Florence Poznanski (avatar)

Florence Poznanski

travaille dans une association. Secrétaire nationale du Parti de Gauche/France Insoumise. Militante internationaliste

Abonné·e de Mediapart

12 Billets

0 Édition

Billet de blog 9 janvier 2020

Florence Poznanski (avatar)

Florence Poznanski

travaille dans une association. Secrétaire nationale du Parti de Gauche/France Insoumise. Militante internationaliste

Abonné·e de Mediapart

Inspirations brésiliennes pour les municipales #1 Naissance d’une force politique

À la rencontre d’un collectif qui a révolutionné la politique et entre pour la première fois au conseil municipal. Il parle de radicaliser la démocratie, de déconstruire les privilèges. Il valorise le vivre ensemble et la fête. Entretien avec l'une des fondatrices qui nous raconte comment est née l’initiative et comment il faut lutter au quotidien contre l’accommodation de l’institutionnalisation.

Florence Poznanski (avatar)

Florence Poznanski

travaille dans une association. Secrétaire nationale du Parti de Gauche/France Insoumise. Militante internationaliste

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
"Nous toutes, pour la ville que nous voulons", image de campagne © Gabinetona

En France, 2020 sera l’année des élections municipales. Devant la croissance de la défiance face à la politique traditionnelle, il est toujours intéressant de s’inspirer d’expériences qui ont porté leurs fruits ailleurs en rassemblant les citoyens autour d’une nouvelle porposition politique.

Au Brésil, dans la ville de Belo Horizonte, capitale de l’Etat du Minas Gerais, dans le sud-est du pays, un groupe d’activites qui n’avait jamais participé à aucune élection entre en campagne aux municipales de 2016 et réussi à élire deux conseillères municipales, Aurea Carolina et Cida Falabella. Par dessus tout, Aurea Carolina est la femme la mieux élue de l’histoire de la ville et devient députée en 2018.

Ce collectif défini son propre vocabulaire politique. Il parle de radicaliser la démocratie, de déconstruire les privilèges, d’occuper la politique institutionnelle. Il valorise le vive ensemble et la fête. Son programme est basé sur la défense des droits à la ville pour améliorier la vie quotidienne des citoyens.

Julia Moysés suit le collectif depuis le début et s’occupe aujourd’hui de la communication du mandat. Dans cet entretien en deux parties elle nous raconte comment est née l’initiative et comment le mandat lutte au quotidien contre l’institutionalisation d’un système élitiste pour mettre en pratique cette nouvelle façon de faire de la politique.

Florence Poznanski : Raconte nous comment est né le mouvement «Nous toutes, pour la ville que nous voulons ». D’où vient-il ? Qu’est-ce qui fait sa particularité ? :

Julia Moysés : La plupart du groupe s’est connu en 2009, lorsque le maire de Belo Horizonte, Marcio Lacerda, est élu dans le cadre d’une alliance mortifère entre la droite et la gauche et impose une politique de privatisation de l’espace public très répressive. Pour dénoncer ces politiques de ville-entreprise, émergent de nombreuses initiatives populaires issues du monde de la culture et des occupations urbaines. Si on compare avec d’autres expériences qui ont émergé avec les grandes manifestations que le Brésil a vécu en 2013, ici les choses ont commencé avant, avec dès le début une proposition très municipaliste centrée sur un besoin démocratique de ville.

Nos actions se caractérisent principalement par des actions de rue et festives qui nous rapprochent des mouvements populaires comme ceux des sans-abri ou des sans-toit, des collectifs du carnaval. On est loin des milieux des intellectuels de gauche.

Et malgré tout cela, le maire est réélu en 2012.

Oui. c’est la douche froide pour nous. Mais c’est aussi à partir de là qu’on commence à comprendre qu’il est temps d’avoir une présence plus significative dans la ville. À chaque élection tout le monde se divise entre les différents partis de gauche [PT et PSOL principalement]. D’autres ne prennent même pas part au processus électoral parce qu’ils ou elles dénoncent qu’il est trop centralisé autour des partis. Il était temps d’occuper autrement la politique institutionnelle.

« Il était temps d’occuper autrement la politique institutionnelle ».

La plupart d’entre vous n’avait jamais fait de politique auparavant. Comment vous y êtes vous pris pour vous lancer dans cette nouvelle phase ?

