Emma Rougegorge (avatar)

Emma Rougegorge

Apprentie de l'écriture

Abonné·e de Mediapart

251 Billets

0 Édition

Billet de blog 18 mai 2018

Emma Rougegorge (avatar)

Emma Rougegorge

Apprentie de l'écriture

Abonné·e de Mediapart

Un dîner rue de Solférino, Saison 3

Aiguisez vos couteaux, salivez de vos baves de crapauds, c'est reparti !! Épisode 22, et toujours rien sur Asnières.

Emma Rougegorge (avatar)

Emma Rougegorge

Apprentie de l'écriture

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

 Chapitre en construction...

 ¿ Cuba no, Cuba si ?

Illustration 1

Je n’avais pas de nouvelles de René depuis un moment. D’après ce que m’avait dit l'un de nos amis communs, Jean-Rémi avait fini par le quitter. Plus exactement, il avait quitté dans le même mouvement le théâtre, le chien, la vieille, son autre boulot à mi-temps au Coconut et finalement René.

Pour où et avec qui, mystère, les renseignements du copain étaient un peu vaseux à ce sujet : une retraite dans les Cévennes avec un moine bouddhiste ? une croisière sur un paquebot de luxe voguant vers l’Italie avec une autre vieille ? un contrat de serveur à plein temps au Cap d’Agde, dans un café  underground qui faisait à la fois tatouage et restauration, en compagnie d’un acteur engagé rencontré l’été dernier au festival d’Avignon, il ne savait pas trop mais, quoi qu’il en soit, m'avait-il dit, René avait l’air de résister assez bien, d’autant plus que, la place étant libre, il avait proposé une colocation à un certain Mike, un universitaire américain. Pour le dépanner, tu vois, parce que c’était beaucoup plus simple pour lui de résider au centre de Paris que de se taper le RER tous les matins et tous les soirs…

 - Oui, oui, je vois… Il faut que je le rappelle, René, mais ça sonne toujours dans le vide et il ne répond plus trop à mes mails, sauf pour me dire qu’il a bien reçu et qu’il me donnera les détails plus tard. Sûrement à cause de la dernière ligne droite de la thèse, et aussi de la préparation du séminaire, il est débordé, sûrement…

...

Je lui avais donc envoyé ma nouvelle mais je n’avais pas eu le temps pour les recommandations et le contexte, et ça m’ennuyait, parce qu’à mon avis le contexte, c’est comme au cinéma. Au cinéma, c’est souvent l’instant qui compte. Par exemple, je me souviens du jour où je suis allée voir ce film, Les Ripoux, pour la première fois au cinéma, c’était à Toulon en 1984, et c'était l'année du coming out de René, je crois, parce que Thomas faisait son service militaire là-bas, que je n’avais rien à faire et que je passais des heures au cinéma, d’autant plus que c’était aussi l’année où Marguerite Duras a eu le Prix Goncourt pour L’Amant, sans que ces deux faits (Les Ripoux et le Prix) aient un quelconque rapport entre eux mais ils sont restés liés dans ma mémoire, désespérément scotchés ensemble, et il se trouve que ce jour-là, pendant la séance et en sortant du cinéma, j’étais furieuse, outrée, ulcérée, excédée : comment était-il possible que le charmant Thierry Lhermitte, ce jeune fonctionnaire propre sur lui, ait pu si facilement se laisser berner et corrompre par ce vieux roublard de Philippe Noiret, se délester de tous ses principes, coucher avec une pute, abandonner tout son fric, ses vêtements, son pèze, son flouze dans un restaurant russe, uniquement pour l’amour de cette pute soi-disant de luxe, en manteau de renard ridicule et qui le regardait avec des yeux de merlan frit, voilà qui me dépassait.

En substance, si vous voyez ce que je veux dire, le second degré m’avait complètement échappé.

Comme, par la suite et aujourd’hui encore, je revois ce film avec plaisir, surtout avec les enfants, et que je me gondole chaque fois, je me dis que c’est forcément relatif, le cinéma, que ça dépend de l’instant et de comment tu reçois le film, à quel moment de ta vie. Et le film, on le reçoit très différemment selon qu’on a vingt ans et qu’on le regarde seule, dans une salle obscure de Toulon en se demandant si je devrais l’acheter, L’Amant, étant donné qu’on n’a plus tellement de fric mais que les livres ça compte, ou est-ce que je ne devrais pas quitter Thomas, aussi et par la même occasion, ou qu’à peu près à la même époque (1983), tu vas voir Vive la sociale, un soir avec des copains aux Quatre temps de la Défense et qu’on a un petit coup dans l’aile, en plus, vu qu’on est allé se taper une pizza à la pizzeria, qu’on a bu du Valpolicella et que, du coup, on en ressort tous les quatre en chantant dans les couloirs du RER, comme des abrutis et en zigzagant un peu : Cuba no, Cuba si, Cuba no, Cuba si, yo-ho-ho, oh-oh-oh, Cuba no, Cuba si

C’était si drôle ce film, ça mettait de bonne humeur…

C’est pourquoi j’aurais bien aimé lui expliquer, à René, pour ma nouvelle, pour être sûre qu’il la recevrait bien, pas comme la fille de la maison d’édition qui avait eu l’air de trouver que je faisais des réflexions déplacées sur la politique. Bon, mais, à la fin, à force que le téléphone ne réponde pas, je m’étais dit, laisse tomber, il le verra bien tout seul… Ou pas.

_______________________

Sans obligation d'achat, contrairement à la vidéo de Vive la sociale, qu'il est impossible de copier sur le Net :

La dépression

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.