Le Code du Travail est en butte à des tentatives répétées de démantèlement. Sans attendre son affaissement final, certains employeurs de travailleurs en séjour irrégulier expérimentent, par exemple dans le 20ème arrondissement de Paris, le retour aux bonnes vieilles méthodes coloniales.
Depuis le XIXème siècle les salariés, par leurs luttes, ont petit à petit obtenu la construction d'un Code du Travail qui permet, entre autres, la grève sur les lieux de leur entreprise. Le Droit du Travail est valable pour tous, y compris les étrangers dépourvus de titre de séjour. C'est en s'appuyant sur cette universalité qu'environ 6000 travailleurs sans papiers, soutenus par cinq syndicats et six associations et réseaux, ont engagé une grève pour obtenir des règles de droit au séjour réalistes.
Des dizaines de piquets de grève ont été installés, surtout en région parisienne. Un certain nombre ont été évacués sur décision de justice. D'autres sont créés en remplacement. Les comités de soutien se sont multipliés, associant des citoyens membres de réseaux, de syndicats, de partis politiques. Certains piquets pionniers sont toujours là. C'est le cas de celui de l'entreprise d'intérim X., dont le comité de soutien raconte ci-après l'interminable et chaotique suite de démêlés avec le patron.
« A l'entreprise d'intérim X., tout allait très bien – pour le patron – jusqu’au 23 octobre 2009. Salaires de misère, à rallonge, heures supplémentaires et déplacements non payés, qualifications non reconnues, sécurité inexistante... un rêve de patron!! Mais ce jour-là, les sans-papiers relèvent la tête et votent la grève pour lutter pour leur régularisation et obtenir des cerfa - un patron qui embauche un étranger doit faire une déclaration et payer une taxe à l’Office français de l’intégration et de l’immigration (Ofii), et remplir un formulaire administratif d’embauche, le fameux cerfa, qui va lui permettre de monter son dossier de régularisation par le travail.
Et là, tout à coup plus personne!!
Alors même que certains travaillent avec lui depuis plusieurs années, il déclare ne pas les connaître, il refuse toute négociation et il accuse les sans-papiers de vouloir le racketter en l’obligeant à payer la taxe Ofii.
Dès le premier jour, le patron (officiellement directeur d’agence) Y. réagit très violemment et casse le nez d’un membre du comité de soutien. Ce n’est qu’un début.
Le 16 novembre, en quittant l’agence occupée par les grévistes (mais qui n’en n’empêchent pas le fonctionnement), il coupe le courant et ferme à clef la porte de son bureau où se trouve le tableau électrique, laissant en plein hiver les occupants dans le noir et le froid. Ce mauvais tour sera déjoué par la solidarité des voisins, et le courant rétabli le lundi matin devant la mobilisation du comité de soutien et des grévistes.
Il les fait ensuite harceler par la police, et le 18 novembre, il les assigne en justice. Le procès a lieu le 18 décembre, le jugement est partagé!: il ordonne l’évacuation de l’agence en dehors des heures d’ouverture mais enjoint le patron de X. à négocier. Il n’en fera rien, le mépris le plus complet continue.
Le 15 janvier 2010, une rencontre a lieu entre les deux parties, où Y. propose de signer trois ou quatre cerfa, alors que les grévistes sont 32. En même temps, il vide les locaux de l’agence [en grève], déménageant fichiers, ordinateur et mobilier, et lui qui se plaint de ne pas pouvoir payer les taxes à l’Ofii, il ouvre une nouvelle agence dans le 10ème arrondissement.
Le 29 janvier, c’est le centième jour de grève!. C’est un vendredi et comme chaque vendredi depuis le début du conflit, un apéritif convivial réunit grévistes et soutiens devant l’agence, la situation est difficile, mais la combativité reste intacte.
Le 4 février, en pleine vague de froid de cet hiver rigoureux, ce patron sans scrupule fait couper le compteur électrique, laissant à nouveau les grévistes sans lumière ni chauffage. Encore une fois la solidarité des voisins et de la mairie du 20ème, alertée par le comité de soutien, viendront adoucir la situation.
Le 5 février, l'agence X. n’a toujours pas bougé et refuse de négocier. Les grévistes et le comité de soutien se rendent donc [dans le 10ème] pour «inaugurer» la nouvelle agence. Tracts, sifflets, mégaphone, sont utilisés pour expliquer dans le quartier quel genre de voyou est leur nouveau voisin. Car c’est clair que nous avons affaire à ce que l’on appelle dans les journaux un «patron voyou».
Le 6 février, les grévistes participent à la deuxième manifestation de soutien aux sans-papiers sur les 19e et 20ème arrondissements avec le soutien des élus locaux. Le soir un concert de solidarité permettra de récolter des fonds, car la grève dure déjà depuis trois mois et les caisses de solidarité se vident.
Le 11 février, afin d’obliger X. à négocier, les grévistes se rendent dans les quartiers chics de Paris, sur un chantier où [l'agence] continue à faire travailler des sans-papiers pour [une entreprise de démolition]. Le chantier est bloqué pendant une heure et grévistes et soutiens expliquent le sens de leur action.
