
En France, 2020 sera l’année des élections municipales. Devant la croissance de la défiance face à la politique traditionnelle, il est toujours intéressant de s’inspirer d’expériences qui ont porté leurs fruits ailleurs en rassemblant les citoyens autour d’une nouvelle porposition politique.
Au Brésil, dans la ville de Belo Horizonte, capitale de l’Etat du Minas Gerais, dans le sud-est du pays, un groupe d’activites qui n’avait jamais participé à aucune élection entre en campagne aux municipales de 2016 et réussi à élire deux conseillères municipales, Aurea Carolina et Cida Falabella. Par dessus tout, Aurea Carolina est la femme la mieux élue de l’histoire de la ville et devient députée en 2018.
Ce collectif défini son propre vocabulaire politique. Il parle de radicaliser la démocratie, de déconstruire les privilèges, d’occuper la politique institutionnelle. Il valorise le vive ensemble et la fête. Son programme est basé sur la défense des droits à la ville pour améliorier la vie quotidienne des citoyens.
Julia Moysés suit le collectif depuis le début et s’occupe aujourd’hui de la communication du mandat. Dans cet entretien en deux parties elle nous raconte comment est née l’initiative et comment le mandat lutte au quotidien contre l’institutionalisation d’un système élitiste pour mettre en pratique cette nouvelle façon de faire de la politique.
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Lien vers la première partie sur la naissance du collectif et sa campagne électorale. Pour la bonne compréhension du texte il est important de rappeler qu'au Brésil les conseillers municipaux représentent un pouvoir législatif à part entière et ne sont pas élus sur la liste du maire mais de façon individuelle avec une étiquette politique.
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Florence Poznanski : Avec vos deux conseillères municipales élues vous créez la « gabinetona ». Un terme intraduisible en français qui féminise le mot « cabinet » et lui donne une dimension géante, « une maxi-cabinette » en quelque sorte. C’est comme cela que vous décrivez ce mandat, que vous qualifiez de collectif. Explique-nous comment ça fonctionne.
Julia Moysés : On n’a jamais décidé que le mandat serait collectif. Mais c’était implicite en fait, la décision est apparue naturellement. Car comme on avait fait campagne ensemble ou devait exercer le mandat ensemble. Donc toutes les candidates sont automatiquement entrées dans le cabinet. Un mandat collectif c’est une équipe en commun pour les deux conseillères municipales qui définit collectivement les stratégies politiques. Ce ne sont pas juste deux cabinets qui travaillent ensemble car on a littéralement démoli le mur qui séparait les deux bureaux. c’est un collectif qui prend des décisions et oriente les actions d’Aurea Carolina et de Cida Falabella.
Comment voyez vous le rôle de la « gabinetona » par rapport au reste du conseil municipal ?
Nous avons tous un parcours d’activistes donc naturellement nous avons continué à travers le mandat à intervenir dans la rue, dans la ville, hors des murs du conseil municipal. Nous avons 3 axes d’actions privilégiés : les droits humains, la culture et le droit à la ville. Et pour chacun nous avons développé des projets pour la ville. Ils sont en lien avec notre action parlementaire mais dépassent le contour d’un travail parlementaire stricto sensu. C’est certainement l’inverse de beaucoup d’autres conseillers municipaux. C’est un mandat très poreux, les mouvements sociaux ont une entrée directe. Et nous-même sommes malheureusement souvent arrêtés dans les manifestations. Nous considérons que chaque membre de la « Gabinetona » est un agent de citoyenneté. Chacun de nous est en charge de suivre des luttes spécifiques sur les différents territoires ce qui nous permets d’être très réactifs et force de propositions concrètes.
« Chaque membre de la « Gabinetona » est un
agent de citoyenneté ».
Donnez-nous des exemples de projets que vous réalisez.
Il y en a vraiment beaucoup et nous avons même parfois du mal à avoir une vue coordonnée sur tout ce qui se passe et quelque part tant mieux ! Mais je peux vous citer deux exemples.
Pendant les élections, les candidates ont pris l’engagement de déconstruire les privilèges et de ne percevoir qu’une partie de leur salaire. Le reste serait redistribué sous forme d’un fonds pour encourager des initiatives sociales et culturelles à travers la ville. Nous avons lancé le premier appel à projet en 2018 qui a décerné un prix à une vingtaine de projets. On en est à la deuxième édition. En plus de récompenser des projets, le prix permet aussi de mettre en réseau ces initiatives.
