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Billet de blog 16 mai 2014

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Le spleen du migrant qui n'a plus de problème

La communication du pouvoir sur une "politique de l'immigration apaisée" est un succès. Alors que, loin de s'apaiser, la situation des étrangers est de plus en plus précaire, angoissante. Pourtant ce n'est plus un sujet politique pertinent, allez savoir pourquoi.

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La communication du pouvoir sur une "politique de l'immigration apaisée" est un succès. Alors que, loin de s'apaiser, la situation des étrangers est de plus en plus précaire, angoissante. Pourtant ce n'est plus un sujet politique pertinent, allez savoir pourquoi.

Prenez ces quatre personnes de nationalité roumaine et de culture rom qui viennent de gagner le vivre et le couvert pour huit mois. Ils étaient allés récupérer des métaux dans une déchetterie des Yvelines ; il y en avait pour 40€ mais ils n'ont pas pu les emporter, la police étant arrivée pour les en empêcher. Le TGI de Versailles, devant qui ils comparaissaient en flagrant délit le 28 avril 2014, s'est refusé à leur infliger le remboursement de 4000€ de dommages et intérêts que réclamait la mairie propriétaire de la déchetterie. Sans doute dans un souci de prise en charge sociale, le tribunal leur permet de sortir de l'inconfort de leur bidonville pour la sécurité de la prison. Certes, ce n'est que pour huit mois, mais chacun connait les difficultés actuelles de l'habitat.

Selon la loi, l'administration dispose de quatre mois pour statuer sur une demande de titre de séjour. Dans la réalité l'attente peut se prolonger au delà. Certaines préfectures font de ces retards un moyen de régulation et l'on voit des retards à répondre de plus d'un an, parfois deux ans. Aux demandes d'information il est invariablement répondu "votre demande est en cours d'examen". Insister risque de préciser le refus, avec obligation de quitter le territoire avant 30 jours, donc mieux vaut rester discrets.

La scolarisation des enfants étrangers est une obligation qui s'impose au parents, quelle que soit leur situation administrative, comme aux écoles; c'est le premier chemin vers l'intégration de la famille. Tous ces certificats de scolarités qui finiront par contribuer à la régularisation des enfants ou de leur famille, c'est un problème! Une préfecture d'Île de France a trouvé une façon de régler le problème : elle met en doute leur véracité. Ainsi, la mère d'un lycéenne a dû revenir trois fois, pour les dates du certificat de scolarité de cette année; la guichetière lui opposait gentiment que le certificat établi depuis moins de trois mois qu'elle avait redemandé, ne prouvait pas que la petite était scolarisée depuis septembre 2013, le secrétariat du lycée, compréhensif, en avait refait un au 1er septembre, et bien ça ne marchait pas parce que la rentrée n'était pas exactement le 1er septembre. Ou alors on doute de l'authenticité de certificats de scolarité alors qu'ils sont la preuve qu'une jeune fille est bien arrivée en France à 11 ans, ce qui doit automatiquement entraîner sa régularisation à 18 ans.

Une mairie parisienne vient de refuser l'inscription à l'école élémentaire pour septembre d'une enfant dont la maman est hébergée par sa sœur (française, la sœur) . Les arguments? "On n'a pas le droit d'aller à l'école quand on est sans papiers. Il y a des étrangers sans papiers qui se débrouillent pour être propriétaire  vous savez, ils ne sont pas tous pauvres".

Les problèmes des personnes déboutées de leur demande d'asile sont en voie de règlement: après les bons conseils la circulaire du 11 mars 2014 pour le déblaiement de ces indésirables, on attend une "amélioration" de la loi permettant de les renvoyer prestement d'où ils ont fui. Seule incertitude; le financement d'une mesure qui doublerait le nombre annuel d'expulsions. En attendant, on constate la suppression ou la baisse drastique des quelques aides qui permettaient aux enfants d’avoir une vie décente. On constate de plus en plus d'atteintes aux droits fondamentaux : plus d’argent pour constituer les demandes d’asile : aux associations de prendre le relais. Pour les quelques subsides qui permettaient de couvrir les besoins élémentaires des familles… "circulez, plus rien pour vous". Les budgets alloués à l'hébergement d’urgence ne suffisent plus à assurer un toit à chacun. A Belfort, des familles étaient convoquées par l'Armée du Salut lundi 12 mai à 17h afin de leur signifier leur sortie imminente du dispositif d'hébergement prévue à partir du lundi 19 mai. Trois familles  (dont deux avec des femmes isolées avec des jeunes enfants) devraient perdre leur toit dès le 19 mai. 

