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Billet de blog 1 juillet 2010

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Le parti d’en rire ou le Meilleur Parti

Une manifestation a lieu le 1er juillet 2010 à 18h devant la Maison de la Radio, pour demander le retour de Stéphane Guillon et Didier Porte sur France-Inter. Si ces humoristes n’obtiennent pas satisfaction, quel parti faudra-t-il prendre ? Le Meilleur Parti. Ce n’est pas une plaisanterie – ou du moins pas seulement.

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Une manifestation a lieu le 1er juillet 2010 à 18h devant la Maison de la Radio, pour demander le retour de Stéphane Guillon et Didier Porte sur France-Inter. Si ces humoristes n’obtiennent pas satisfaction, quel parti faudra-t-il prendre ? Le Meilleur Parti. Ce n’est pas une plaisanterie – ou du moins pas seulement. En effet, c’est le burlesque Meilleur Parti (Besti Flokkurinn, en islandais, ou Best Party dans sa traduction en anglais) qui l’a emporté le 29 mai 2010, avec plus d’un tiers des suffrages, aux élections municipales de Reykjavik. Son leader est ainsi devenu, le 15 juin, le maire de la capitale pour quatre ans.

Avant de fonder le Meilleur Parti en novembre 2009, Jón Gnarr était connu comme acteur comique à la télévision. Aujourd’hui, avec son équipe surtout composée de chanteurs de groupes rock et punk, il va donc appliquer le programme qu’esquissait une vidéo de campagne en détournant la chanson de Tina Turner, The Best : « que les imbéciles fassent leurs valises », « en finir avec la dette », « un seul Père Noël pour faire des économies », mais aussi : « des serviettes gratuites dans toutes les piscines », « un ours polaire pour le zoo de Reykjavik », « Disneyland à l’aéroport », « un parlement sans drogues d’ici 2020 ». Le refrain est sans ambiguïté – sinon sans faute : “We are the best, The bestest of parties, best for Reykjavik!”

Un politologue chevronné le révèle dans le New York Times : le Meilleur Parti s’appuierait en Islande sur un vote de protestation... Ce pays de 300 000 habitants, dont un tiers habite la capitale, n’est pas seulement assis sur un volcan dont on évitera d’épeler et surtout de prononcer le nom. Ce n’est pas uniquement le pays où la crise économique a d’abord éclaté en 2008, avec l’effondrement de son système bancaire. C’est aussi et surtout le pays de la « révolution des casseroles » qui fait alors tomber le gouvernement conservateur, avant de refuser par référendum, le 7 mars 2010, à une écrasante majorité (93,3%), de rembourser un prêt consenti par les Pays-Bas et le Royaume uni après la faillite de la banque Icesave – soit la protestation la plus forte, Michel Feher en a souligné le caractère exemplaire, qu’un peuple ait fait entendre contre ses dirigeants depuis le déclenchement de la crise.

Jón Gnarr participe de cette révolte : « pourquoi rembourser un argent que je n’ai jamais dépensé ? » Et d’ajouter : « Je me suis soudain senti comme un personnage dans une pièce de Beckett, où l’on a des obligations morales à l’égard de quelque chose qu’on ne peut pas comprendre. C’était comme En attendant Godot. » L’absurdité du Meilleur Parti renvoie donc à l’absurdité des élites politiques et économiques. L’humoriste ajoute : « ce n’est pas parce que quelque chose est drôle que ce n’est pas sérieux. » De fait, s’il parle d’ours polaires, c’est que le réchauffement climatique les fait échouer en Islande ; et les serviettes gratuites permettraient d’accréditer les piscines comme stations thermales, conformément aux règlements européens.

Jón Gnarr s’est pourtant voulu rassurant après l’élection : « Nul ne doit avoir peur du Meilleur Parti », explique-t-il, « car c’est le meilleur parti. Si tel n’était pas le cas, il s’appellerait le Pire Parti ou le Mauvais Parti. Jamais nous ne travaillerions avec un tel parti. » Il a certes accepté la logique de coalition, mais en y mettant une condition : que ses alliés aient regardé les cinq saisons de la (remarquable) série américaine The Wire (Sur écoute). Il est vrai qu’on peut soupçonner le parti Social Démocrate, avec lequel il gouverne désormais la ville, d’avoir triché sur ce point.

Plus encore qu’au Daily Show de Jon Stewart, on songe aux « Yes Men », ou aux « Artistes de droite ». Mais la parodie ne s’arrête plus aux actions symboliques : elle prend le pouvoir. Ce pourrait être aujourd’hui, en France aussi, le Meilleur Parti. Sans doute dira-t-on qu’il n’est pas facile de fonder un parti ; Dominique de Villepin lui-même a longuement hésité avant de se lancer. Il est pourtant des réussites modestes, mais bien réelles : songeons à ce que Mediapart qualifie de « parti de poche », soit l’Association de soutien à l’action d’Éric Woerth.

On connaît l’humour auvergnat de Brice Hortefeux, récompensé par les Y'A Bon Awards, on sait le côté pince-sans-rire d’Éric Besson ; même Nicolas Sarkozy n’hésite pas à jouer les comiques, par exemple lorsqu’il remet la Légion d’honneur à Dany Boon. En validant l’exclusion par Jean-Luc Hees de Stéphane Guillon et Didier Porte,Philippe Val, l’humoriste qui dirige France-Inter, prépare peut-être la place pour Jean-Marie Bigard.

Soyons donc sérieux. Il ne suffira pas de ne plus écouter France-Inter le matin. Le Meilleur Parti pourrait être la réponse politique par l’absurde à l’absurdité politique organisée par nos gouvernants. S’il convient en effet de prendre le parti de la satire, c’est que l’histoire tragique se répète en farce. La parodie est déjà au pouvoir. L’Islande pourrait donc être notre avenir ; c’est du moins l’espoir qui nous reste. Fini de rire ? Mieux : rira bien qui rira le dernier. Il faut prendre le parti d’en rire, ou plutôt le Parti du rire.

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