Suite à une internaute qui m'écrit sur ce site "Désolée de vous avoir fâchée. (enfin, il me semble)", j'ai essayé de mettre le doigt sur un problème assez tabou en France que je souhaite développer sur ce fil. Voici donc ce que je lui écrivais:
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... votre réaction me donne l'occasion de pousser un coup de gueule face à la mièvrerie et au sentimentalisme qui se retrouve partout dans des débats qui devraient être des débats d'IDEES et se baser sur des FAITS et non sur des "sentiments".
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Il y a longtemps que j'ai quitté mon Sud-Ouest natal, où il ne fallait surtout pas dire les choses pour ne "blesser" personne, surtout ne pas faire de vagues, ce qui accumule les non-dits, les souffrances mêmes, les tabous, etc... et favorise la "pensée unique" dont je parlais sur ce blog.
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Fâchée ? Je ne peux l'être, car je ne mélange jamais faits et sentiments, débats d'idées et vie sentimentale. Ce sont des domaines qu'il faut absolument séparer pour pouvoir avoir un débat objectif.
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Le problème, c'est qu'en France, on ne l'a jamais appris, ni en famille, ni à l'école, ni à l'Université. Et encore moins en politique. On mélange ces deux domaines gaiement. Ce qui amène à des prises de position échauffées où se mêlent sentiments et arguments dans un fatras qui ressemble à une pelote de laine emmêlée dont il est après très difficile de retrouver les faits et les arguments.
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Combien de fois n'ai-je pas entendu à Paris "Chut, ça il ne faut pas le dire", combien de fois des gens se sentaient "blessés" par de simples arguments objectifs. Cette sensiblerie me navre, il y a bien longtemps que j'ai appris à dissocier les deux. Ce qui permet des débats d'idées controversées dans le respect de l'autre puisqu'on n'y mêle pas de sentiments. J'ai l'impression qu'on n'est pas très loin en France de ce qu'on peut voir en Turquie ou au Proche-Orient par exemple lors de "débats" parlementaires où les représentants du peuple en viennent aux mains.
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C'est tout simplement une question d'Education, de l'Ecole qui devrait l'enseigner et le pratiquer, dès la maternelle.
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Personnellement, je l'ai appris en arrivant à Hambourg au début des années 70 dès l'arrivée de mon Sud-Ouest natal. Mêlant sentiments et arguments, j'ai compris que cela rendait tout échange - professionnel, social - beaucoup plus compliqué et que c'était improductif et inutile. Au début, j'étais naturellement "blessée" comme vous le suggérez, car je n'avais jamais appris à faire la séparation entre les deux. Puis je m'y suis appliquée, j'ai essayé de l'apprendre au fur et à mesure.
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Il est possible de débattre de choses totalement opposées, dans le respect mutuel, sans jamais y mêler les sentiments. Et je trouve cela beaucoup moins frustrant pour toutes les parties en présence et beaucoup plus efficace. On en reste aux faits, quand il s'agit d'échanges de faits - et aux sentiments dans la vie sentimentale, avec ses proches et ses amis.
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C'est d'ailleurs une des raisons pour laquelle la France est connue pour être le pays des grèves à répétition, les gens s'y affrontent en gué-guerres constantes, chacun pensant détenir LA vérité. En 27 ans passés à Hambourg, je n'ai vécu qu'une seule grève, celle de la Poste. Sinon, les gens débattent de faits, les échangent et trouvent des compromis, où chacun est respecté dans ses positions. On essaie juste de trouver une voie qui permette à chacun de s'exprimer et de ressortir du débat en pouvant dire: "Nous avons réussi à faire valoir nos arguments". Pas de drames, de conflits, de hargnes, de blessures sentimentales, de gens "fâchés". Cela ne vaut pas la peine...
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Enfin, je vous cite une phrase que j'ai trouvée fort juste, prononcée lors d'un séminaire Ernst &Young à Paris par une personne qui vit comme moi sur deux pays et qui conseille les entreprises pour parvenir à un meilleur dialogue en interne en cas de fusion par exemple. En voici le texte très instructif et très vrai - pour ceux qui ne connaissent pas ce domaine.
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J'en extrais une seule phrase qui va faire bondir certains, mais qui est absolument vraie: "La prédominance des émotions chez les Français, à laquelle répond celle des faits chez les Allemands, est tout à fait emblématique de leurs différences. L'affinité interpersonnelle est ainsi pour les Français un pré-requis à tout partenariat efficace. En Allemagne, la question de la vie privée n'est jamais abordée dans le cadre professionnel".
