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Billet de blog 3 févr. 2019

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Si j’étais moi ou les 7 vies des chattes

Dans ce deuxième épisode de Cartes d'identité après «Magic Bab el-Oued», je découvre avec l'artiste Pauline Rousseau la vie qu'elle aurait eue si seulement…

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Illustration 1
Délits d'objets © ©Pauline Rousseau

Après « Magic Bab el-Oued », de Sabrina Kassa, qui m'a permis de découvrir la part algérienne de Barack Obama, j'ai décidé de poursuivre ma quête identitaire à la recherche des mondes parallèles. Le monde parallèle ? C'est quand on pense : "si j’étais restée avec cette personne, quelle aurait été ma vie ?" Je me suis posé bien des fois la question et pas seulement celle-là. Parfois, je me disais : « si j’avais vu le jour au Moyen Age, aurais-je survécu jusqu'à l'âge que j'ai aujourd'hui ? », ou encore « si j’avais pris cet appartement de la rue des Bernardins, aurais-je rencontré le fantôme de Cyrano de Bergerac (qui y avait vécu, comme je l'ai appris trop tard) ? ».

Pauline Rousseau, qui expose à la galerie Dilecta une série de photos intitulée « The Would be me » (que je traduirais bien par « Si j’étais moi ») explore ces possibles qui n’auront jamais lieu « entre un passé qui est révolu et un futur qui n’existera pas ». Comme un jeu des 7 familles ou les 7 vies du chat, ces 7 clichés racontent la vie qu’elle aurait vécue si (et seulement si) elle avait eu un enfant avec tel amant de passage, si elle avait épousé un copain d’école, si elle s’était « rangée » dans les attentes que la société avait formées pour elle : des épousailles comme dans les photos de mariage, un enfant comme dans les faire-part de naissance, un brunch alangui comme sur Instagram, des dimanches chez les beaux-parents comme dans les albums de famille, les séances de sport comme dans les résolutions de janvier pour rester « bien gaulée ».

Mettant en scène des personnes qui ont eu une importance dans sa vie sentimentale,  Pauline Rousseau nous fait douter de la réalité. Les possibles qu’elle imagine dans ce catalogue de vies imaginaires ne sont pas extrêmes : elle n’a pas eu à choisir entre sombrer et atteindre les sommets. 

Illustration 2
The Would Be Me © ©Pauline Rousseau

Ici, c’est la tentation de la norme qu’elle illustre, celle d’une jeune femme blanche de la classe moyenne, bien éduquée, qui porte sur le monde un regard empathique et teintée d’ironie. Et l’attrait de cette série repose précisément sur l’envers qu’on imagine : si elle ne s’est pas soumise aux « injonctions sociétales qui s’imposent aux femmes », où ses choix l’ont-ils donc conduite ? Une exploration de son CV d’artiste permet d'imaginer les chemins de traverse qu’elle a empruntés, dans les tribunes du PSG, au Niger ou encore sur les rives de la masculinité, comme en témoigne l’émission LSD de Juliette Boutillier sur France Culture : « Est-ce ainsi que les hommes se vivent ? », où elle explique comment elle voit la virilité dans l'oeil de son appareil photographique.

DELIRES D’OBJETS

Au fil des images, son art de la suggestion fascine, et le traitement photographique, qui emprunte à l’univers de la vie parfaite, telle qu’on le décline inlassablement sur les réseaux sociaux, dénonce en creux cette quête d’illusion qui fait de sa propre image la drogue la plus dure. La seconde série exposée dans la galerie poursuit d'ailleurs cette quête de soi au royaume des apparences. Dans « Délits d’objets », Pauline Rousseau pulvérise avec élégance cette supercherie que sont les Boulots de merde proposés jusqu’à un âge avancé aux nouvelles générations : «Après cinq années d’études supérieures et de jobs étudiants, des centaines de curriculum vitæ envoyés, environ quarante entretiens et vingt-deux emplois différents, ma capacité à faire semblant s’est sérieusement étiolée. Inventer des compétences inexistantes, se dire «dynamique» et «motivée» pour plier des vêtements pendant les soldes en étant payée 7 euros de l’heure, énoncer de manière convaincue que mon seul défaut est le «perfectionnisme» et que je suis «quasi-bilingue» en anglais et en espagnol... »

Ce point de départ donne lieu à une série d’images qui repose encore sur l’idée du recto-verso. D’un côté, une petite édition d’artiste où Pauline Rousseau présente les images froides, cliniques, des objets qu’elle prétend avoir dérobés lors de ces boulots de seconde zone qui ont dévoré sa vie : crayons de couleur d’un magasin d’arts graphiques, dosettes de café, chaussures… sont photographiés à titre de preuves, comme dans un dossier policier instruit à charge. A ce livret répond une série de collodions, ce très ancien procédé photographique sur plaque inventé en 1851 par Frédérick Scott Archer, qui met en scène l’artiste avec ces objets. Grâce à ce procédé révolu, ces images semblent mystérieusement exhumées du passé, révélant un charme presque hypnotique. Si vous passez, avant le 23 février, 49 rue Notre-Dame de Nazareth, n’hésitez pas à entrer. Vous n’en ressortirez peut-être pas tout à fait par le même espace temps.

Galerie Dilecta, 49 rue Notre-Dame-de-Nazareth, 75003 Paris. Jusqu'au 23 février.

paulinerousseau.com

https://www.instagram.com/rousseaupaulinepauline/?hl=fr

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