Monsieur Cibiku et Madame Mehmetllari sont albanais. Il sont venus demander l'asile en France en mai 2012. Près de deux ans plus tard, une succession de refus signe l'échec de leur démarche. Leur refus de repartir conduit le préfet de Nancy à prendre des mesures coercitives. Parents d'un jeune enfant et en attendant un second, ils ne peuvent être mis en rétention; ils sont donc assignés à résidence en vue de leur expulsion. Il s'ensuit une expulsion express : la jeune femme enceinte de 6 mois et son enfant de 3 ans sont interpellés à 19h ; ils arrivent au Centre de Rétention Administrative à 20h15. Extraction du centre de rétention à 4h45 ; Décollage de Roissy à 11h10. Bémol: le père n’était pas présent lors de l’interpellation, il est toujours là. Aux personnes qui avaient exprimé leur indignation devant cette action, le préfet a expliqué que tout cela est parfaitement légal et que la procédure a été scrupuleusement respectée: "(...) Lorsque les services de police se sont présentés dans le lieu d'hébergement du couple à 19h00, M. venait de sortir, il se trouvait à proximité. Mme l'a donc contacté par téléphone, lui a expliqué la situation et l'a invité à la rejoindre. L'interprète, qui accompagnait les services de police et qui était présent sur les lieux a également parlé à M. Cibiku par téléphone et lui a expliqué la situation, notamment que l’appel n’est pas suspensif et l’a invité à rejoindre son épouse. M. Cibiku a choisi de ne pas revenir. Les services préfectoraux se tiennent à la disposition de M. Cibiku pour organiser son retour en l'Albanie, conformément au jugement du tribunal administratif. (...)". La raison du plus fort est toujours la meilleure...

Des militants italiens de la Ligue du Nord ont, bien involontairement, montré la folie qu'est la tentative de traversée de la Méditerranée sur un bateau pneumatique. Le drapeau de leur parti flottant au vent, ils pensaient rallier tranquillement la Tunisie à partir de la pointe sud de la Calabre, mais leur coup de com' anti-immigration est tombé à l'eau ! "Leur épopée a tourné court. Arrivés à hauteur de Malte, le moteur de leur bateau a pris feu. Après avoir réussi à éteindre les flammes, un membre de l'équipage a dû envoyer une fusée de détresse. Grossière erreur : celle-ci a atterri sur le canot et les sept activistes se sont retrouvés à l'eau, drapeau toujours en l'air. Ils ont été secourus par les autorités maltaises, et la presse n'a pas manqué de se moquer d'eux. Comme l'écrit The Malta Independent, « Ils ont fini par prouver qu'il est fréquent que ce type de voyage se termine de manière tragique »". Maintenant que des blancs en ont fait la preuve, plus personne n'aura l'idée d'aller au devant de ce danger. Fin des problèmes de ce côté-là.

Mengs Medahne est un de ces mineurs érythréens arrivés récemment à Calais (voir ici) qui habitaient le campement du bassin de la Batellerie. Il est mort en essayant de passer en Angleterre. S’apercevant que le camion dans lequel il était monté avec deux de ses camarades allait dans la mauvaise direction, il a sauté en marché et a été percuté par les deux véhicules qui suivaient. Il avait seize ans. À seize ans, il n’aurait pas dû être à la rue. Comme tout mineur en danger, il aurait dû faire l’objet d’une mesure de protection. Il aurait dû être hébergé, accueilli dignement, informé de ses droits. Il aurait dû faire le point avec des professionnels sur ses projets d’avenir. Parce que c’est la loi, et que la loi s’applique à tout mineur en danger, quelle que soit sa nationalité. Mais la loi ne s'applique pas à un mort, même un mort de seize ans. Plus de problème pour lui.

Les migrants n'ont plus de problèmes en France : ils sont redevenus invisibles...

Martine et Jean-Claude Vernier

Chez votre libraire Être étranger en terre d'accueil, 77 regards sur l'immigration.

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