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Billet de blog 21 juin 2019

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Comment l’on traite les enfants en Moselle (2) — Arthur, mourir ici

Second volet de notre enquête sur la politique mosellane d’aide sociale à l’enfance, la situation d’Arthur, jeune garçon meurtri physiquement et psychiquement.

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Arthur : « J’ai pas le choix, je veux mourir ici »

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A cet âge où, selon le poète, l’on « n’est pas sérieux », cet âge où « l'air est parfois si doux, qu'on ferme la paupière », Arthur reste sur ses gardes. Il hésite à parler, prend des garanties, s’exprime par périphrases.

Fuir…

Il a passé quelques nuits sur le pavé de la gare de Metz en 2017, seul, un billet de cent euros en poche et la tête encore farcie de souvenirs atroces qu’il évoque d’abord sur un ton vague : la complication… la catastrophe… ce que j’ai vécu… des trucs comme ça… des histoires bizness…  avant de préciser : « J’ai été utilisé, c’est pour ça que je suis ici… à cause des blessures ». Au fil de notre rencontre, des mots plus crus lui viennent aux lèvres, que nous ne transcrirons pas. A la mort de son père, il a treize ans. Il fuit avec son frère dans un pays limitrophe où il trouve le moyen de survivre grâce à un ami de son père qui lui procure l’argent et un billet d’avion en échange de la promesse de ne jamais répéter à personne ce qu’il a subi.

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La gare de Metz, sur le pavé de laquelle Arthur aura passé quelques nuits. © Eric Graff

 Arthur n’a pas la moindre idée de ce qui lui reste à faire une fois arrivé à Metz. Quelqu’un lui conseille de déposer une demande d’asile au dispositif de premier accueil tenu par l’Association d'Information et d'Entraide Mosellane (AIEM). Il est onze heures, les guichets sont fermés, il y retourne le lendemain après une nuit à la rue pour s’entendre dire que sa demande n’est pas recevable. Il est mineur, il doit se présenter directement à l’hôtel de police. Il s’y rend aussitôt.

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Hôtel de police Metz

Trouver refuge

Ses documents sont en règle mais on prend ses empreintes biométriques. La police recoupe les informations avec celles qui avaient été collectées dans le pays par lequel il avait transité et conclut que c’est de là qu’il est originaire, ce pays dont il ignore la langue. On lui concocte une nouvelle identité qu’il réfute. Il se retrouve en garde à vue avant d’être transféré au Centre de Rétention Administrative (CRA). Il n’y voit pas trop d’inconvénient : plutôt les barbelés du CRA que les pavés de la gare.

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Le Centre de Rétention Administrative (CRA) de Metz où l’on accueille les mineurs dès deux ans.

Ici, on dort à la dure mais à l’abri. On y accueille des mineurs dès l'âge de deux ans. Son état de santé est déplorable. Les séquelles de son « utilisation » sont douloureuses et il souffre d’hémorragies et troubles digestifs. Le lendemain, trois policiers l’escortent jusqu’au Centre Hospitalier Régional de Mercy. Là, il est sommairement examiné, nous dit-il, par une infirmière qui lui déclare que son état de santé ne nécessite aucun soin. Il proteste. « Je ne peux pas partir comme ça ! — Oh, non, c’est bon, elle répond, allez, signe les papiers. J’étais avec les trois policiers, tout déshabillé, ils m’ont dit : tu ne peux pas rester ici. Ils m’ont passé les menottes et m’ont ramené au CRA. »

De tribunaux en hôpitaux

Il dort mal, toutes les positions, assis, couché sur le dos ou le côté, lui sont pénibles. Il rencontre son avocat qui n’obtiendra pas sa libération. Nouvel examen médical, le médecin du CRA mesure la gravité de son état, mais l’officier de police judiciaire objecte qu’une audience étant prévue le lendemain au tribunal administratif de Nancy, il devra rester ici cette nuit encore. Gavé de médicaments, Arthur voit son état empirer. Il sera finalement conduit le lendemain matin par les pompiers à l’hôpital avant de passer au tribunal qui décide de mettre fin à sa rétention administrative. Il revient à l’hôpital pour y séjourner quatre nuits en vue d’une intervention chirurgicale. Le matin venu, le médecin lui annonce que ce ne sera pas possible pour des motifs de prise en charge. Il lui prescrit calmants et antalgiques avant de le congédier.

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Le Centre hospitalier régional de Mercy, à 8km de Metz

Seul sur un parking loin de tout

Arthur se retrouve seul sur le parking de l’hôpital situé à huit kilomètres de la ville. Il ignore quelle destination suivre et marche jusqu’à sa dernière résidence connue, à savoir le CRA. Il se présente à l’accueil, on lui refuse l’entrée. Il insiste : « J’ai pas le choix, là je veux mourir ici. » En vain. Il se remet en route vers sa première résidence connue, l’hôtel de police. « Je leur dis : je cherche un endroit où dormir, ils prennent mes papiers et me répondent : non, tu ne peux pas rester ici. J’ai attendu deux heures et je me suis retrouvé dehors. »

Vers une prise en charge

Une bénévole lui viendra en aide et le mettra en rapport avec la section locale de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH) qui lui trouve une place d’hébergement au Foyer du Jeune Ouvrier prise en charge par l’Armée du Salut (v. épisode précédent) et le met en rapport avec un avocat. Arthur a du mal à nous expliquer en quoi consistent les procédures qu’il engage, il a juste compris qu’elles se révèlent infructueuses.

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Foyer du Jeune Ouvrier, rue de l’Abbé Risse à Metz

Un de ses copains du foyer connaît les coordonnées de la bénévole qui lui était venue en aide quelques mois plus tôt et il la contacte. « Je lui ai tout raconté, sauf par rapport à… non, cette histoire je n’arrive pas à la raconter, j’ai tout raconté sauf ça. » Elle engage des démarches pour lui faire obtenir des papiers valides.

Il bénéficiera d’une intervention chirurgicale, partiellement réussie. Les sphincters sont rétrécis. Lorsque les selles sont fermes, elles provoquent dilatations, ruptures et saignements. Lorsqu’on les fluidifie chimiquement, elles irritent la muqueuse. Arthur sait qu’une nouvelle intervention serait nécessaire et redoute cette épreuve dont il ignore les résultats ou complications possibles.

Il a déposé une demande d’asile. Tant qu’à souffrir, voire mourir, plutôt ici, en France, que dans le pays d’où il vient et où il a été meurtri.

Arthur a dix-sept ans, il n’est pas sérieux, il est grave, perclus de douleurs physiques et morales. À Metz, ville « des cafés tapageurs aux lustres éclatants ! », la jeunesse s’éclate et aurait tort de s’en priver. Arthur, lui, dans sa chambrette de dix mètres carrés, répare patiemment ses déchirures.

A suivre…

Prochain épisode, Kouassi se soucie des autres

Voir aussi le premier billet (David dort par terre)

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