Les éditions de l’Œil d’or, fondées en 1999 par Jean-Luc André d’Asciano, développent leur catalogue avec une sûreté de goût et un éclectisme cohérent. Une de leurs dernières parutions nous fait découvrir la voix de François Koltès, frère du célèbre dramaturge et déjà à l’honneur dans la trépidante Affaire Koltès retracée par Cyril Desclés chez le même éditeur (lire notre billet ici).
Une voix claire, minérale, qui n’est pas sans évoquer les accents rugueux et maîtrisés jusqu’à l’obsession d’un Pierre Bergounioux, voire du Michon de La Grande Beune ou du Roi du Bois. Sept nouvelles inscrites dans un paysage de montagne, dans une atmosphère de fin du monde, d’âpreté glacée, de corps souffrants et contraints, d’attente vidée d’espoir, sur fond de guerre de 14 (voire de 40) tonnant au loin ou résonnant dans les mémoires.
L’écriture de François Koltès est d’une infinie pudeur, même lorsqu’il évoque l’indignité du curé Pierre qui, sous couvert de culte à la Vierge, engrosse la petite Agate dès sa puberté venue. C’est d’ailleurs notamment dans cette très belle nouvelle (« La vierge de Jeuville ») que se déploie l’art de l’auteur, qui ouvre les portes entre le passé et l’avenir, désarçonne la morale non sans un humour discret et une violence sourde qui jamais n’explose. Jamais en effet on ne lit un mot de trop chez cet auteur tout en retenue, qui met dans la langue des délicatesses d’orfèvre. La dernière nouvelle («La Passion selon Léon »), qui est aussi la plus longue, fait glisser sur la neige les plaintes de la Passion selon saint Mathieu, comme les seuls accents des hommes capables de parvenir à ces confins, mais aussi comme un possible forcément déçu.
Coup d’audace aussi, et pas des moindres, de la part de l’excellent Jean-Luc d’Asciano : avoir osé publier des nouvelles dans un contexte éditorial français qui les craint comme la peste, renvoyant la responsabilité de leurs craintes sur les libraires, qui eux-mêmes rejettent la faute de cette frilosité sur les lecteurs, lesquels n’ont pourtant rien demandé. L’hégémonie du roman en France n’est pas à démontrer, mais il reste à craindre que cette prédominance ne porte en germe sa propre ruine, ainsi que l’exprime le romancier Bernardo Toro, directeur de publication de la revue Rue Saint-Ambroise (une des rares revues exclusivement consacrées à la publication de nouvelles de fiction) : « Là où la nouvelle se porte bien, le roman se renouvelle ; mais dès que celle-là cesse d’explorer de nouvelles voies, celui-ci régresse et s’académise. »[1] Reste à espérer que les volontés d’éditeurs aussi sérieux qu’engagés comme l’est L’Œil d’or finiront par faire évoluer le regard porté sur la nouvelle en France.

Agrandissement : Illustration 1

Architecte, décorateur de cinéma, réalisateur de films documentaires, François Koltès est également l’auteur de deux romans aux éditions Galaade : Petit homme tu pleures (2008) et Des vêpres noires (2010). Il mène parallèlement diverses actions humanitaires en Afrique et en Sicile.
François Koltès, Les Croix des champs
Éditions L’Œil d’or
Mai 2015
14 €
[1] Éditorial du numéro spécial « Amériques » de la revue Rue Saint-Ambroise, décembre 2015.