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Rémy Amahirwa est le fils aîné de Mme Victoire Ingabire Umuhoza, une dirigeante de l'opposition rwandaise dont la réputation s'est étendue au monde entier grâce à son plaidoyer persistant en faveur de la démocratie au Rwanda. Le 19 juin 2025, Mme Ingabire a été arrêtée, et, depuis, elle n'a pas pu parler à sa famille, qui vit aux Pays-Bas. Les graves violations des droits humains et le comportement anticonstitutionnel du tribunal rwandais lors de l'arrestation et de la détention de Mme Ingabire ont été rapportées et soulèvent la question de savoir si elle bénéficiera d'un procès équitable. Son fils, Rémy Amahirwa, a récemment écrit dans le Guardian, un journal britannique influent : "La première fois que le gouvernement rwandais a emprisonné ma mère, j'étais un enfant, trop jeune et trop effrayé pour défendre celle que j'aime et que j'admire tant. Mais les temps ont changé, et maintenant, j'utiliserai ma voix chaque fois que je le pourrai pour attirer l'attention sur son emprisonnement injuste et réclamer sa liberté".
Rémy Amahirwa a été interviewé dans le podcast MurakaZaneza, animé en anglais par Denise Zaneza, une militante belgo-rwandaise des droits humains. Sur ce podcast, Rémy Amahirwa a parlé de l'arrestation récente de sa mère, de leur première rencontre après 15 ans d'absence et de la façon dont il a grandi sans elle. Marié et père de trois enfants, Rémy raconte également comment il explique le cas de sa mère à ses enfants et ce qu'il fait pour plaider en sa faveur. Cette interview a été publiée le 1er Septembre 2025. Elle a ensuite été traduite en français pour diffusion sur notre blog.
Comment vous portez-vous personnellement et avez-vous pu parler à votre mère depuis son arrestation ?
Rémy Amahirwa : Je n'ai pas pu parler directement à ma mère depuis son arrestation, le 19 juin 2025. Cela fait maintenant plus de 70 jours. Depuis la nuit où elle a été arretée, quelque chose s'est déclenchée en moi. On pourrait appeler cela de la colère légitime.
J'ai fait face à cette situation en me battant et en plaidant sans relâche pour elle, car je ne pouvais pas rester spectateur. Assister à ce qu'elle endure est trop douloureux pour moi et pour toute la famille. Mais en me battant et en défendant sa cause, je remporte de petites victoires et j'ai l'impression de pouvoir contribuer à sa lutte.
Pouvez-vous nous raconter ce qui s'est passé le jour de son arrestation et comment vous et votre famille l'avez appris ?
Rémy Amahirwa : Nous avons un groupe WhatsApp très actif pour toute la famille. Nous y partageons tous des informations sur notre vie. Ce jour-là, ma mère a annoncé qu'elle se rendrait au tribunal pour témoigner. Nous n'en attendions pas grand-chose. Cependant, après son témoignage, la police l'a suivie jusqu'à son domicile. Ils ont saccagé toutes ses affaires, arraché tout ce qui était accroché aux murs. Puis, ils l'ont emmenée avec eux. Je me souviens qu'à un moment donné, elle nous envoyait des messages pour nous informer que la police fouillait ses affaires, puis les messages se sont interrompus. Nous n'avons ensuite eu de ses nouvelles que par l'intermédiaire de ses associés restés sur place.
Avez-vous pris des nouvelles de son état de santé ? Comment se sent-elle actuellement ? Tient-elle bon malgré tout ? Comment va-t-elle en ce moment ?
Rémy Amahirwa : J'ai vu des photos d'elle arrivant au tribunal au Rwanda la semaine dernière. Je suis très reconnaissant envers les courageux Rwandais qui sont présents à chaque comparution de ma mère devant le tribunal et qui attendent son arrivée pour prendre des photos qu'ils m'envoient ensuite. Elle marche avec le sourire et les deux pouces levés, montrant qu'elle se porte bien. Ce geste correspond aux derniers mots qu'elle a écrits dans le groupe WhatsApp de la famille : "Tout ira bien. Dieu est tout-puissant" C'est en cela que ma mère croit. C'est une croyante convaincue. Elle disait toujours que sa vie était entre les mains de Dieu et que tout ce qui lui arrivait était ordonné par Dieu. Je pense que cette conviction lui donne la force de garder le sourire dans des situations où d'autres s'effondreraient.
Pourtant, elle a passé tant d'années en détention isolée, alors qu'elle est une personne très sociable. Je comprends donc à quel point c'est pénible pour elle de devoir à nouveau faire face à l'isolement. Malgré tout, c'est avec le sourire qu'elle se présente au tribunal. Je suis fière d'elle. Le fait de la voir sourire me donne également du courage et de la force.

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Vous êtes retournés au Rwanda il n'y a pas si longtemps. Quelle était la raison de ce retour ?
Rémy Amahirwa : Cela faisait quinze ans que je n'avais pas vu ma mère. J'ai 33 ans, donc je ne l'avais pas vue depuis presque la moitié de ma vie. Nous avons décidé d'aller au Rwanda, ce qui a permis à ma mère de voir mes deux enfants, ses petits-enfants. Lorsque nous lui en avons parlé, elle nous a dit : "J'ai manqué votre mariage et je n'ai pas pu assister à la naissance de mes petits-enfants. J'aimerais baptiser les enfants ici, au Rwanda, dans l'église où tu as été baptisé ". Ma femme a organisé le voyage et m'a dit que, puisque ma mère n'avait pas assisté à notre mariage, nous devrions renouveler nos vœux au Rwanda, d'autant que nous fêterons notre troisième anniversaire de mariage pendant que nous y serons. Je voulais également passer du temps avec ma mère et rattraper le temps perdu.
