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Billet de blog 3 mars 2017

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La gauche va t’elle prendre la mesure de la crise politique ?

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Nous mesurons aujourd’hui la véritable révolution politique générée par les mouvements sociaux du printemps 2016. Une succession d’événements nous montrent que le système politique, et en particulier la représentation politique, est en crise profonde. Bien sûr cette crise n’est pas une nouveauté , elle était latente depuis plusieurs échéances électorales : visible du côté de la gauche qui voyait son électorat se réduire, elle se manifestait sous la forme d’une montée des abstentions, signe de méfiance vis à vis du système politique. Face aux luttes contre la loi travail le recours au 49-3 était aussi un signe de faiblesse, l’incapacité d’exercer une hégémonie au sein même de la majorité présidentielle.

Nous avons connu depuis

  • la crise de LR avec les défaites successives de Sarkozy, puis Juppé. La désignation par un électorat radicalisé à droite de Fillon se traduit aujourd’hui par un rétrécissement de la base des LR. Le maintien contre tout ( et tous?) de la candidature de celui qui disait « imagine t’on le général De Gaule mis en examen » alors qu’il est lui même mis en examen, la volonté de gérer un acquis électoral plutôt que de gagner ,sont des indicateurs des difficultés d’une reconstruction hégémonique à droite .

  • Celle d’un PS qui désigne comme candidat non pas le successeur prévu mais celui qui s’est opposé sur la loi travail : la possibilité pour le PS d’exister comme force principale d’une réponse sociale libérale est aujourd’hui compromise.

Ainsi nous voyons disparaître les formations politique historiques qui assuraient la représentation depuis quelques décennies, c’est dans cette mesure que l’on peut parler de révolution politique. Mais cette crise de représentation ne se réduit pas aux susnommés qui auraient seules failli. Depuis 2012 le FDG a lui aussi subi les effets de cette crise que l’on ne peut réduire à telle ou telle tactique politique : l’idée même d’un front politique et social comme outil de recomposition a fait long feu. C’est l’idée même de délégation qui est mise en cause dans une société où le rapport au pouvoir se modifient suscitant une demande d’intervention citoyenne : la cinquième a vécu cela deveint de plus en plus visible.

Dans cette décomposition généralisée seul le FN fait exception mais précisément parce qu’il se présentait comme « hors du système », en tout cas d’un système politique qui structurait les partis, leur fonctionnement, leur offre politique. Bien sûr il faut relativiser cette extériorité , le FN a lui aussi servi le fonctionnement de l’appareil politique en particulier en jouant le rôle de le l’idiot utile qui sert de repoussoir. Quant à son autonomie , les diverses affaires de financement viennent opportunément rappeler que le FN est bien dans la liste des bénéficiaires des largesses d’Etat qu’il condamne chez les autres. D’ailleurs la très curieuse solidarité entre Le Pen et Fillon contre les juges est le signe d’une connivence intéressée. De plus le FN est capable de rassembler celles et ceux qui sont encore en demande de délégation à une chef : cette attitude « réactionnaire » offre peu de prise à la crise qui frappe la plupart des autres formations : le FN n’est pas un parti comme les autres.

Il n’en reste pas moins que nous assistons à une reconfiguration du champ politique dont j’ai déjà décrit les grandes lignes https://blogs.mediapart.fr/etienneadamanpagorg/blog/140217/macron-et-le-pen-les-sauveurs-du-systeme

Mais je crois nécessaire de préciser les enjeux de cette reconfiguration que souhaite les classes dirigeantes autour du couple Le Pen-Macron.

Conjurer le spectre des années 30 ?

