On prend son temps, on diverge…

Lundi 10 novembre – Musique d’entrée en classe : Furr (Blitzen Trapper)

Je déjeune avec ma collègue d’anglais. On prépare ensemble les rencontres entre nos 3^e actuels et nos anciens élèves, en faisant le pari que les anciens sauront motiver les nouveaux mieux que nous. Projet vraiment motivant ! D’une part car on espère qu’il sera utile. Et puis, il me permet de garder un (petit) lien avec les anciens… Je n’aime pas les voir s’évaporer, s’effacer de nos vies du jour au lendemain. On crée un lien, parfois fort, parfois pendant deux, trois, quatre ans. On les voit grandir. Et en une fraction de minute, le dernier jour, en juin, on se dit adieu, et ils disparaissent…

Aux suivants !

En 5^e, on avance lentement sur le projet « histoire en théâtre », et c’est pas important. Je vais prendre le temps, et ça me soulage. Marre, de courir. J’ai aussi décidé, ce weekend, de ne pas monter le projet avec les 4^e dès cette année. Trop de boulot. Je sens jusque dans mon corps que cette décision était la bonne.

Exercice « mise en sécurité en cas d’intrusion » dans tout le collège. On fait comme si des individus armés entraient pour… on n’ose pas imaginer. Parmi les consignes : silence total ! Mais trois filles pouffent, gloussent, toussent… Je les engueule (après l’exercice). L’une d’elles a tellement chaud de ses c****eries qu’elle s’évente avec sa main, secouant ce faisant ses f***us bracelets en métal. On dirait une brebis dans une estive. Re-engueule. Et une heure de colle à chacune, avec motif « conduite dangereuse ». Marrant : deux parents m’écrivent, inquiets ! Et ils comprennent.

En fin de journée et en pleine éval, Sarah (1) perd une dent. Je savais même pas qu’on avait encore des dents de lait à 13 ans, moi ! Direction l’infirmerie, sans finir l’éval. Je corrige compréhensif : ça lui fait 15 et demi sur 20.

Mardi 11 novembre

D’accord, c’est férié. Mais une fois le petit couché, je bosse plus de 2h, déjà pour préparer demain, et la suite autant que possible. Férié, pas férié, on ne regarde plus.

Je corrige les éval des 3^e qui avaient raté celle de la semaine dernière et l’ont repassée : ils ont tous fait mieux ! Ceux qui avaient eu « 0 » ont 1 ou 2 : c’est mieux… Les autres ont doublé leur note, il y en a même une qui passe de 4 et demi à 15 ! Il faut dire que ce 4 et demi, connaissant la petite depuis l’an dernier, c’était pas possible. J’espère qu’elle ne recommencera pas.

Mercredi 12 novembre – Musique : Bolide Allemand (SDM, proposition d’élève)

En 5^e, on doit colorier 3 cartes, à 3 époques différentes, des empires Byzantin, Musulman et Carolingien. Mais on a juste le temps d’en colorier deux, jusqu’à la question :

• Monsieur, c’est quoi les ronds blancs sur la carte ?
• C’est les villes sacrées de l’islam : Médine, La Mecque, et Jérusalem

J’ai dit LE mot qu’il fallait (pas) : Jérusalem ! Ils embrayent direct sur la Palestine, Gaza, tout ça. Me demandent toute l’histoire, par bribes. On remonte à 1967, 1948, aux pogroms de Pologne et de Russie, et même aux Hébreux.

• Monsieur, c’est pour ça (les pogroms) que les juifs ils sont allés en Israël, après ?
• (Moi) Oui, ça s’appelait pas encore comme ça, mais oui, entre autres
• Et pourquoi on coupe pas le pays en deux, avec chacun sa moitié ?
• (Moi) C’est ce qui était prévu au départ, mais ça n’a pas marché
• Et pourquoi il y a qu’une toute petite bande à Gaza pour les Palestiniens ?
• Mais le territoire, là, en vrai, il est à qui ?

