Dimanche 23 novembre
Ce weekend je n’ai pas bossé. Détente. C’est bien, non ? Mais bon, ça se paye : ce soir, au travail jusqu’à 23h.
Lundi 24 novembre – Musique d’entrée en classe : Lettre (Shurik’n, proposition d’élève)
La semaine dernière, j’ai demandé à mes 4e de compléter une description d’image, après avoir prouvé par l’IA que ça pouvait prendre deux pages. Verdict : si certains en sont restés à 3 lignes, d’autres ont bien rallongé. C’est toujours ça de pris.
4e encore, le prochain chapitre de géo sera sur les migrations internationales. Cette année j’innove : je le construis à partir de l’histoire de mes élèves. La quasi-totalité ont des origines étrangères, profitons-en ! Je leur donne un questionnaire, à remplir avec leur famille. Je rassure : ils ne sont pas obligés de tout dire. Le sujet est intime. Une élève s’inquiète d’ailleurs : « Monsieur, maman m’a dit qu’elle voulait pas raconter sa vie à des gamins… ». Je note aussi qu’ils ne savent pas grand-chose de leur histoire. Parfait ! C’est l’occasion de la découvrir.
En remplissant son questionnaire, Riyad (1) raconte à ses potes que quelqu’un a fait Marseille – Toulouse « en stream ». Moi, curieux comme un chat devant un trou de souris, je demande : hein ? En string ? Eclat de rire à la ronde, dont deux apoplexies. Surtout quand je rajoute : « il a dû avoir froid ».
En 3e, je rame toujours. J’ai beau leur raconter l’Histoire avec ferveur, les faire rire avec le krach de 29 et la bourse (si si, on peut), leur montrer des vidéos pures nazies, ils ne tiennent pas. J’ai toujours pas la solution : comment boucler ce foutu programme sans s’ennuyer ? Il FAUT que je trouve.
Après avoir bien engueulé mes 5e vendredi, cet aprem ils se tiennent au quart de poil coupé en six dans le sens de la longueur. Le nez dans leurs activités. Mais je sais que ça ne durera pas.
Le lundi reste ma pire journée de la semaine. Je finis mes copies à 22h30, sans m’être posé depuis 8h ce matin.
Mardi 25 novembre – Musique : Jusque sur Mars (Sidilarsen)
La musique métal les surprend à chaque fois : « vous écoutez vraiment ça, monsieur ? » Oui, et encore, normalement c’est beaucoup plus fort !
J’ai encore attrapé une insomnie ce matin, dès 5h. Parfois, une illumination en surgit. Ce matin c’est le cas : une idée pour les 3e ! Dès 9h, je leur annonce : « Alors voilà ! Vous savez que le programme est un enfer, et vous voyez qu’on s’emmerde souvent. Mais il doit y avoir des solutions. Et c’est vous qui allez les trouver ! Vous allez me dire comment on peut faire pour s’amuser. Hop ! Par groupes de 3, une feuille, un stylo, c’est parti ! »
Ils sont sciés, que je leur demande ça. Et puis ils se recollent les copeaux, se regroupent, et s’y mettent à fond. Je note leurs idées. Ça nous prend toute l’heure, mais qu’est-ce que ça fait du bien !
Après déjeuner, rendez-vous avec les parents d’Imran (1), dont le comportement devient compliqué. En mode gentil caïd, il perturbe le cours, embête les copains, se rebelle contre toutes nos remarques… Les parents parlent mal le français (surtout la mère), donc une surveillante assiste à la réunion pour leur traduire en arabe classique (une autre était dispo, mais elle ne parle que l’arabe dialectique). Les parents tombent des nues : ils ne vont jamais sur Pronote, donc ne savaient rien des écarts du petit. Le père promet de prendre les choses en main. Le petit fait moins le malin, d’un coup ! Et on va mettre des choses en place, surtout pour l’aider, et l’encourager à s’améliorer.
16h : réunion parents-profs pour les 4e. On a 10 minutes par famille, pendant 2h30, sans pause. Travail à la chaine. J’en sors sur les genoux, et je me cogne encore 45 minutes de route (et de bouchons) pour aller chercher mon fils. Puis je me force à m’arrêter de bosser à 21h30. Je pourrais encore y passer 2 heures.