Aujourd’hui dans Médiapart, Laurent Mauduit attire l’attention des candidats de gauche sur les risques « de contribuer à la catastrophe démocratique qui menace ». Tout en notant les différences, il revient sur le précédent de la III ème internationale face au fascisme et surtout sur le comportement du KPD face à la menace hitlérienne : la désunion,et plus encore le conflit, entre socialistes et communistes avait alors facilité la prise du pouvoir par Hitler.1

Nous ne sommes plus dans le même cadre, mais cet épisode doit nous rappeler qu’une crise du système politique ne se traduit pas par une issue révolutionnaire ( comme l’avançait la III ème internationale : elle voyait dans le fascisme le dernier rempart – illusoire, fragile - de la bourgeoise contre la révolution prolétarienne).

Aujourd’hui la victoire du FN est loin d’être assurée, mais elle reste une possibilité du fait de la radicalisation de la droite qui reprend des thématiques frontistes sur les immigrés , sur le sécuritaire...Les dernières déclaration de Fillon sur son assassinat politique par les juges  sont de ce point de vue d’un extrême gravité. Je ne pense pas que ce soit le choix premier de la fraction dominante des classes dirigeantes. Mais nous sommes dans une telle instabilité qu’un autre type de bloc dominant n’aura peut être pas les moyens de se mettre en place.

Nous ne pouvons négliger ce risque et ne pas voir que pour l’instant seule une unité à gauche peut battre Le Pen : c’est là une lourde responsabilité pour l’après et nous devons exiger un débat public sur la possibilité d’une candidature commune. Trop de gens ont aujourd’hui l’impression qu’il s’agit de querelles byzantines et qu’un cadre commun est possible. Ne pas répondre à cette demande sociale et citoyenne de prendre part à ces choix stratégiques me semble mépriser les exigences démocratique et pousser des fractions entières des exploités à se détourner de « choix de boutiques ». N’alimentons pas la crise de représentation qui nous frappe comme je l’ai rappelé plus haut. Nous savons tous que c’est dans l’électorat de gauche et de la gauche de gauche que se développe un abstentionnisme : aujourd’hui  beaucoup ne savent pas pour qui voter, ni même s’ils (ou elles) vont aller voter. Dès lors le FN se renforce de ces faiblesses électorales. Plus grave encore cette division risque de désarmer toute résistance post électorale ;

Mais même si nous considérons que le risque FN est limité voire nul, mesure t’on les risques que nous prenons en laissant Macron le battre. Sommes nous prêts à lui laisser la place de chevalier blanc ? Car si Macron est incontestablement sur une orientation qui est différente de la droite et de l’extrême droite ségrégationniste et autoritaire – et donc il peut susciter une adhésion défensive face à eux – il n’en est pas moins au service du Capital.

L'impossible Macron  ?

Je crois que nous avons sous-estimé, et certains sous-estiment encore, la candidature de la « créature des médias » en parlant de bulle qui allait se dégonfler. Deux articles du Monde diplomatique de ce mois2 détaillent bien les bases de classe du « parti Macron »sur fond d’échec du PS. Dans la ligne des propositions de Terra Nova ( un think thank anciennement présidé par François Chérèque dont le directeur fait partie du groupe dirigeant de « En marche ») se constitutive un nouveau « Bloc bourgeois » appuyé sur les groupes sociaux les plus intégrés à la mondialisation et les plus diplômes et aisés. Ainsi Macron se permet d’engager la lutte contre certaines catégories de rentiers à l’ancienne ( Notaires, Taxis dans la suite du rapport Attali sur la libération de la croissance française) Plus que ses prédécesseurs - même ceux qui avaient l’étiquette de gauche – il se donne une image de camp du mouvement, des réformes d’inspiration sociales- libérales qui lui permet de s’afficher de droite et de gauche.

Certes les couches sociales qui soutiennent Macron, qui partagent sa vision du monde, restent politiquement et socialement minoritaires dans l’électorat.

