RE-PUBLICATION d’éléments parus en notes ‘basses’, les 20 janvier & 2 février 2025 ; textes revus et augmentés
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Dans un argumentaire factuel, malheureusement impossible à faire paraître ailleurs que sur un médiat citoyen, nous avons, argument après argument, posé ceci :
- Il n’y a pas de mots assez graves pour exprimer ce très large désastre culturel consécutif à des partis-pris et manipulations de forme et de sens. Voilà pourquoi en 1992, au moment de la création de l’ARIPA [1], le peintre secret par excellence et le plus reconnu d’alors s’est exprimé ainsi :
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Qu’a-t-il manqué à l’époque et, par exemple encore en 1998, lors d’une visite à l’exposition Tintoret qui confirme, complète et contextualise la première part tranchante de cette assertion ? [2]
– C’est un problème d’une portée internationale qui se pose ; l’avenir de la peinture est en jeu ! Jean Bazaine
Clé de voûte des restaurations-abusives en France, la mutation de rouge en vert au premier plan d’une composition symétrique et colorée parfaite, et le travestissement total des Noces de Cana dans la salle des États est basé sur une occultation :
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Ce chef-d’œuvre vénitien de la couleur a été vu et admiré par tous les jeunes artistes romantiques dont Delacroix et Géricault, puis par toutes les générations suivantes dans son état avant restauration : climat doré, unité spatiale et caftan rouge de l’échanson, nommé après restauration l’intendant de la noce.
Mais, confer ci-dessous... Lors de l’exposition, dans le catalogue, et peut-être lors de la prise de décision du changement de couleur de rouge en vert, un tableau considéré comme le bozzetto, a été occulté. Ce 'bozzetto de Paul Véronèse' – comme cela est inscrit sur le cartel du cadre du tableau – est à l'évidence le projet présenté pour accord aux commanditaires ; un certain nombre de détails peuvent permettre une datation avant la réalisation du grand format ; il est exposé dans un salon du palazzo Chigi-Saracini à Sienne. La modification primordiale du gigantesque tableau du Louvre qui a eu un retentissement mondial et une influence permettant l’arbitraire en 'conservation-restauration', a correspondu à : un décapage des vernis et glacis... La découverte d’un vert sous-jacent, modulé, est en réalité la sous-couche logique du rouge voulu par le peintre Paul Véronèse (cf. le manteau de Marie-Madeleine dans le Couronnement de la Vierge de Fra Angelico, dans un protocole de coloriste il n’est pas singulier de superposer deux couleurs complémentaires pour un effet optique).
– Comment est-il possible que le conservateur en Chef du département des peintures (spécialiste notamment de la peinture du XVIIIe et de Watteau) et les spécialistes en peinture vénitienne de la Renaissance consultés aient pu ‘corriger Véronèse’ alors qu’ils connaissaient pertinemment l’existence de de ce témoin et en ont caché l’existence ?
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N.B. – C’est la première fois que je produis, comme premier argument d’un article, la photographie de cette œuvre prise lors de la visite particulière de la collection Chigi-Saracini, ce à la demande de Leonardo Cremonini ; en complément, lire aussi l’argumentaire publié par le CFC ; illustration juste évoquée (mais non produite) :
https://centrefrancaisdelacouleur.fr/actualite/noces-de-cana-corriger-veronese-objection-s/
Le catalogue : Les Noces de Cana de Véronèse, une œuvre et sa restauration : [exposition], Musée du Louvre, Paris, 16 novembre 1992-29 mars 1993, est muet sur cet élément capital de documentation qui contrarie totalement leur parti-pris.
Dès lors, la doxa globale de la 'conservation-restauration' n'a plus sa clé de voûte :
– « Vous êtes choqué, mais nous ne faisons que révéler l’état véritable que vous ne pouviez voir en raison des vernis jaunis et altérés », il se trouve que chaque opération actuelle, menée sous une direction interventionniste, aboutit par aveuglement, à un désastre culturel.
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Ce point de 'détail' se pourrait-il être exemplaire ?
Quoiqu’il en soit, il permet de relever combien une analyse critique exigeante peut conduire à une perception plus ou moins juste devant une optique biaisée... Éduqués par les moyens relativement simples des photographies N&B, de la gravure et surtout d’une observation directe et non médiée, les conservateurs et spécialistes ayant acquis un véritable « Œil » n’étaient-ils pas autrefois plus nombreux en nos musées ?
– Assurément, un regard fin et rigoureux est possible, et plus que souhaitable !
