
« Et cette fois, il disparut très lentement, en commençant par le bout de la queue et en finissant par le sourire, qui resta un bon bout de temps quand tout le reste eut disparu.
Ma parole ! pensa Alice, j'ai souvent vu un chat sans un sourire, mais jamais un sourire sans chat !... C'est la chose la plus curieuse que j'aie jamais vue de ma vie ! »
Extrait d'Alice au pays des merveilles de Lewis Caroll, 1865.
Lors de ses aventures, Alice fait la rencontre d'un chat étrange à qui elle demande son chemin. C'est le chat du Cheshire.
L'animal est complètement fou et tient des propos incohérents qui sidèrent Alice. Son apparence ne cesse de changer. Tantôt il apparaît, tantôt il disparaît. A d'autres moments, il laisse seulement apercevoir ses yeux ou son sourire dans la nuit.

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Nous considérons que ce chat malicieux est une parfaite incarnation des mutations de l'art du XXe siècle. Ici commence notre détournement.
Le chat du Cheshire de Walt Disney fonctionne comme une allégorie dynamique des différents mouvements d'avant-garde. Il opère des passages inattendus qui vont du figuratif à l'abstraction et du matériel à l'immatériel. Le chat est tout le siècle.
1. Le fauvisme ou l'expressionnisme allemand : la représentation déformée

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Le chat du Cheshire apparaît dans un style caricatural éloigné de tout réalisme classique. Il évoque les premières déformations expressionnistes et fauvistes qui ouvrent le XXe siècle.
2. L'art abstrait comme anti-représentation

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Le chat disparaît comme la figuration se dissout après la naissance de la peinture abstraite dans les années 1910. Toute référence à la réalité s'évanouit.
3. La tendance dada-surréaliste comme représentation du délire

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Le chat se tient en équilibre sur sa tête. Cette scène loufoque est à rapprocher de l'absurdité cultivée par le dadaïsme (1916) et le délire célébré par le surréalisme (1924), deux mouvements renversant les normes établies de l'art.
4. L'art tend vers l'idée et l'immatériel

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Le chat devient invisible et contourne Alice. Seules ses empreintes sur le sol sont les signes de sa présence. Le chat se manifeste indirectement, soit par de petits fragments (ses yeux, son sourire), soit par des traces indicielles (ses empreintes de pattes) qui résonnent avec les recherches sur l'art imaginaire d'Isidore Isou (1956), l'immatériel d'Yves Klein (1958) ou, encore, l'art conceptuel (1965) de Robert Barry. Toutes ces tendances inventent des œuvres qui s'adressent plus à l'imagination qu'à la vision.
Bref, le chat du Cheshire est devenu situationniste. Il détourne et s'approprie toutes les formes d'art extrême du XXe siècle.
Par Eric Monsinjon
Prolongez la réflexion avec mes autres articles :
Pour en finir avec la mort de l'art (article plus sérieux sur les différents concepts de mort de l'art)
En chien de Füssli (sur la présence d'un chien dans un tableau du peintre Suisse)