Elle va être longue et dure, cette semaine. Comme… comme… comme seize baguettes bout à bout laissées au soleil, tiens. (2)
Mercredi 26 novembre – Musique : Friends (Chase Atlantic, proposition d’élève)
Une autre classe de 4e remplit son questionnaire sur les migrations. Ça les rend fous ! Ils se racontent tout, se marrent, s’interpellent, vont regarder les cartes au mur… C’est un joyeux bordel. Je laisse faire, évidemment.
En revanche, dans cette classe, deux filles sont moquées à cause de leurs origines. Quelques garçons ont été exclus du collège quelques jours, pour ça. Je demande aux filles : ça s’est arrêté. Mais on reste vigilants.
Je continue la pression sur les 5e : vous avez un boulot à finir pour vendredi ! Certains en sont loin, et perdent des points dans mon évaluation de leur travail collectif. Ça les agace, et c’est fait pour : ils ont presque rien fait depuis 4 séances, ça finit par se voir…
Jeudi 27 novembre – Musique : Maria Maria (Santana, proposition d’une AESH)
En 4e, on attaque la Révolution de 89. Je commence, sans rien dire, par un extrait du film Les Années Lumière, de Robert Enrico, sorti pour le bicentenaire. Louis XVI est lentement amené à la guillotine, et sa tête tombe. On a un silence de… mort, dans ma salle. Et puis ça questionne, ça commente, ça s’insurge ! Ça « quatriémise », quoi. C’est pour ça que j’adore les 4e.
Nouvelle séance « j’ai besoin de votre aide », avec mon autre classe de 3e. Ils sont encore plus à fond que ceux de mardi ! Et leurs idées, alors ? D’abord, il faut varier plus souvent. Et puis faire des quizz, regarder plus de vidéos, qu’ils s’expliquent eux-mêmes des bouts de leçon ou des documents, changer le plan de classe souvent, faire des trucs en salle info ou avec des recherches sur le téléphone, des exposés avec les copains, s’entrainer à prendre des notes, faire des jeux en équipes, apporter des vidéos pour les autres, écrire des saynètes de théâtre, faire cours dehors, faire venir des historiens, géographes, faire des affiches…
Bon, et ben au boulot ! Je leur promets d’essayer de piocher dans tout ça. Mais ils savent déjà ce qui me manque le plus pour y arriver : le temps.
Nouvelle réunion parents-profs, de 3e cette fois. De 16h30 à 19h. C’est vraiment, vraiment long.
Vendredi 21 novembre – Musique : Billie Jean (Michael Jackson, proposition d’élève)
Line (1) a tellement de troubles psychiques que c’en devient psychiatrique. Crises de larmes et d’angoisses, sensation d’oppression, maux de ventre… A la moitié du cours, elle m’appelle :
- Monsieur, j’ai mal à la tête !
- (Ton empathique) Je sais…
- Mais… Comment vous savez ?
- (Ton empathique) Parce que tu as tout le temps mal à la tête…
Sa voisine m’a demandé à changer de place : Line se mutile, à coups de ciseaux sur les bras, et ça l’écœure, rien que le bruit. Je promets de surveiller.
Avec les 3e, je tente déjà quelques changements. Au lieu d’1h d’étude de docs puis 1h de correction, on alterne. Un doc à la fois, des questions à l’écrit, à l’oral, individuelles, tous ensemble, on corrige, une vidéo par-ci, une carte par là… D’un coup, ils gardent les yeux et le cerveau bien ouverts, posent des questions. Ça prend plus de temps, j’en sors crevé, mais on était tous vivants. Je me félicite de leur avoir fait confiance. En éducation, la richesse est dans la diversité…
On bosse sur les régimes totalitaires, et coïncidence l’AESH avec nous ce matin est russe. Elle a grandi dans l’URSS pré-91, nous raconte son expérience dans les Jeunesses Communistes. Elle repère même une erreur dans le manuel. La richesse est vraiment dans la diversité !
Je finis avec les 5e. Comme prévu, ils se redispersent. Alors je les chope au vol, non, mieux, dès qu’il leur prend l’envie d’écarter les ailes. Interdit de parler aux autres groupes, et tout le monde au boulot. Je leur explique encore : tant que vous n’aurez pas compris les règles, on ne pourra pas s’amuser avec. Ils râlent même pas, ils savent que j’ai raison.
Quant à Imran, depuis mardi il est irréprochable. On tient le bon bout ?
(1) Tous les prénoms sont modifiés
(2) A quoi vous pensiez, bande de pervers ?