Sur la question de "la lutte obligatoire".
(Billet issu d'un commentaire écrit sur le fil d'Anne Gentry :
"On voudrait nous faire croire que la justice sociale est un luxe auquel il faudrait renoncer ...."
Après un échange entre Anne et moi, reproduit en premier commentaire ci dessous)
Lutte obligatoire, ou luttes nécessaires ?
Me voilà en train de me poser la question de la lutte obligatoire. Ce qui m'a ramenée à l'Histoire récente, celle de ma jeunesse, quand les luttes collectives étaient (ou me semblaient) beaucoup plus "évidentes", quasi naturelles pour beaucoup de personnes militants chevronnés ou pas. Tandis qu'aujourd'hui, de nombreuses personnes ressentent les luttes comme nécessaires, sans pour autant "s'obliger" à y participer ou à les faire "aller au bout"..Ma question c'est pourquoi.
--------------------------
Je n'en fais pas une question de culpabilisation (mais la culpabilité, ou son absence, peuvent jouer un rôle).
Suite ci dessous, en quelques questions et un détour.
Ma première question, c'est, pourquoi cette différence entre aujourd'hui et "avant" ?
Pourquoi les luttes collectives sont moins évidentes aujourd'hui comme solutions aux difficultés, aux injustices, etc.?
Avant, est-ce que ces personnes ressentaient les luttes comme obligatoires ? Comme un devoir ?
Mon hypothèse c'est que la force du collectif était "naturellement" plus grande, et qu'il était plus facile à un individu de passer à l'acte quand il ressentait quelque chose comme nécessaire.
Aujourd'hui on ne fait pas ou on fait moins. Mais on culpabilise peut-être de ne pas faire (du moins c'est mon cas).
Avant, c'était mieux ?
(ici, petit détour via la solution miracle du collectif : le leader)
----------------------------
Détour : Le collectif et son ou ses leaders
"Avant", on faisait beaucoup en collectif, mais si on y regarde de plus près, c'était très souvent en suivant des leaders.
L'émancipation individuelle et les leaders, il y a une contradiction interne, qui, à mon avis, a éclaté aujourd'hui.
En quoi consiste uen bonne part de "la politique", aujourd'hui ?
On rêve au "bon leader", celui qu'on aimerait suivre, qu'on attend pour suivre le mouvement".
Le problème c'est que comme nous sommes plus différenciés qu'avant (nous sommes plus "individus"), le leader de nos rêves (celui qui nous ressemble ou ressemble à notre idéal) n'est pas celui qui ressemble à celui qu'attend notre voisin pour bouger.
Bien sûr il suffirait de ne plus attendre de leaders et d'agir par nous-mêmes.
Ce serait l'autogestion ; et son mythe.
Je dis, mythe car gérer un collectif à autant de leaders potentiels que de participants, c'est la galère. Des exempels existent et ont existé, mais ils sont 1) rares 2) encore plus rarement durables au-delà des initiateurs.
D'où l'invention par l'humanité de ce truc pour agir en collectif : le leader !
----------------------------
Donc à part quelques moments sporadiquesde rassemblement où nous, individus, fusionnons temporairement (manifs de l'automne dernier, mouvements des Indignés), à un moment le rassemblement ne fait plus sens et chacun repart chez soi (sauf les militants chevronnés).
-Qu'est-ce qui va se passer maintenant ?
Je ne crois pas qu'on reviendra à cet "avant".
L'individualisme n'est pas pour moi un péché, un accident de l'Histoire, un truc à éradiquer.
L'individualisme, contemporain comme on dit, est le résultat d'un changement civilisationnel, inévitable vu le chemin pris il y a des siècles par l'émancipation individuelle.
L'émancipation individuelle ce n'est rien moins que de devenir son propre leader !
Dès que beaucoup d'individus sont un peu émancipés individuellement, il est plus probable qu'ils vont prendre leurs propres décisions, ne serait-ce que celle de ne pas ou plus participer à un mouvement, un collectif, qui leur déplairait en certains aspects, et qu'ils n'auraient pas pu changer à leur convenance.
-------------------------------
Dernières questions : Maintenant, comment refaire du collectif avec des individus qui sont moins "collectifs" qu'avant, et donc, qui ont tendance à faire passer tout naturellement les intérêts du collectif.
(ceci, tout aussi naturellement que l'inverse autrefois, quand les individus faisaient plus facilement passer les intérêts des collectifs avant les leurs, quand ils avaient été socialisés dedans).
-Que faire en tant qu'individu ?
Sûrement "s'obliger" un peu plus qu'actuellement à engager une part de nous dans du collectif.
Mais lequel ?Quels collectifs, ou quel type de collectif ?
C'est là que ça coince, tant certains collectifs où "on" nous demande de nous engager se revèlent invivables, ou aux services d'intérêts particuliers, etc. etc.
Réinventer d'autres sortes de collectifs, qui respectent un peu plus les individus lambda qu'avant ?
Je m'arrête là, panne d'inspiration ou de souffle, ou de croyance... (mais pas panne d'espoir !)