réalise. Dernier rempart face à tous ces mots qu'il ne prononçait plus, par peur ou par doute d’égratigner quelques farouches vertiges.

Illustration 2
Accroche-dune © Edmey

Un jour d’équinoxe et de grand vent, sa silhouette fluide et sinueuse avait frôlé les flots d’écume et s’était échouée non loin d’un banc de sable à fleur d’eau, à fleur d’âme. Vêtue d’une écharpe vaporeuse teintée des couleurs irisées de l’arc-en-ciel, elle s’était glissée dans l’univers insolite qui s’offrait élégamment à elle.

Charme et beauté lui tendaient les bras, grâce bienveillante d’un instant magique, petit coin de paradis en pure poésie. Mystérieusement attirante, l’île aux rêves dévoilait une bien belle échappée romantique. Rien, ni même personne ne devaient déflorer la pureté de cet espace insolite ! Aux fluettes lueurs du matin suivant et aux premières notes du récital des oiseaux, elle s’était aventurée au long du sentier sauvage fouinant, libre et légère, la féérie d’une nature vaporeuse, rebelle et atypique.

Imprévisible, invisible, folle illusion, elle furetait l’élégance et l’éloquence nichées dans les chuchotis de l’imaginaire et les crépitements du réel. A pas de velours, elle se faufilait dans l’entrelacs des lieux, symphonie raffinée d un petit quelque chose entre l’intime et la passion tendre. Des instants carpe diem volés délicatement à la vie, euphorie étrange dont seules quelques ombres intrépides et capricieuses des limbes venaient atténuer la flammèche. C’est ainsi, qu’elle révélait timidement ses meilleures sonates peaufinées aux feux du soleil. 

Illustration 3
Eclats de givre © Vent d'Autan

Difficile d’énumérer chacun de ces instants égarés au mitan de sa vie. À plusieurs reprises, au tout dernier moment, il n’avait pas osé s’en approcher de peur des mots enfouis dans l’enchevêtrement de ses pensées. Sachant son désarroi il devint taciturne, l’âme rustique, emprunt de cette mélancolie rodant autour des visages enfouis sans que l’on puisse la soupçonner. Créature au visage imaginaire qui ne cessait de le hanter. Une mèche de cheveu, une écharpe de soie, une brise de voix, un pas léger, un sillage parfumé, une étreinte dissipée.

 Elle ressemblait à cette inconnue marchant sur les bords de grève. À moins que ce ne soit quelconque anonyme dont il avait croisé le regard dans le murmure des dentelles de givre. Ou peut-être bien cette superbe dont les courbes semblaient avoir été tracées par une main divine. Autant d’ombres furtives en transparence des averses de lumière.

De cette histoire il ne resterait rien, à peine ce fol espoir sans éclat de voix, sans adieu solennel, à la grâce de la frilosité hivernale. Aucun miracle, rien d’autre qu’une façade craquelée par endroits dans le désordre des corps oubliés. Sans attaches et sans repères, une vie d'amertumes collées à la peau, éparpillée dans l'infini des temps d'avant. Sans trop y croire, loin des certitudes tapies le long des bruissements de la nuit.

Illustration 4
Attrape-rêve © Edmey

Trainant son spleen dans les brumailles célestes, elle sillonnait sans répit les chemins de traverse et les sentes hors des sentiers battus, cheveux au vent, nostalgique des jours exquis, friande de caresses enchantées. A la fois fragile et rebelle, elle cherchait à émousser ses sens et voluptés dans l’extravagance et l’insolence de l’âme et du mystère. 

Chimère jaillie du désordre alentour, entre désir et pudeur, elle s’imaginait volontiers « main tendue » dans les escalades du voyage intérieur. Dans la confusion des sentiments et des résistances, elle s’appliquait à préserver et à réenchanter l’harmonie subtile d’un jardin secret en perte de félicité et d’espoir.

Avec fougue et ravissement, elle rêvait de se faufiler dans les délices envoûtants et enjôleurs d’une écriture poétique, ode sereine à la Vie, à l’Être Soi, divinement et profondément attachée à la tolérance, au libre arbitre et aux richesses dévoilées par l’Autre en partage de terres inconnues, hétéroclites, emplies de frénésie, de fébrilité et de magie.

Illustration 5
Divine muse © Vent d'Autan

Ils s’étaient rencontrés par hasard, en ces mêmes lieux où se lient et se délient l’étreinte  d’histoires clandestines. Chacun avait cru que cet attrait suffirait à ce que s’enflamme cette étincelle jusqu’à ce que la passion les étreigne corps et âme. Plus les jours filaient plus la complainte se faisait rengaine entre remords et regrets, les envolées en berne comme si l’espace d’un instant cette intrigue n’avait peut-être jamais existé.

Aux pires moments de cette insouciance qui fut la sienne il y eut cette douloureuse altération à ressasser des souvenirs qui n’en étaient plus, à ne plus qu’errer en interminables séquences de disgrâce, à détester quiconque ravivait son naufrage au crépuscule. Comment se souvenir de ces émois charnels disséminés dans la poussière des temps ? Autant de rumeurs sourdes aux couleurs des marées dont les passions les plus folles défiaient le rationnel, lui-même imaginé, oxydé parmi les songes.

Quoique qu’il fasse, à chaque coin de rue elle semblait à portée de main, campée en ces lambeaux d’atmosphère qui lui tenaient lieu de refuge aux heures fugitives échappées des friches de sa mémoire. Comment retrouver des sensations perdues, soumises au gré des vents et des silences des grands espaces? Ne sachant que faire il errait au hasard de sa solitude tout en observant les passantes du soir qui ne faisaient que passer, précipitées par les courants d’air. Bien qu’il fût tenté de les interpeller, son regard se fracturait sur ses éclats de visages brusquement happés. Le cafard, l’ennui, l’amertume, plus rien ne le retenait, plus rien ne pouvait transcender sa vie.

Qui était-elle vraiment ? Une esquisse effleurée dans le clair obscur, un soupir dans le flux des mots, une muse passagère, un souvenir altéré, un mystère non élucidé, un fantasme inavoué, un songe de folle nuit d’été ? Peut-être ne le saurait-il jamais….

Illustration 6
Girande ensoleillée © Edmey

Entre bruissements, émois et cohues, l’inspiration, belle à croquer, restait féconde. Les souvenirs aux intensités moindres changeaient de cap, d’autres souffles déambulaient du présent au futur, soulevant toujours troubles et égarements, tous, aussi splendides et libres. La plume privilégiait encore la grâce. Le flot des mots suivait sans le vouloir vraiment les flux et reflux d’une mer magnifique et profonde toujours recommencée !

La rencontre de l’immensité de la mer et de l’infinité du ciel délimitait toujours cette superbe ligne d’horizon, si parfaite et précieuse au regard. Pourtant, inexorablement, le temps avait fait fuir le temps. Comme d’habitude, il pressait la vie.

Nymphe, muse, sirène, chemin fondu ou plus simplement « Elle », elle commuait, tout en délicatesse, les mornes sinuosités de l’existence en escapades endiablées, humant les parfums d’embruns iodés, les effluves émotionnelles du sable aux senteurs paillées, épicées ou sucrées, préférant parfois la fragrance si particulière du pétrichor, saveur mêlée de terre et de pluie évaporée dans l’ardeur des jours chauds et ensoleillés.

Parenthèses folles et vitales étalées sur l’éventail des coloris et des nuances. Aventures insensées au milieu des rêves, des songes et des fantaisies, reflets d’espoir, de désir, de partage... Au temps compté…

En coup de Vent avec l'aimable complicité d'Edmey 

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