Cet article est la suite de celui-ci : 4 incohérences dans le résultat à gauche du sondage Ipsos d'Avril pour 2022 (lien)
Après avoir analysé le précédent sondage d’Ipsos (celui du 24 Avril) et tenté d’expliquer cette différence avec l’ensemble des enquêtes des autres instituts par la décision de l’entreprise d’éliminer TOUTES les personnes non certaines d’aller voter (conservant entre «4416 et 6128 personnes certaines d’aller voter» sur 10 000 interrogées), Ipsos, par l’intermédiaire de son médiatique directeur de recherche Mathieu GALLARD, a -et m’a- affirmé à plusieurs reprises que cette méthode était la norme. Cela est bien évidemment totalement faux, j’y reviendrai en seconde partie avant de regarder la sociologie des répondants "certains d'aller voter".
1-La différence de résultats entre Ipsos et TOUS les autres instituts
Cette fois Ipsos ne sonde que 1 499 personnes (10 000 la dernière fois) et conserve toujours seulement les «certains d’aller voter», entre 784 et 802 ici soit une participation de ~53%. Pour rappel la participation en 2017 était de ~77,8% et le plus bas niveau de participation pour une présidentielle à ~71,6% en 2002.
Comme en Avril, Ipsos est en décalage avec toutes les autres enquêtes, décalage concernant encore uniquement les 3 candidats principaux à gauche puisque pour l’ensemble des autres sondés on observe des résultats cohérents avec les différentes mesures effectuées.
Autrement dit Ipsos est le seul et unique institut à sonder Hidalgo et Jadot au dessus de Mélenchon alors que la totalité des plus de 25 autres sondages testant plus de 70 configurations, donnent un résultat inverse.
Si l’on compare les résultats d’Ipsos avec l’ensemble des autres sondages réalisés du 24 Mai au 5 Juillet, soit 10 enquêtes testant 24 configurations, cela donne :
- Dans les 3 cas testés par Ipsos, Hidalgo réalise 8 ou 9%, soit 2 à 5 points de plus que TOUS les autres sondages qui, additionnés, proposent une moyenne de ~6% soit 2 à 3 points de moins que cette enquête;
- Dans les 3 cas testés par Ipsos, Jadot réalise 10%, soit 1 à 4,5 points de plus que TOUS les autres sondages qui, additionnés, proposent une moyenne de ~7% soit 3 points de moins que cette enquête;
- Dans les 3 cas testés par Ipsos, l'addition (pas l'alliance) du résultat de Hidalgo + Jadot réalise 18% ou 19%, soit 2 à 9 points de plus que TOUS les autres sondages qui, additionnés, proposent une moyenne de ~13,5%, soit 4,5 à 5,5 points de moins que cette enquête;
- Dans les 3 cas testés par Ipsos, Mélenchon réalise 7%, soit 2 à 6 points de moins que TOUS les autres sondages qui, additionnés, proposent une moyenne de ~10%, soit 3 points de plus que cette enquête;
Comme la fois précédente, la différence entre Ipsos et l’ensemble des autres instituts ne peut provenir de la marge d'erreur puisque celle-ci est autour de 2 points par sondage.
Sur la marge d'erreur : Avec une différence ici observée autour des 3 points cela signifierait que systématiquement Ipsos se serait complètement planté de 2 points (total marge d’erreur) et qu’en plus la moyenne des autres sondeurs serait également trop basse d’1 point (la moitié de la marge d’erreur), ou inversement.
De la même manière, cette différence ne peut ni s’expliquer, ni se retrouver, dans les écarts des autres candidatures (hors gauche) puisque Ipsos sonde tout le monde, sauf Jadot, Hidalgo et Mélenchon, dans la moyenne. C'est à dire que Ipsos mesure (toutes les comparaisons proviennent d'enquêtes comparables, réalisées du mois précédent au mois suivant) :
- Roussel+Poutou+Arthaud à 4% (~4% en moyenne chez les autres sur 23 configurations)
- Macron entre 24 et 27% (~26.5% en moyenne chez les autres sur 26 configurations )
- Bertrand à 18% (~16% en moyenne chez les autres sur 11configurations)
- Pécresse à 13% (~11.5% en moyenne chez les autres sur 7 configurations)
- Wauqiez à 13% (~12% en moyenne chez les autres sur 5 configurations)
- Dupont-Aignan à 5% (~4% en moyenne chez les autres sur 26 configurations)
- Le Pen entre 24 et 26% (~26% en moyenne chez les autres sur 26 configurations)
La dernière fois j’avais supposé que sélectionner uniquement les réponses certaines d’aller voter, conservant ainsi une participation de 44% à 61%, était probablement la raison de telles différences, sans pour autant tenter de l’expliquer. En effet le but était plutôt de montrer le décalage étonnant entre Ipsos et l’ensemble des autres instituts. Cependant le directeur de recherche d’Ipsos, Mathieu Gallard, a depuis affirmé à plusieurs reprises que cette méthode était la norme. Alors regardons ce qu’il en est chez les autres instituts et également en quoi une telle méthodologie pourrait autant inverser les tendance à gauche.