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Dessin sanguine et craie blanche sur papier teinté ; Munich, Staatliche Graphische Sammlung
Le principe de teinter un papier chiffon qui ne jaunit quasiment pas, est certes dans la logique de l’imprimatura, sous-couche du travail pictural et couleur qui peut transparaître dans les ombres alors que les demi-teintes claires et les lumières sont empâtées. Dans la suite de cette superposition de couches et dans sa logique de fonder un climat en peinture, arrivent les vernis blond-dorés. Nous pouvons donc percevoir que les réalités sensibles du dessin dont la couleur devient un ornement complémentaire, sont l’apanage des grands coloristes ; les peintures d’Antoine Watteau avant la campagne systématique de restauration-destruction se rattachaient à l’évidence aux Titien, Véronèse et Tintoret, etc. dont il a pu se délecter ; la sensation colorée perdure longtemps dans le principe du climat général...[3]
– Preuve aussi par un dessin à la sanguine, présenté à l’exposition, d’une sensation colorée chaude et globale chez Watteau :
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Autre preuve par un dessin aux trois crayons sur papier coloré présenté à l’exposition : le blanc et le noir ne sont pas conçus comme éléments séparés, mais par luminance et reliefs conjoints en un climat spatial...
– Une mauvaise tradition ‘académique’ oppose le Dessin à la Couleur. De tels jeux de nuances si riches et si complexes animent les dessins et les toiles de Watteau ; il serait absurde de simplement considérer cela comme un aspect fané, un état de vieillissement ou une preuve d’obsolescence... Assurément cet état coloré global spatial n'est pas à éliminer pour les yeux d’aujourd’hui. – Car il s'agit d'un autre goût à tolérer.
Force serait de bien considérer l'illustration ci-dessous : articulation plus ou moins colorée entre deux tableaux de la même époque.
– Ah bien pauvre résultante et suite de préjugés opérants !
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A gauche non déverni, à droite un des exemples livides selon la restauration dans le goût anglo-américain...
Lorsque les vernis colorés et les glacis disparaissent, les couleurs sont désaccordées et refroidies ; état savant d'évocation picturale, par le meilleur élève et héritier de Cesare Brandi, l’historien d’art qui avait modéré et enseigné la restauration, en Italie :
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A la suite de l’opération médiatique, entre autres sur le Gilles de Watteau, il est notable que ce chef-d’œuvre universel, par exemple, n’était ni influencé par le clair de lune ou par la lumière solaire directe comprise à l’époque, ni en un climat tempéré simplement crépusculaire. – Et pourtant, voilà quelque chose de différent !..
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Ces mensonges ou omissions, à quelle esthétique frelatée se rattachent-ils ?
C’est ce que nous avons mis en évidence dans les précédents articles. Les notions bien réelles :
- de Sabordage culturel au musée, - de viol du patrimoine, voire aussi des consciences et de la mémoire sensible. Pour le pathétique, confer aussi les notions complexes de viol symbolique, obscénité subliminale, folie pictocidaire avec bais d’intolérance :
https://blogs.mediapart.fr/etienne-trouvers/blog/050225/version-viol-du-patrimoine
- et de mauvaise perception du changement climatique en Peinture, restauration-destruction, cf. autre le troisième volet 3 articles s/ Mediapart
https://blogs.mediapart.fr/etienne-trouvers/blog/020225/3-3-regard-sur-un-pictocide-0
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notes :
1- Dossier de Presse de L’Association pour le Respect de l’intégrité du patrimoine artistique (l'ARIPA) en sept. 1992 : Cf. Comité de soutien et texte d’appel - Le Patrimoine dévoyé ? (texte rédigé par André Sarcq, sur les idées de Cremonini) visé par Bazaine, Paul Ricoeur et Georges Duby.
https://bit.ly/etienne-trouvers-ARIPA-premier-dossier-de-presse
2- Voici le lien d’un reportage à l’occasion de l’exposition Tintoret, en 1998, visitée par Balthus. Le maître qui incarne en son œuvre cinq siècles de Peinture, a 90 ans ; pour la première fois de sa vie il a co-signé un texte d’appel (pas une pétition !) celui de l’ARIPA, en 1992. Ce moment conservé par l’INA fut d’abord censuré (sous une influence opérante et désastreuse... au musée du Louvre ?), par devoir éthique il est réapparu... Suite à un travail de recherche sur les rares documents d’un artiste qui disait à ceux qui se mettaient à escamoter le prima de la Peinture avec des mots : – « Balthus est un peintre dont on ne sait rien ! ». Au moment de cet enregistrement Balthus (Balthasar Klossowski de Rola,1908-2001) connaît bien le combat mené par ses amis et admirateurs... ; dans cette archive il y déplore donc la course au quantitatif plutôt qu’au qualitatif, aux mauvais éclairages et à l’hypocrite de la mise en valeur selon lesdites ‘restaurations’ (abusives). – Je remercie Jean-Marc Idir de m’avoir signalé ce point capital émis au journal télévisé de la 3.
https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/1998-balthus-le-peintre-qui-n-aimait-pas-parler-peinture
3- Le film Barry Lyndon de Stanley Kubrick (1975) met bien en scène les quatre qualités de la lumière : -le plein jour naturel, -le climat de déclinaison solaire ou le retour lumineux, -la lumière de bougies, -la luminescence dans l’obscurité. Pour réussir ces prouesses avec une pellicule analogique, Stanley Kubrick a utilisé une caméra d’une technicité inouïe. Alors que l’artiste cinéaste s’est donné les moyens d’une haute-fidélité à l’esthétique du XVIIIe, comment se fait-il que la ‘conservation-restauration’ ne soit pas plus prudente avec les qualités rares de Watteau ?