Lundi 15 septembre – Musique d’entrée en classe : Creep (Radiohead, proposition d’élève)
Premiers cours à 9h, avec des 3ème. Amorphes évidemment, ils sont encore à moitié dans leur lit, comme moi d’ailleurs. C’est pas ça, le surprenant. Le surprenant, c’est les collègues, en salle des profs, que ça surprend encore.
Toujours pas surprenant : je continue de poser les règles. Une fille fait son exo d’espagnol en cours de géo, je confisque, lui rend à la fin en prévenant : la prochaine fois, je déchire. Elle s’effare (mais pas à Diba). Une autre a son téléphone dans la poche, ça fait un an que je lui dis, je confisque, lui rend à la fin en prévenant : la prochaine fois, tu le récupères que le soir. Elle s’effare pas, juste contente que je lui rende déjà. Un gars, lui, met deux fois ses pieds sur la chaise. Comme je peux les confisquer, il est puni.
On arrive au surprenant : il n’est précisé nulle part, dans nos règles internes, si les élèves ont le droit de boire en classe. Je demande à la CPE : elle sait pas. A la cheffe : c’est interdit par défaut, sauf si besoin et en demandant d’abord au/à la prof. Le débat se répand parmi les collègues. Boire, c’est un droit fondamental de l’enfant en toutes circonstances ! Non ! Boire, c’est de la flotte partout et le chaos en classe ! Je suis content d’avoir posé la question, dis donc.
En 4ème, on finit notre carte du monde. Theo (1) demande « où c’est la Mer Morte ». Ça nous amène tout schuss à Israël, Palestine, génocide, et monsieur pourquoi l’Europe elle fait rien. Euphémisme du jour : Israël n’a pas beaucoup de soutiens, ici.
Mardi 16 septembre – Musique d’entrée : Oh la la la Brive la Gaillarde (Jocelyne Lafaille, proposition d’élève)
Je maudis (gentiment) la petite de 3ème qui a proposé, pour rire, d’écouter cette chanson. C’est atroce ! Mais ça nous fait bien marrer.
Theo, ce matin, s’étonne qu’on puisse être en monarchie ET en démocratie.
- Moi: Si, ça peut.
- Lui : Mais non !
- Moi: Mais si.
- Lui : Mais non !
- Moi: Bon. Je vous explique.
Avec schéma au tableau et en multicolor. Je dessine 4 cases : monarchie et république, démocratie et dictature. L’Espagne, Theo ? Monarchie et démocratie. Bien ! La Russie, Clara ? République et dictature. Très bien ! Theo, ça répond à ta question ? Il marmonne un « OK, OK », 2ème euphémisme pour dire oui.
Je résume la situation à la classe, puisqu’on vient de discuter deux jours de suite pour répondre à LEURS questions. « Bon ! J’ai compris comment on va passer l’année. Vous allez être une classe super sérieuse, calme et très curieuse. J’adore ! Donc déjà, je vous félicite. Ensuite : a priori, on va parler de plein de choses qui sont pas dans le programme. Tant mieux, c’est ce que je préfère. Par contre, quand on bossera le programme, faudra bosser. Ça marche ? »
A leurs regards, je crois que ça marche.
Mercredi 17 septembre – Musique d’entrée : Freestyle 5min #5 (ZKR, proposition d’élève)
Avec des 4ème dans la cour, en attendant la séance de photos de classe, les élèves valident spontanément la répartition genrée des tâches : des garçons font les cons, des filles se maquillent.
Dans toutes les classes d’ailleurs, c’est surtout les garçons qui font les cons, perturbent le travail, le prof, les élèves. Je les préviens, un peu, et puis je sévis. Rapidement. J’ai pas de temps à perdre, j’ai plus de temps à perdre avec eux quand ils ne respectent pas les règles.
Les 5ème doivent faire un exercice au crayon de papier. Je m’amuse à répéter 8 fois « au crayon de papier », pour être sûr et les faire marrer. Et à la fin c’est moi qui me fais avoir : j’en chope un avec un stylo 4 couleurs, mais la 4ème « couleur » c’est du crayon de papier ! C’est de la triche ! Ils se foutent gentiment de moi. C’est de bonne guerre.
Avec les mêmes 5ème, premier exercice un peu technique. Au bout de 5 minutes, certains ont fini, d’autres n’ont toujours pas compris la consigne. Pour les enfants, en classe, soit ça va trop vite, soit ça va pas assez vite…
Jeudi 18 septembre – Musiques : Pink Floyd, Clutch
Je suis en grève. J’ai longtemps hésité, et puis j’ai pris ma journée. Pour montrer mon mécontentement, déjà. Et puis je m’offre (terme idoine (2) puisque je suis pas payé) une journée de boulot à la maison (pas payée, donc). Je n’ai que 2 demi-journées par semaine pour bosser chez moi, cette année, au lieu de 3 les années d’avant. Et je sens que la 3ème va me manquer.
Alors je bosse. Il fait beau, mais je ne sors pas. Je pourrais faire mes courses ; elles attendront. L’essentiel d’abord : les cours, les chapitres, les éval, les infos sur les élèves, écrire, remplir, chercher, répondre, renvoyer. Avancer ! Car le temps libre disparait très vite. Il y a trop souvent une info surprise, un enfant malade, une maitresse ou une garderie en grève.
Vendredi 19 septembre – Musique d’entrée : Smells like teen spirit (Nirvana)
Cette année au collège, YouTube est en mode « restreint », et certaines vidéos de musique sont bloquées. Lundi, je n’ai pas pu avoir Creep (que j’ai donc récupéré en urgence sur mon disque externe), mais ce matin je trouve Nirvana. Il y a « fucking » dans Creep, ça doit être pour ça. Donc, les musiques que je passe, je dois vérifier leur accès depuis le collège, sinon les télécharger chez moi. Quelle belle institution, qui nous fluidifie le quotidien…
On pose toujours les règles, avec la classe de 6ème que j’aide à faire ses devoirs une heure par semaine. J’autorise 4 filles à aller dans le couloir pour bosser. Je les retrouve à s’écrire des trucs sur leurs agendas et à chanter Pat Patrouille. Elles rentrent au trot. Me demandent ensuite une ardoise, je suppose pour réviser la leçon. Non ! Elles s’écrivent des petits mots. Je leur explique que pour retrouver ma confiance, elles vont ramer à s’en faire péter les trapèzes, voire les deltoïdes. Elles s’excusent en penaudant.
Bon, il y a toujours plus grave ! Par exemple, le gamin qui avait abimé un copain la semaine dernière a récidivé. Grosse crise dans la cour, il a cassé la gueule à tout ce qui bougeait, même aux surveillants qui tentaient (les fous) de le maitriser. L’an dernier il était surtout en ITEP, juste quelques heures chez nous, et sous traitement. Là, il est chez nous à temps plein, et sans traitement. Forcément, il a pété une pile. Il va sûrement passer en conseil de discipline, mais ça ne le soignera pas.
Dans le même style, le fils d’une pote est aussi autiste-bombe-à-retardement. Il entre en 6ème dans un autre collège, doit avoir une AESH, mais n’a personne. Et dans une classe de maternelle, un gamin pourrit à lui seul la classe, la maitresse et ses copains. Un tout petit est déjà prostré, dit qu’il n’aime plus être là. L’école inclusive, 3ème euphémisme pour dire « maltraitance générale ».
(1) Tous les prénoms sont modifiés
(2) Oui, j’ai aussi vérifié la définition, pour être sûr