2- Non, conserver uniquement les 100% «certains d’aller voter» produisant une participation autour des 50% n’est pas la norme.
Sur les 18 enquêtes testant 58 configurations depuis le 1er Avril 2021, voila ce qu’il en est :
- Elabe, qui produit 2 enquêtes et 5 configurations pour BFMTV, conserve «les individus ayant donné une note de 8 à 10 sur l’échelle d’intention d’aller voter à l’élection présidentielle», amenant à une participation de 77% mi-Avril puis de 81% fin Juin.
- Harris-Interactive, qui produit 9 enquêtes et 23 configurations pour Challenges, mesure la certitude d’aller voter autour de ~67% mais pose la question «Aux inscrits sur les listes électorales» sans note particulière, il semble donc que les données publiées le sont indépendamment de la certitude d’aller voter.
- OpinionWay produit 1 enquête et 3 configurations pour Cnews mais n’a pas encore publié sa notice.
- Ifop, qui produit 4 enquêtes et 21 configurations propose trois notices différentes :
-Dans l’enquête début Avril, pour Le Journal du Dimanche et Sud radio, il est précisé «Ensemble des électeurs Avril 2021» sans aucune autre note ni astérisque.
- Dans l’enquête début Juin testant Zemmour pour Le Point il est précisé que «les scores établis tiennent compte des redressements Présidentielle 2017 (1er tour) sur la base des électeurs certains d’aller voter» et mesure la certitude d’aller voter à ~70%.
-Dans les deux enquêtes «baromètre» de mi Mai et fin Juin/début Juillet, pour LCI et Le Figaro, il est précisé «Ensemble des électeurs» dans la version simplifiée puis «Ensemble des personnes inscrites sur les listes électorales²» renvoyant vers «²Sur toutes les personnes inscrites sur les listes électorales interrogées, 929 personnes ont exprimé une intention de vote. Sur toutes les personnes inscrites sur les listes électorales et certaines d’aller voter interrogées, 691 personnes ont exprimé une intention de vote.», ce qui laisse plusieurs interprétations possibles***. Si une sélection des certains d’aller voter est utilisé par Ifop, cela ramène donc à une participation de 49,7% (redressé) et donc une abstention de 50,3%. Encore une fois impossible pour une présidentielle.
***J’ai interrogé plusieurs fois Ifop et la commission des sondages mais n’ai jamais reçu de réponse.
Ipsos est donc le seul institut à conserver uniquement les 100% certains d’aller voter, et probablement Ifop dans le sondage sur Zemmour ainsi que dans les deux enquêtes «baromètre» , soit 5 enquêtes sur 18, ou encore 17 configurations sur 58. Bref, bien loin de ce qu’affirme Mathieu Gallard puisque cela représente moins d'un tiers de l'ensemble des sondages effectués.
3-Les biais provoqués par un sondage ne conservant que les totalement certains d'aller voter
Tout ceci est très important car, comme le montre Elabe en publiant plus de données que la moyenne (3), si un sondage ne prend que les réponses totalement certaines d’aller voter alors on se retrouve avec différents biais, notamment 67% de plus de 65ans contre 49% de 18 à 24 ans et 40% de 25 à 34 ans, écart qui se ressert énormément lorsqu’on ajoute les personnes presque certaines d’aller voter (80% et plus), pour passer à 88% de plus de 65 (+21), 79% de 18 à 24 ans (+35) et 70% de 25 à 34 ans (+30).
On observe également que les électeurs de Mélenchon en 2017 ne sont que 57% à se dire totalement certains d’aller voter contre 66% pour Hamon, alors qu’en incluant les «presque certains d’aller voter» (80% et plus) les électeurs de Mélenchon passent devant avec 85% (+28) d’intéressés contre 83% (+17) pour Hamon. Pour faire le lien avec le sondage Ipsos, je ne pense ne pas avoir besoin de démontrer que l’électorat de Hamon 2017 est plus susceptible de voter Hidalgo ou Jadot, que celui de Mélenchon 2017.