On ne savait même pas ce que c’était de construire un programme et les exemples de politique institutionnelle étaient à l’opposé de ce qu’on défendait. On a commencé par tout redéfinir avec notre vocabulaire, l’idée que nous nous faisions de la politique. On a organisé les “explosions programmatiques” qui étaient des débats thématiques dans différents territoires de la ville. Toutes ces propositions étaient ensuite centralisées sur une plateforme en ligne où les personnes pouvaient voter, commenter.

Le manifeste que nous lançons fin 2015, « les 10 propositions pour la ville que nous voulons » est centré sur des questions urgentes pour la population. La mobilité pour tous, la préservation des parcs, le droit au logement, la défense des sans-abri. Nous avons quatre principes fondamentaux : le féminisme, l’antiracisme, la bienveillance et la radicalisation de la démocratie. Pour cela nous avons adopté une stratégie de « confluence maximale », c’est à dire une tentative d’agglutiner les forces progressistes autour de sujets concrets de notre programme.

A partir de là on commence à demander aux gens dans les réunions publiques les noms des personnes qu’ils souhaitaient voir se présenter. Les gens criaient des noms et on allait chercher ces personnes pour leur demander s’ils voulaient bien être candidats. C’était pas non plus une multitude de personnes et la plupart étaient des noms connus qui suivaient le mouvement depuis le début. On finit avec une liste de 12 personnes. La force de ce groupe était dans la représentativité, c’était aussi un sujet très fort à cette époque là. On avait une représentante de peuples autochtones, une travesti, un membre du mouvement hip-hop, etc.

Illustration 2
Explosion programmatique dans un parc - image de campagne © Gabinetona

Au Brésil, il est nécessaire d’avoir l’étiquette d’un parti légalisé pour concourir à une élection. Comment avez-vous choisi le PSOL [1] ?

Ce fut le moment le plus difficile, parce que notre désir était de transborder les partis. On est à quelques mois des élections, on est une soixantaine et on n’a pas de parti. Pour nous décider, nous invitons les partis à se présenter en réunion publique, mais nous n’arrivons pas à nous mettre d’accord. Après de nombreuses difficultés nous décidons d’adhérer au PSOL qui est le parti auquel la plupart des membres s’identifient.

Mais l’entrée a été très dure, car beaucoup de militants du parti nous ont rejetés. Il y avait un vrai problème de grammaire entre nous [elle rit]. On ne partageait pas du tout la même culture politique. Nous les prenions pour des autoritaires politiques et eux nous considéraient comme des envahisseurs qui ne respectent pas les règles du parti.

« Il y avait un vrai problème de grammaire entre nous. On ne partageait pas du tout la même culture politique ».

Au final vous arrivez à lancer votre mini-liste à coté des autres candidats du parti. Juste pour situer nos lecteurs, il est important de rappeler qu’au Brésil, les conseillers municipaux représentent un pouvoir législatif à part entière et ne sont pas élus sur la liste du maire mais de façon individuelle où des candidats d’un même parti sont amenés à être en concurrence entre eux. Quelles sont les principales caractéristiques de votre campagne ?

Notre campagne a été collective, notre slogan c’était “si tu vote pour l’une, tu votes pour toutes”. On a pris le parti de toujours tout écrire au féminin, même si l’on avait des hommes candidats. La vidéo la plus emblématique de la campagne, ce fut celle où chaque candidate demandait à ce que l’on vote pour sa camarade. C’était vraiment innovant car ça tranchait complètement avec l’individualisme des campagnes habituelles. Notre proposition c’était d’occuper la politique avec audace et citoyenneté pour qu’une autre politique soit possible.

Il y a eu une très belle dynamique mais personne ne se doutait de ce qu’il pourrait arriver. Je me rappelle que le jour des élections, j’ai dit à mon mari que j’irai au dépouillement pour soutenir mes amies parce qu’elles croyaient qu’elles allaient gagner. Et puis le résultat le plus inattendu est tombé : on a deux conseillères municipales élues, c’est la première fois que le PSOL entre au conseil municipal. Et Aurea Carolina, est la femme la mieux élue de toute l’histoire de Belo Horizonte.

Notes :

[1] Parti Socialisme et Liberté. Parti de gauche, situé à gauche du parti des travailleurs (PT) de Lula

Retrouvez la partie 2 ici.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.