Nous avons aussi lancé un réseau d’avocat.e.s populaires qui recueillent les dénonciations de violation aux droits humains. Les victimes peuvent nous faire remonter les agressions et sont prises en charge par des professionnels engagés en faveur d’une justice à bas coût.
Quels résultats voyez-vous ? On parle beaucoup de dépolitisation de la société, vous pensez avoir des solutions pour l’enrayer ?
Nos projets visent à agir au niveau de la micro-politique du quotidien. C’est pour nous un vecteur fondamental pour faire fleurir la résistance démocratique. C’est dans cet esprit que Cida Falabella a travaillé dans son quartier. Au lieu de faire comme les autres conseillers municipaux qui utilisent leur enveloppe parlementaire pour financer l’achat de matériel ou d’équipements, elle a mis à disposition son temps et sa capacité de mobilisation pour rapprocher des femmes entre elles. Cela prend la forme d’un goûter hebdomadaire où elle invite des femmes à discuter de leurs problèmes pour faire émerger des solutions. Puis en fonction des demandes, elle organise des ateliers ou fait venir des professionnels spécifiques pour parler des violences conjugales, de la recherche d’emploi ou de la gestion de l’économie domestique par exemple. Au fur et à mesure, ce collectif s’autonomise et s’organise. Ce sont des petites actions, mais elles sont puissantes.
« Nos projets visent à agir au niveau de la micro-politique du quotidien ».
Mais votre rôle c’est quand même de proposer des lois pour la municipalité, non ?
Oui bien-sûr. Mais là encore on a cherché à construire des mécanismes de participation populaire. On ne peut plus faire de la politique en donnant aux gens des manuels sur comment faire telle ou telle chose et se conformer aux protocoles établis. La formation politique doit avoir lieu par la pratique politique. Pour nous l’élaboration de la loi passe par d’autres acteurs, d’autres pratiques, et l’objectif c’est de faire comprendre que ce sont les habitants qui doivent construire ce mandat au quotidien. A chaque fois, que ce soit pour des lois ou pour des amendements, on convoque les acteurs des différentes secteurs pour que ces textes soient construits collectivement. Parfois ce sont même elles qui nous sollicitent pour produire un nouveau projet de loi. Cela nécessite plusieurs aller-retours où le texte est révisé. A plusieurs reprises cela nous a permis d’améliorer significativement la qualité des textes que l’on présente et même parfois nous a amené à changer d’avis.
Après 2016 vous avez repris la même méthode pour les élections régionales et fédérales de 2018 qui vous ont permis de vous agrandir. Aujourd’hui dans l’État du Minas Gerais vous avez une députée régionale et Aurea Carolina est devenue députée fédérale. 4 femmes élues. La maison s’agrandit. Ça fonctionne ?
Oui aujourd’hui la « Gabinetona » a trois sphères d’actions : au niveau municipal, régional et fédéral. En plus des différentes instances législatives où nos élues siègent, nous avons maintenant une maison de travail en commun. Cela nous permet d’amplifier notre action. Car on peut se coordonner dans les différents sphères pour agir conjointement.
Et n’avez-vous pas peur de trop vous institutionnaliser ?
C’est un vrai sujet. Quand on est arrivées au conseil municipal nous avons eu une vrai difficulté à nous conformer à l’institution car personne d’entre nous ne connaissait cet univers là. Aujourd’hui on connaît bien les outils. Et en même temps on constate concrètement comment l’institutionnalisation opère pour détruire des collectifs comme le notre. Détruire dans tous les sens du terme. Même dans notre subjectivité, dans nos relations affectives. On se retrouve parfois à avoir peur de certaines questions épineuses. Parfois lorsque ce genre d’informations nous arrivent on se retrouve à nous demander si l’on doit ouvrir ce sujet à la population. C’est irrationnel car en réalité la transparence nous protège toujours : dans le doute il faut ouvrir.
Ma perception c’est que l’on est toujours sous cette menace constante et que l’on s’institutionnalise bien plus que l’on ne le devrait. Mais je dirais que nous avons deux antidotes pour nous en sortir : la fête et la transparence.
« On constate concrètement comment l’institutionnalisation opère pour détruire des collectifs comme le notre ».
La fête ?
Oui, la fête. Pendant les moments les plus difficiles, on a toujours organisé beaucoup de fêtes, de rencontres collectives, de promenades, d’événements publics. Car c’est dans ces moments là que l’on se recompose affectivement et symboliquement. Chacun de nous renoue avec son identité première qui lui rappelle pourquoi il est là.