Voila comment, en sélectionnant dans un sondage les réponses uniquement 100% certaines d’aller voter, rabaissant le panel à une participation autour de 50%, le résultat peut se retrouver totalement altéré, négligeant la participation réelle à cette élection ou encore les nombreux gens qui se décident à aller voter au dernier moment (ce qui n'empêche pas pour autant d'avoir une opinion).
Il faut d'ailleurs avoir en tête que ces sondages étant réalisés d'une traite, des personnes répondent à l'ensemble du document, mais sont supprimés du résultat à partir du moment où ils ne se déclarent pas 100% certains d'aller voter.
Enfin, cette sélection favorisant surtout les électorats âgés et/ou sûrs de leurs choix, plus un sondage sélectionne dans la certitude d’aller voter, plus la droite se retrouve surreprésentée. Elabe le démontre bien : en gardant seulement les totalement certains d’aller voter, les personnes sans préférence partisane sont 42% et la "Gauche" 57%, contre 68% pour la Droite et 69% pour RN et LREM. En ajoutant les personnes presque certaines d’aller voter (80% et plus), l’intérêt augmente de ~62% pour les sans préférence partisane, ~45,5% pour la gauche, ~39,5% pour la droite, ~33,5% pour le RN et ~30,5% pour LREM. Autrement dit l'écart de mobilisation entre la Gauche et les trois tendances de droite est plus ou moins divisé par deux lorsqu'on inclut les personnes sûres à 80% d'aller voter !

Bref, en plus de ne pas être représentatif de la réalité, et en plus de fausser le résultat intérieur à la gauche, cela produit une surreprésentation de l’ensemble de la droite. Cela n'est pas le sujet ici, mais c'est assurément l’une des explications de la surreprésentation de l’extrême droite et de la droite (souvent le candidat présenté comme le meilleur concurrent à Le Pen), ainsi que la sous-représentation de la «gauche», depuis des années, malgré des résultats qui régulièrement démontrent le contraire (4).
-
(1) La publication des sondages doit obligatoirement s'accompagner de certaines indications dont la liste a été complétée par la loi du 25 avril 2016 : noms de l'organisme de sondage, de l'acheteur et de l'éventuel commanditaire du sondage, nombre de personnes interrogées et date des interrogations, texte intégral de toutes les questions posées, mention précisant que tout sondage est affecté d'une marge d'erreur, marge d'erreur, mention indiquant le droit de toute personne à consulter la notice prévue par l'article 3 de la loi. La commission veille à ce que cette disposition soit effectivement appliquée. Cette règle a une conséquence importante : à défaut des mentions imposées par la loi, la publication d'un sondage est irrégulière; la commission a estimé qu'un journal commet une infraction en donnant les résultats d'un sondage dont il n'est pas en mesure d'établir l'origine.
Source : https://www.commission-des-sondages.fr/oblig/obligations.htm
(2) Page Wikipédia référençant tous les sondages:
Liste de sondages sur l'élection présidentielle française de 2022
Site de la commission des sondages référençant les notices techniques:
https://www.commission-des-sondages.fr/notices/
(3) Sondage Elabe apportant une notice très détaillée :
Les Français et l’élection présidentielle 2022 Sondage ELABE pour BFMTV 30 juin 2021
(4) Pour ne citer que la dernière présidentielle Le Pen était sondée à ~27% sur l’ensemble de l'année 2016 pour un résultat 6 points inférieurs en 2017, même chose pour la droite conservatrice parfois sondée à 35% durant plusieurs semaines de l'année précédent l'élection, ou encore TOUS les sondages de 2016/2017 qui testaient Valls, Macron, Bayrou & Fillon en même temps donnaient un résultat additionné de ~55 à 60% pour ce qu'on peut considérer du centre à la droite conservatrice, soit 10 à 15 points de plus que le résultat final. A l'inverse le total de tout ce qui était à gauche de Hollande ne dépassait jamais les 15-20% durant toute l'année 2016. Autrement, on a jamais vu un institut de sondage ou un média surévaluer/surmédiatiser la gauche sur une période significativement durable, alors que pour l'inverse les exemples ne manquent pas, et cela ne va pas en s'arrangeant.
Encore ? De tête, Le Pen était sondée à ~21-22% sur les six premiers mois de 2011 pour un résultat 3-4 points inférieurs en 2012 et jusqu'à une dizaine de points en plus pour le RN dans les sondages des régionales 2021 etc...etc...