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Billet de blog 22 novembre 2024

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Une presse libre contre la sauvagerie politique

Partenaire historique de Mediapart en Espagne, InfoLibre m’a honoré de son Prix spécial Almudena Grandes à Madrid, le 21 novembre. Voici la traduction française de mon discours de remerciement.

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Le gala des prix InfoLibre 2024

Merci, du fond du cœur.

Je veux d’abord partager ce remerciement avec toute l’équipe de Mediapart. Car ce que vous honorez ce soir n’est pas l’aventure individuelle d’un journaliste solitaire. J’ai toujours défendu l’idée que notre métier ne s’épanouissait que dans un travail collectif. Et si je suis ce soir devant vous, c’est sans doute parce que je suis resté fidèle à cet idéal, quelles que soient les adversités.

Mediapart et InfoLibre partagent l’idéal qui anime ce combat. Une presse libre au service de l’intérêt public. Un journalisme indépendant de tous les pouvoirs. Une information de qualité qui refuse l’abaissement de la démocratie.

Lors de notre première rencontre avec Jesús Maraña, nous nous sommes rendus compte que nous parlions la même langue alors qu’il ne parlait pas français pas plus que je ne parlais espagnol – et, ce soir, vous pouvez constater, avec mon effroyable accent, que ce n’est pas encore le cas.

Oui, nous parlons la même langue : le journalisme ! Le journalisme comme engagement, comme responsabilité démocratique au service du public.

C’est ainsi que, depuis, nous cheminons ensemble, InfoLibre et Mediapart, main dans la main. À la manière du poème d’Antonio Machado : Caminante, no hay camino / Se hace camino al andar [“Toi qui chemines, il n'y a pas de chemin / Le chemin se fait en marchant”]… Un chemin de résistance, de refus des fatalités et des résignations. Un chemin d’espérance qui s’invente en marchant.

Illustration 2
De gauche à droite : Daniel Fernández, president de Ediciones Prensa Libre; Luis García Montero, directeur de l'Institut Cervantes; Mónica Grandes, sœur de Almudena Grandes; Jesús Maraña, directeur éditorial de InfoLibre.

Nous en avons bien besoin. Car c’est peu dire que les ombres menacent, au point que la nuit gagne un peu partout dans le monde. De la destruction par Israël de la Palestine à Gaza – massacres, crimes contre l’humanité, génocide – à l’avènement d’une présidence néofasciste aux États-Unis, sans oublier l’invasion de l’Ukraine par le nouvel impérialisme russe, la sauvagerie politique est de retour. Notre continent, l’Europe, ne sera pas épargné : partout, l’extrême droite, héritière des vieux fascismes, est à l’offensive.

Oui, la sauvagerie politique : cette violence nihiliste que produit l’aveuglement de la puissance, cette haine de l’altérité qui naît dans l’illusion de la suprématie, cette barbarie que portent les civilisations qui se croient supérieures à d’autres.

Le journalisme ne peut rester neutre face à cette catastrophe qui non seulement promeut le mensonge mais détruit notre raison d’être : la vérité, la recherche de la vérité, la défense de la vérité. Je pourrais être intarissable sur ce sujet et vous parler notamment d’Elon Musk, ce défenseur de l’apartheid devenu le plus puissant de nos ennemis. Mais je me suis dit que je risquais de gâcher la fête et de nous déprimer.

Nous n’avons pas d’autre choix que de faire face et de dire non, de toutes nos forces. Toutes et tous ensemble

J’ai déjà cité un poète, et je voudrais terminer en compagnie de ces chercheurs de rêves. Ne serait-ce que pour saluer celle dont ce prix porte le nom, notre chère Almudena Grandes, disparue bien trop tôt, et dont l’œuvre et la vie ont inspiré un poète, son compagnon et notre ami, Luis García Montero.

Toucher la peau du jour [“Tocar la piel del día”]: personne n’a mieux résumé le devoir de notre profession que Luis García Montero, dans son poème Conversation avec un journaliste.

Le journalisme, tel que nous l’entendons ici, est au service de cette politique sensible des poètes, à hauteur d’humanité, au plus près possible de la vie. Cette politique qui sauve l’espérance dans l’obscurité de la nuit, y compris quand l’humanité est massacrée, y compris quand la vie est détruite.

Cette politique fut chantée par l’immense Mahmoud Darwich, ce poète universel que la Palestine a donné au monde. L’un de ses poèmes s’intitule Pense aux autres. Je le cite :

Quand tu mènes tes guerres, pense aux autres.
(N’oublie pas ceux qui réclament la paix).

Oui, pensons aux autres. À tous les autres. Tous, avec les mêmes droits. Quelle que soit leur origine, condition, apparence, religion, sexe ou genre.

Le journalisme qui nous réunit ici est au service de cet idéal sans frontières : l’égalité des droits.

Je vous remercie.

> La version originale espagnole de ce discours de remerciement.

> Le compte-rendu de la soirée sur InfoLibre.