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C'est d'ailleurs ainsi que certains Français - dont la majorité de médias qui véhiculent les préjugés - pensent à tort que les Allemands seraient "austères", alors qu'ils font beaucoup plus la fête qu'en France, mais hors du domaine de la vie professionnelle. La partie sentimentale est réservée à ses proches, amis, voisins et connaissances. C'est là qu'on s'éclate. Personnellement, ayant vécu les deux, je préfère le débat d'idées sans y mêler de sentiments, c'est beaucoup plus efficace, en entreprise notamment, mais aussi en politique, partout où des gens travaillent ensemble qui ne seraient jamais choisis comme amis. Et faire la fête sans retenue, se sachant entre amis et proches. Pas de mélange des genres, c'est beaucoup plus sain et libérateur.
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Il y a beaucoup moins de non-dits, de choses balayées sous le tapis pour les taire, à cause justement de cette sensiblerie, on se dit les choses telles qu'elles sont... Une des conséquences qui se voit immédiatement au niveau psychologique. La France est le pays où l'on consomme le plus de psychotropes en Europe, l'Allemagne le pays où on en consomme le moins. Voir le le Rapport de l'Assemblée nationale sur l'usage des psychotropes. Juste quelques infos de 2003, la situation n'a en rien changé depuis:
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Ce rapport dit "Il faut souligner que l'Allemagne, qui est le pays européen avec le plus faible niveau d'usage de psychotropes, est aussi celui où la psychothérapie est la plus utilisée. Une meilleure application des règles élémentaires d'hygiène de vie doit être considérée comme une véritable alternative thérapeutique à la prescription de psychotropes, notamment pour les plaintes concernant le sommeil en l'absence de trouble psychiatrique avéré. Dans cette perspective, il convient de promouvoir une information structurée du public sur la physiologie du sommeil et sur ces règles d'hygiène de vie".
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Ce qui est pour moi une évidence au vu de ce que je constate tous les jours. Et une de ces règles, c'est de ne surtout pas mettre de "sentiments" dans les "faits" et de bien les séparer pour éviter de se "fâcher", "blesser", etc... ce qui est pour moi aujourd'hui un comportement infantile dont on n'a jamais appris à se débarrasser. Nous en avons débattu sur ce fil sur la maternelle (voir mon commentaire et celui qui suit).
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Il est effarant de voir que même dès l'enfance, les Français consomment des psychotropes, au lieu de parler - tout simplement et sans tabous. C'est un phénomène sociétal qui est aussi lié à tous ces sentiments que l'on mélange à tout et qui rend malade.
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En novembre 2008, Le Monde (page 2) écrivait: "Les Français sont les champions d'Europe de consommation des psychotropes... la tendance ne s'est jamais inversée."
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Le slogan de ce spécialiste en interculturel est une phrase de St Exupéry: "Si tu diffères de moi, loin de me léser, tu m'enrichis". Car dans les arguments de "l'autre", souvent totalement différents des miens, il y a toujours une partie que je peux reprendre, c'est donc un enrichissement. Et le débat d'idées permet - normalement -de faire avancer un groupe et même un pays tout entier. A condition qu'il ne se fasse pas - comme c'est souvent le cas en France - avec des tirs émanant de tranchées où chaque camp se retire, mais en se regardant en face avec respect pour les arguments et les idées de l'autre et en les laissant valoir pour ce qu'elles sont, sans attaquer les personnes.
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Quand je lis une grande partie des contributions sur ce site et sur d'autres, j'ai mal à mon pays. On dirait que chacun est son propre roi et que tous les autres sont des cons. De même, lorsqu'ils se sentent partie d'un "camp", ils regardent les autres comme des "ennemis" à abattre. Comment construire quelque chose ensemble ? Comment parvenir à une cohésion sociale ? En mélangeant les arguments et les sentiments? Jamais. Les uns défont ce que les autres ont fait, et inversement..
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Heureusement que dans la Recherche, ce sont les faits qui priment, sinon où irait-on? On s'en tient aux faits, c'est ainsi que la Recherche peut travailler au niveau international, sans trop de problèmes, car rien n'est plus évident et indiscutable qu'un fait.
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Je souhaiterais juste que l'Ecole en France - au lieu de se battre dans des procédures exténuantes - enseigne outre les techniques comme le calcul et l'orthographe - l'hygiène de vie élémentaire, apprenne dès l'enfance à s'exprimer en parlant de faits sans y mêler de sentiments - c'est le rôle de l'Ecole, car les parents ne l'ont jamais appris, vu ce que l'on lit et vit partout dans le pays. Et on verra la consommation de psychotrope diminuer, le nombre de suicides aussi.