J’ai adoré ce moment. Par contre, il faudra ramener les crayons de couleur, pour finir le coloriage.

Jeudi 13 novembre – Musique : Jeu de jambes (Davy One, proposition d’élève)

Ugo (1) utilise une grande partie de son énergie à faire l’andouille en classe, faire rigoler les copains… Des collègues saturent depuis quelques semaines. La direction le tient à l’œil, il a déjà été exclu quelques jours. Et il demande souvent à aller aux toilettes, mal au ventre. Est-ce du bluff, pour juste se balader dans les couloirs ? A-t-il vraiment mal ? Dur de savoir. Je le croise ce matin dans les couloirs, lui dis qu’à ce point c’est plus aux WC qu’il faut aller, mais chez le médecin. Une demi-heure plus tard, après passage à l’infirmerie, sa mère vient le chercher.

Les ados mentent beaucoup… mais parfois pas. Une de nos tâches les plus ardues : faire la différence, sans injustice, et sans se faire prendre non plus pour des coulemelles.

En 4^ème, chapitre sur les Lumières au XVIIIe siècle, Kelya (1) au fond lève la main : « Monsieur, les Lumières elles existent encore aujourd’hui ? » Excellente question ! Qui nous tiendra une demi-heure, entre démocratie moderne, séparation des pouvoirs, laïcité, assemblée nationale, dissolution, gouvernements qui font les valises, on rigole bien, mais je les laisse rigoler entre eux sur le nom du Premier Ministre, neutralité oblige.

En 3^ème, analyse d’une affiche de propagande anglaise pendant la 1^ère guerre (voir la photo).

• (Moi) Que demande-t-on à la population ?
• De donner son argent !
• (Moi) Presque : prêter. Et pourquoi faire ?
• Pour fabriquer des balles avec !
• (Moi) Alors non… C’est une image… (le 2^nd degré, j’en parlais la semaine dernière…)

Autre document : la reconversion des usines Renault, toujours pendant la guerre (voir la photo).

• (Moi) Par combien a été multiplié le nombre de femmes dans l’usine ?
• Environ 8 ?
• (Moi) C’est ça.
• Mais monsieur, pourquoi dans l’usine on fabriquait des femmes ?

Là, j’éclate de rire. C’est parti tout seul.

Vendredi 14 novembre – Musique : Song for Jedi (Dionysos)

La mère de Farad (1) est très inquiète pour son fils, en situation de handicap reconnu. Sauf que son inquiétude se transforme en colère, et ses messages frisent l’insulte. On est plusieurs à recevoir des mots qui poussent-le-bouchon-Maurice. J’essaie d’apaiser, m’excuse pour mes maladresses (réelles) envers elle et envers son fils, mais pas elle. Reste campée. C’est très rare, des cas comme ça, mais ils ne doivent pas me bouffer la vie. Samedi à 13h30, je lui explique que nos échanges vont s’arrêter là.

L’AESH de Farad, qui l’accompagne toute la journée, m’apprend ce même vendredi qu’elle va passer moins de temps avec lui. De nouveaux élèves ont besoin d’AESH, mais on n’a pas de poste en plus, donc elle va déshabiller Farad pour habiller Lucie. La mère va certainement en faire 3 attaques, dont 1 au cœur et 2 au clavier…

Avec les 3^e, j’achève au pas de l’oie le chapitre 14-18. On fait un détour par le génocide arménien, obligatoire dans le programme. Avec vidéo à l’appui montrant les charrettes de cadavres, les pendaisons, les têtes coupées… Ils ont du mal à croire que ce sont de vraies images. Du coup ça les réveille, alors que les 3^e sont en général bien blasés. Ça, plus les humiliations du traité de Versailles, plus le dessin prémonitoire de 1919 (voir la photo)… Ils sont bien déblasés pour le weekend !

(1) Tous les prénoms sont modifiés