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Billet de blog 12 septembre 2020

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♦ Des tomates et autres considérations

Le bLog et moi 4 : Effet de génération.

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 Des tomates et autres considérations

On a dark desert highway,
Cool wind in my hair,
Warm smell of colitas,
Rising up through the air…

Eagles, Hotel California, 1976

Dans son univers, il y a par exemple les tomates killeuses ou les Killer Tomatoes, dont la traduction plus exacte serait les tomates tueuses.

Le premier film du genre, Attack of the Killer Tomatoes (1978) entre dans la gamme de ces monuments de non-sens que Wikipédia répertorie sous le terme générique de comédies horrifiques, au sein desquelles il convient de distinguer les parodies et pastiches d’horreur, les splatsticks¹, les satires trash et les comédies d’épouvante. Il me semble personnellement qu’on peut passer sur cette classification et qu’il s’agit surtout d’une parodie de films de science-fiction, au même titre que Mars Attacks, même si à l’évidence, le budget des tomates était beaucoup plus minuscule. Cela dit, le film eut beaucoup de succès et fut même suivi par trois autres, Return of the Killer Tomatoes (1988), Killer Tomatoes Strike Back (1990) et Killer Tomatoes Eat France ! (1991), ainsi que par une série télévisée en 1990. Il faut un peu de bonne volonté pour s’y intéresser, comme à toutes les séries B, mais ce n’est pas interdit aux moins de dix-huit ans et celui dans lequel les tomates tueuses mangent la France se retrouve entièrement, et en version sous-titrée, sur YouTube. Dans le premier opus de la trilogie, l’humanité doit faire face à un nouveau péril : l’attaque de tomates mutantes et carnivores. Dans le deuxième, un savant fou, le Dr Gangrène, met au point un procédé pour transformer les tomates en tueuses d’êtres humains. Dans le troisième, elles reviennent encore et dans le dernier, une sorte de quatrième mousquetaire de la trilogie, eh bien…

Je ne suis pas certaine que l’œuvre de John De Bello mérite une exégèse complète ni qu’on puisse tirer des conséquences philosophiques définitives de sa production cinématographique, comme par exemple un jugement sur l’existence de Dieu, et j’avoue d’ailleurs que je n’ai pas fait l’effort de tout visionner, mais comme j’ai un passé d’historienne et même de chercheuse en histoire (comme de chercheuse d’histoires mais c’est une autre histoire²), il me semble qu’il est important, du jour où l’on s’attaque à une reconstitution historique, de viser l’exhaustivité et d’être le plus précis possible sur le déroulement des faits, tout en cherchant à éclairer le contexte par tous les moyens disponibles, y compris le carbone 14 quand c’est nécessaire. C’est pourquoi la référence aux tomates me semble indispensable, en ce sens qu’elle éclaire non seulement sa personnalité mais également la raison pour laquelle Alberteins et moi-même avons pu entrer en communication avec lui.

C’est en grande partie un effet de génération, je crois, parce qu’on a tous les trois passé le Bac entre 1979 et 1982 ou dans ces eaux-là. Dans toutes les générations il y a des marqueurs, Monthy Python en est un, et il me semble que notre génération a cultivé le second degré plus que toutes les autres, tant les années 1980 et 1990 ont été marquées par la profusion de films et d’humoristes pratiquant le genre, alors qu’on a l’impression aujourd’hui qu’il a changé de camp (le second degré) et gare tes arrières si tu ne veux pas insulter l’une ou l’autre de nos communautés.

Quand j’écoute Desproges, Coluche, Les Inconnus et même Guy Bedos, je ne cesse de me dire que par les temps qui courent, ça ne passerait plus. Est-ce que c’est à cause des sujets, l’écologie, l’Islam, les violences sexuelles, ou est-ce que ce sont nos oreilles ? Il y avait déjà des sujets casse-gueule, à l’époque, comme l’antisémitisme et le racisme, qui ne renonceront jamais, mais il est vrai qu’il était sans doute plus facile de se payer la fiole de l’Église catholique que de s’en prendre à Mahomet, parce que c’était du même côté que la subversion, alors que les sujets d’aujourd’hui sont plus transverses et qu’ils tendent à pulvériser les chapelles en milliers de particules. D’aucuns estiment que c’est également la faute aux réseaux sociaux, je ne sais pas. Quant à l’aîné de mes fils, il dit qu’on arrivera à se débarrasser du racisme, jamais du sexisme. Je ne sais pas non plus mais je trouve que c’est une position étonnamment optimiste (sur le racisme) et que l’actualité de l’année 2020 ne lui a vraiment pas donné raison, c’est le moins qu’on puisse dire. Nous ne voyons finalement le monde qu’à travers la lucarne de notre petit périscope personnel et je veux bien croire que dans son école d’informatique, les filles sont sans doute la minorité la plus en danger, tandis que dans sa génération à lui, ou dans ce milieu-là tout au moins, le racisme entre rarement en ligne de compte. On n’y pense même pas, que les gens seraient d’une autre couleur, on ne le voit même pas, et si c’est vrai c’est tant mieux.

