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Billet de blog 30 mars 2021

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3- Les lieux de mémoire (2)

Lorsque sortit le film L’Amant, de Jean-Jacques Annaud, et que son adaptation cinématographique déclencha une forme de pugilat entre lui et Marguerite, le dénommé Gérard Lefort, qui tenait alors la rubrique cinéma de Libération, commit un article jubilatoire...

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Lorsque sortit le film L’Amant, de Jean-Jacques Annaud, et que son adaptation cinématographique déclencha une forme de pugilat entre lui et Marguerite, le dénommé Gérard Lefort, qui tenait alors la rubrique cinéma de Libération, commit un article jubilatoire, intitulé, de mémoire : « L’Ours et la mémé ». Le moins qu’on puisse dire est qu’il n’avait pas aimé le film, qu’à l’évidence il tenait pour trop télégénique et aseptisé. Il décrivait les poses alanguies des deux amants avec beaucoup de verve, dénonçait l’exotisme de bazar (chaleur torride = ventilateur ; ambiance coloniale = stores à lamelles ; séducteur = gominé) et l’expression la plus amusante, celle que Nelly avait préférée, c’était « fait-moi du pousse-pousse, chéri » (dans l’espace confiné de la chambre, oublions le tohu-bohu de Saïgon, la moiteur des rives du Mékong et le scintillement des rizières). Surtout, il terminait son morceau de bravoure en écrivant : " Ce qui prouve bien qu’on ne peut pas avoir le beurre, l’argent du beurre et… le cul de la crémière."

Hum, le cul rebondi de la crémière, je n’irai pas jusqu’à dire que l’inspiration romanesque de Nelly viendrait de là, mais presque. Était-il possible d’écrire un roman pornographique qui fût drôle ?

Vous me direz qu’il y a une grande différence entre l’érotisme et la pornographie. Certes, mais face à cet argument de taille, je vous en donne deux, et sans bouger l’autre. Premièrement, dans les films, et si l’on excepte quelques chefs-d’œuvre, la seule différence est que le sexe des femmes, dans l’érotisme est montré, peut-être pas sous toutes les coutures mais on en voit suffisamment, tandis que celui des hommes, jamais. C’est à mes yeux la principale et significative différence, comme du sexisme ordinaire. Alors que dans la pornographie, on montre les deux et sous toutes les coutures, ce qui ne veut pas dire pour autant que ce ne soit pas sexiste. Deuxièmement, c’est beaucoup plus long à se dégeler, l’érotisme. Cela passe généralement par une attente interminable et des kilomètres de pellicule dépensés en décollages d’avions, atterrissages langoureux, trajets en voiture, découverte de la maison, intermèdes consacrés au bruit de la fontaine ou du jacuzzi, vue panoramique sur la piscine, etc., sur fond de musique d’ascenseur. Au bout d’un moment, on bâille et on va se coucher. Attendre aussi longtemps pour se retrouver dans un documentaire même pas animalier, c’est désespérant. Tandis que la pornographie, c’est plus animalier, c’est du sexisme aussi, mais pas ordinaire. On sait au moins contre quoi il va falloir se battre et que ce sont des représentations qui nous font du mal, quel que soit le plaisir. Toujours : ça reste imprimé et il n’y a pas de pornographie douce. Quant au plaisir, il est forcément mêlé de culpabilité, dès lors qu’il est en parfaite contradiction avec la représentation qu’on a de soi.

Quoi qu’il en soit, dans son projet romanesque, Nelly avait adopté la même ligne de conduite qu’en ce qui concerne le beurre et la crème. Soit j’en mange, soit je n’en mange pas, mais il est hors de question que j’achète un jour du beurre allégé, de la crème à 15% ou du Coca light. Alors, pour le roman, ce sera pareil, n’ayons pas peur des mots et regardons les choses bien en face. On y mettra de l’ironie mordante et ce sera un chef-d’œuvre.

– Hum, je ne suis pas certaine que l’ironie mordante… Cela risque d’être un peu débandant, l’ironie mordante, tu ne crois pas ?

– Eh bien, allons-y gaiment, je viens d’inventer le premier roman pornographique débandant, ce sera un chef d’œuvre !

« … puisque les domestiques, très bien sélectionnés pour leur basse moralité, les bougres, avaient parlé. Dans leur langage à eux, bien sûr, et comment s’en étonner, pour dire que la gamine était si délurée, l’insolente, qu’en la recouvrant de crème (de massage), la vieille s’en était aperçue. Et lorsque le fils de la Renée s’était approché, Priscilla avait si bien remarqué son *** naissante, fermant les yeux, passant trois fois la langue sur ses lèvres et la mine si gourmande, que l’*** naissante du pauvre type s’était illico transformée en une formidable gaule, au grand dam de la mère, qui continuait à tartiner la petite allègrement de crème, de ses mains fortes et rugueuses de paysanne. Elle avait grommelé, mécontente, « on ne mélange pas le sexe et la crème, ça tourne », et le fils indigne était parti dare-dare, si l’on peut dire, se terminer dans le couloir. Alors, si ce n’était pas du vice… Eh bien, la petite ne s’était même pas démontée, figure-toi ! Elle avait sauté de la table, joyeuse, embrassé la vieille gouvernante en criant « merci ma Renée ! », puis elle était repartie vers le grand escalier qui jouxte la buanderie, juchée sur des mules rouges à plume que ce n’était pas dieu possible qu’on pouvait porter ça sans faire de malheur… »

Là, vous commencez à percevoir qu’on ne plaisante pas. On a le pseudonyme de l’auteure, Emma Rougegorge, et il suffit d’aller taper le nom sur Internet pour comprendre que c’est un pseudonyme très adapté aux circonstances, on subodore que la narratrice est, comme d’habitude, un joyeux mélange de l’auteure et de la dénommée Nelly et on attend la suite. Grâce aux deux lecteurs, on a aussi le prénom des deux protagonistes principaux, Priscilla et Amaury, et, sur le bon conseil d’Olala, j’ai commencé à placer judicieusement des ***, avant d’aborder les ### et les […]. Enfin, grâce à la question d’Isabelle, je vous ai gratifié(e)s d’un début de dissertation sur « érotisme versus pornographie » dont vous pourrez sans doute trouver des prolongements ici ou là et qui devrait vous rassurer sur la haute puissance intellectuelle et la moralité du projet, ou tout au moins vous fournir un alibi solide afin de continuer la lecture sans qu’un fâcheux vienne vous dire qu’on perd toujours son temps à se vautrer dans la fange.

Que demande le peuple ? On dispose également de quelques lieux de mémoire : le Lutétia, le parc, le château, la buanderie, dont l’exploration n’est toutefois pas terminée…

À suivre…

https://blogs.mediapart.fr/emma-rougegorge/blog/300321/les-lieux-de-memoire-3

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