Mais un certain nombre de membres de son équipe ont pour fonction d’organiser la neutralisation des catégories populaires voire leur ralliement ou leur découragement. J’ai déjà écrit que les sociaux- libéraux fabriquent du découragement, de l’impuissance dans les classes populaires. Il ne se contentent pas de ne plus les représenter ils leur inculquent le TINA, la résignation, ils les discréditent. c’est évident pour les chômeur-se-s devenus responsables de leur situation par incapacité , manque de formation ou comportement déviant (fainéants). Mais c’est aussi vrai pour la déconsidération de la classe ouvrière que Terra Nova voit comme un vivier de fascistes : les discours sur le vote ouvrier Le Pen participent de cette stigmatisation. Privées de reconnaissance sociale ces catégories se réfugient dans l’abstention : puis qu’illes ne sont rien, que personne ne s’intéresse à elles pourquoi aller voter ?

Dès lors il est facile de faire passer pour « social » ou progressite des compromis de recul social. L’histoire du syndicalisme social- libéral montre que l’on peut s’appuyer sur des couches sociales plus larges que les classe appuis (cadres , noblesse d’Etat …) Ce partenaire social sait organiser la division entre salariés avec un certain succès ( les scores de la CFDT dans les entreprises privées le montrent). Et quand on voit que Macron a rallié à lui des gens comme Kaspar ( l’ancien secrétaire général de la CFDT) ou les dirigeants du cabinet d’expertise Secafi ( longtemps lié à la CGT) on mesure qu’il est capable de continuer cette stratégie de désorganisation du salariat. A cela s’ajoute la reconnaissance de nouvelles catégories de salarié-e-s (Uber) ou des dispositifs comme l’ouverture de l’assurance chômage à des subordonnés non salarié comme les auto entrepreneurs , ou les indépendants.

Il en suffit pas de lancer des slogans sur « l’homme de Rothschild » pour mettre à jour la projet politique de réorganisation politique. Il n’est pas facile de rendre visible, derrière l’amélioration de la couverture médicale, la nationalisation- élargissement de l’assurance chômage, un recul de la protection sociale solidaire et une réduction des droits sociaux.

Enfin Macron se positionne sur la sécurité non pas dans une réponse en termes exclusifs de répression mais dans « un combat moral et civilisationnel » en proposant même de rallier les jeunes « des quartiers » à la république. La rupture avec les néos-cons de gauche est nette et elle contribue à brouiller les repères.

Contre la dérive liberticide et raciste, le chois de Macron pourra apparaître comme un moindre mal. Nous payerons pourtant très cher le fait de lui avoir laissé le beau rôle dans la défaite du FN, nous lui offrons -contre notre gré – des outils de consensus qui ne peuvent que le renforcer. Ce d’autant plus que nous serons soumis à la nécessité, dans une dynamique de dramatisation qui peut se mettre en place, de ne pas lui taper dessus plus fort que sur Le Pen. Le piège présidentiel va se refermer contre la gauche qui ne se pose pas la question de s’en dégager : pourquoi ne pas écouter celles et ceux qui proposent de «hacker » la présidentielle en rompant avec des pratiques politiques traditionnelles ?

La gauche a t’elle un crédibilité pour se battre vraiment contre Macron quand son projet est de faire un petit score au premier tour entre ses 2 candidats qui seront 4ème et 5ème ? Quand elles se déchire au lieu des profiter des opportunités pour modifier les termes du débat public, et c’est possible : ces derniers mois ont vu s’effacer la prééminence des thèmes sécuritaire.

Face à Macron président elle risque de payer cher ce renoncement à s’affirmer dans sa diversité.

1Il est utile de rappeler que le SPD avait participé à l’écrasement de la révolution spartakiste en alliance avec les corps francs d’extrême droite : voilà qui explique des haines farouches … amis ceci ne dispense pas d’un reour critique sur les osubassements idéologiques et théoriques de la IIIème internationale

2« Majorité sociale, minorité politique » de Bruno Amable et « Les vieux habits de l’homme neuf » de François Denord et Paul Lagneau-Ymonet

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