Alberteins avait beau être un militant, et comme tous les militants très épidermique sur un certain nombre de sujets (ayant trait ou non à JLM dont j’ai déjà parlé), on pouvait se retrouver sur la musique, l’équipée stéphanoise de qui c’est les plus forts évidemment c’est les verts et le second degré. La seule fois où j’ai tiqué et menacé de me fâcher, c’est quand il a posté une photo que j’ai jugée sexiste et humiliante, qu’il avait empruntée à un autre blogueur et qui représentait des autruches. Même sur ce sujet-là toutefois, cela avait fini en fou-rire, chacune de nos rencontres donnant régulièrement lieu à des sous-entendus relatifs à ces autruches, qu’il allait sortir et sur lesquelles j’allais alerter La Modération, notamment lorsque Caroline de Haas et Christiane Taubira viendraient nous rendre visite.

Un peu plus vieux que nous, il y eut aussi Saladin, que je désigne volontairement par son premier pseudonyme pour qu’on ne puisse pas le reconnaître, puisqu’il a également blogué sous son vrai nom. Avec Saladin, que j’ai vite surnommé mon Salade, ce qui avait été drôle, c’est quand je lui avais cité les comics de mon enfance, parmi lesquels Blek le Roc, Akim, et même Zembla, ce qui lui avait arraché une exclamation : Tu lisais Zembla !?? Oui, oui, je lisais Zembla, ce qui ne m’a pas empêchée de lire aussi les autres un tout petit peu plus tard, la totalité de la liste de Lagarde et Michard, en fait, plus la littérature étrangère et de m’attaquer sans barguigner à La critique de la raison pure, je ne vois pas pourquoi ce serait exclusif et n'en déplaise aux censeurs. (Tata Jeannie me l'avait foutu à la poubelle, mon Zembla, au motif que c'est pas une lecture de fille et que c'est pas avec ça qu'on va avoir des bonnes notes en français.)

Ce sont ces deux générations, je trouve, avec lesquelles je puisse partager une culture commune. Les plus anciens sont beaucoup trop polis, voire sentencieux, et les plus jeunes ont changé de références. Mes fils, par exemple, sont incollables en mangas mais pas tellement en comics, ni même en BD. Même s’il n’est pas question de généraliser, bien entendu, que la série des tomates tueuses se retrouve aussi sur les consoles Nintendo et qu’on peut être sentencieux à tout âge.

Reste que la taxinomie sociale m’emmerde, que je n’ai pas l’impression d’être ce que je suis, ou tout au moins de répondre à la catégorisation qui colle à mon pedigree, alors que l’attirance, elle, se définit par une série de tous petits signes et de points de repère. Disons que les tomates killeuses étaient déjà l’un de ces points de repère et que chacun sa définition personnelle de ce qui fait le charme. Même si ça peut paraître bizarre, on ne cherche pas forcément la similitude ou les fameux « goûts communs », chez l’autre. On a aussi besoin de l’altérité, à condition que cette altérité soit un peu humaine, écornée, qu’elle finisse par livrer une petite faille, comme un tout petit passage du Nord-Ouest ou, si vous voulez, comme la définition du sapate, chère à Francis Ponge : quelque chose de précieux enfermé dans quelque chose de moins précieux. Si j’en reprends la définition du dictionnaire³ et pour que ce soit plus explicite, le sapate est un présent considérable, donné sous la forme d’un autre qui l’est beaucoup moins, un citron par exemple, et il y a dedans un gros diamant.

(Là, je sens que vous allez commencer à vous gondoler, en vous disant que cette fille est à la poursuite du diamant vert. Pas du tout. Le rayon vert, à la rigueur, mais c’est bien pour vous faire plaisir et reconnaissez tout de même que partir de L’Attaque des tomates tueuses pour enchaîner sur Le Rayon vert, voilà qui ne peut que vous éclairer sur la suite : pour l'avoir entamée, cette histoire, il fallait déjà que ses deux protagonistes fussent sérieusement fêlés de la soupape).

À suivre

[1] Bâton claqueur en français, comme la sonorité que l’on entend dans certains films, à chaque coup de poing de la bagarre : pof, pok, schplaf. Genre d’humour impliquant une violence physique volontairement exagérée.
[2] Vous avez remarqué, comme les termes « chercheuse d’histoires » ne résonnent pas tout à fait de la même manière que « chercheur d’histoires » ?
[3] Dans dicocitations.lemonde.fr, par exemple.

Prochain épisode : Au bord du fil

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