Le 12 février, les grévistes se rendent le matin à la nouvelle agence, et réaffirment à nouveau leur volonté de voir s’ouvrir des négociations. Le patron, une fois de plus violent, frappera un délégué des grévistes et un membre du comité de soutien. Une plainte est déposée. L’après-midi, il fera téléphoner des sous-fifres feignant de vouloir négocier. Mais à aucun moment, il ne répondra aux sollicitations quotidiennes, qu’elles viennent de ses anciens employés, aujourd'hui en grève, de Solidaires, des avocats ou des élus qui tentent de le convaincre d’entamer un dialogue.
Le 19 février, les grévistes, accompagnés du comité de soutien, tentent à nouveau de faire valoir leurs droits en manifestant devant [la nouvelle agence], où ils trouvent un vigile et le rideau de l’agence baissé. Ils décident donc de se rendre à [une troisième] agence détenue par le patron. Deux agents de police sont devant cette agence dont le rideau est également baissé, mais une véritable milice cachée à proximité, attaque la petite manifestation avec une violence inouïe, mêlant coups et injures racistes et sexistes. Plusieurs personnes sont blessées, dont l’une sera hospitalisée avec une fracture du coude (Faut arriver à 70 ans pour vivre ça, dit-elle). La police appelée en renfort s’interposera. Mais, à notre connaissance, aucun agresseur ne sera inquiété. Des plaintes sont encore déposées. Des articles parus dans des journaux du 22 février relatent cette agression scandaleuse.
Le 24 février, pour protester contre ces méthodes barbares et condamner de tels agissements, de nombreux organisations et partis ont appelé à un rassemblement qui réunit plus de 400 personnes place de la Nation, à proximité du lieu de l’agression perpétrée le 19 février.
Le 12 mars 2010, de nouvelles actions sont organisées vers les donneurs d'ordre, des entreprises de démolition où des grévistes avaient travaillé comme intérimaires de X. Le but est toujours de faire pression sur le patron pour l’obliger à ouvrir des négociations.
Le 19 mars, un mois, jour pour jour, après l'agression par les milices patronales, une nouvelle action est menée devant les agences X. de Nation et réunit plus de 80 personnes. « La société X. est un rempart et ne cédera pas devant le fascisme. Tous unis contre le mensonge, la calomnie et le terrorisme », annonce un écriteau sur la devanture, assimilant les grévistes et les soutiens à des « staliniens », des « fascistes » et des « terroristes ». La patron, une nouvelle fois, agresse d'un coup de tête un syndicaliste de Solidaires qui lui demandait seulement de négocier. Par ailleurs, nous apprenons qu'une enquête du procureur de la République aurait été ouverte suite à cinq plaintes (trois du comité de soutien et deux des grévistes) pour l'agression physique et raciste du 19 février dernier.
Le 23 mars 2010, les grévistes de X. se joignent aux centaines de grévistes sans papiers qui défilent au sein des cortèges syndicaux Solidaires et CGT, lors des manifestations interprofessionnelles du 23 mars pour la défense des retraites.
Le 2 avril, deuxième concert de soutien aux grévistes sans-papiers du 20ème, il réunit plus de 200 personnes, permet de populariser davantage la lutte et de récolter des fonds pour la caisse de grève.
Le 9 avril, une nouvelle action massive se tient devant les agences X. de Nation, avec de nombreux soutiens et des pancartes, tracts, mégaphone, djembés... Le patron et son père provoquent les grévistes, le père agitant un drapeau français, devant la police présente, traite les grévistes de fainéants et de fascistes. Des élus avec leurs écharpes sont venus soutenir les grévistes mais ils sont insultés par le père, et portent plainte. De nombreux témoignages de soutien sont apportés par les passants, dont l'une donne même un billet de 100 euros aux grévistes ! La nouveauté du jour, c'est l'apparition de la gérante officielle : Mme Z., qui dialogue une heure avec les syndicalistes et grévistes présents, sans pour autant montrer la moindre volonté de négocier.
Le 16 avril, nouvelle action du vendredi devant les agences Multipro de Nation. Matinée calme, devant l'agence du 10ème. L'après-midi, vers 15 h, nous décidons de nous rendre devant l'agence du bd Voltaire. Cinq personnes sont postées devant l'agence : le patron de X., son père et trois hommes. Quand nous nous avançons, le père se positionne devant nous en criant "on ne passe pas !", puis le patron se rue sur nous, suivi des autres en hurlant contre le délégué du syndicat Solidaires : "je vais te crever, fils de pute !". Les grévistes et des soutiens forment immédiatement un écran pour le protéger. D'autres personnes, sorties des commerces alentour, hostiles aux grévistes, accourent vers le rassemblement en criant, en arrachant les pancartes et en donnant des coups aux grévistes. Le patron, hors de lui, revient violemment à la charge plusieurs fois. La police arrive sur les lieux. Selon plusieurs personnes, le patron aurait exhibé un couteau...
Heureusement, nous nous sommes réchauffés le soir même avec la fanfare-apéro solidaire organisée par le collectif Barricata, qui avait invité également le 9e collectif. Chaleureuse ambiance de 18 h 30 jusque 21 h, avec plus de 150 personnes.
Un rassemblement massif de solidarité est prévu place de la Nation le 7 mai prochain à 19 h pour protester contre cette violence patronale menaçante. Boissons et grignotis, مَشْروب فستق • فول سوداني، فُسْتُق عَبيد , 开胃菜 , Закуска , dumunifɛn & buwas bienvenus. »
Martine et Jean-Claude Vernier
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