Nous y sommes allés en février 2025, et j’avoue que j’avais un peu peur, car je ne l'avais pas vue depuis quinze ans. Je craignais qu'elle ait beaucoup changé, ou que j'aie beaucoup changé. J'hésitais à me rendre au Rwanda, mais ma femme a dit : "Non, nous allons y aller et faire ce voyage extraordinaire".
Quand je suis arrivé là-bas et que j'ai vu ma mère, toutes ces craintes se sont envolées. Je suppose que c'est un instinct humain, l'instinct d'un enfant qui, lorsqu'il voit ses parents, est simplement rempli d'amour et d'un désir de les serrer dans ses bras et d'être près d'eux. Je suis encore ému rien qu'à y repenser.
Comment avez-vous vécu l'absence de votre mère ? Comment s'est déroulée votre enfance sans elle ?
Rémy Amahirwa : Lorsqu'elle nous a quittés, j'avais 17 ans et je ne comprenais pas vraiment l'impact de ses actions courageuses. J'ai vu ma mère faire de la politique pendant mon enfance aux Pays-Bas. Elle voyageait parfois pour cela, mais elle revenait toujours à la maison. Mais son départ pour le Rwanda devait être un grand voyage, car beaucoup de membres de la diaspora rwandaise étaient très enthousiastes à l'idée de son départ. À ce jour, ils sont nombreux à être venus chez nous. Il y avait même une équipe de télévision néerlandaise. J'ai commencé à réaliser que son départ était plus important que nous ne l'avions imaginé. Notre mère nous répétait toujours : "Je vais au Rwanda. Il se pourrait que je sois arrêtée ou que des choses plus graves se produisent. Mais sachez que Dieu est avec vous, que je vous aime et que je prie pour vous tous les jours".
Nous ne pensions pas que cela se produirait, mais comme elle l'a dit, elle a fini par être arrêtée. Au cours des quinze dernières années, nous avons franchi de nombreuses étapes et appris à gérer la situation. Mais au début, je me sentais vraiment impuissant. Lorsqu'elle a été arrêtée, nous étions loin d’elle, aux Pays-Bas, et nous étions encore jeunes. Mon père a mené une campagne sans relâche pour notre mère, et nous avons vu à quel point cela était stressant pour lui. Cela lui a même coûté sa santé. Il est aujourd'hui malade.
Pendant longtemps, nous, les enfants, sommes presque détachés de la complexité de la situation de nos parents. Nous devrions faire face à la situation. Comme ma mère, ma sœur et moi sommes devenus croyants. Même si nous avons été élevés dans un foyer religieux, je dirais que nous ne le recherchions pas activement. Cependant, après le départ de ma mère, je pense que nous avons tous trouvé du réconfort dans la parole de Dieu, mais aussi dans notre solidarité en tant que famille.
Mais, cette fois-ci, comme je suis plus âgée, je ne veux pas simplement observer, comme je l'ai fait auparavant. Je sens que je peux agir. Je peux prendre la parole et montrer au monde que ma mère est une femme ordinaire. Elle pleure, elle peut aussi se mettre en colère. Elle est comme nous. Elle est amusante et nous faisait beaucoup rire.
Parfois, je pense que nous sommes passés par une phase où nous l'avons vue uniquement comme une activiste politique, quelqu'un qui fait des choses extraordinaires, et nous avons oublié qu'elle est notre mère. Elle souffre énormément, mais elle est prête à payer ce prix. Le monde doit comprendre que ces militants, les personnes que nous admirons, sont des êtres humains, ordinaires comme nous.
Nous nous en sortons en plaidant en sa faveur, en espérant et en mettant toute notre foi dans le fait qu'elle vaincra et qu'elle sera victorieuse — après tout, elle s'appelle Victoire.
Comment expliqueriez-vous cette situation à vos enfants et aux autres membres de votre famille ?
Rémy Amahirwa : C'est difficile, car la situation dans laquelle se trouve ma famille est surréaliste. Mais les enfants développent de l’intelligence. Mon petit frère avait huit ans lorsque notre mère nous a quittés pour le Rwanda. Nous essayons de ne pas lui donner trop de détails. Je me souviens toutefois d'un incident au cours duquel il a emprunté l'un de mes anciens téléphones. J'avais besoin de le récupérer pour quelque chose et j'ai ouvert un message qu'il s'était écrit à lui-même. Il n'avait alors que dix ans. Il demandait à Dieu de protéger sa mère au Rwanda. Cela m'a appris que même les enfants comprennent. Ils savent qu'il n'est pas toujours nécessaire de les protéger de tout. Ils s'en rendent compte par eux-mêmes. J'ai donc décidé d'être transparent avec mes propres enfants.
J'ai une fille de 10 ans qui vit aux États-Unis avec sa mère et ses grands-parents. Je me souviens qu'elle a commencé à poser des questions sur sa grand-mère, en disant par exemple : "Papa, pourquoi grand-mère ne vient-elle pas nous voir ?" J'ai dû lui expliquer qu'elle était en prison. Mais pas parce qu'elle avait fait quelque chose de mal. C'est parce que le président du Rwanda ne l'aime pas et qu'elle voulait également se présenter à l'élection présidentielle. Il ne supporte pas les critiques. C'est pour cette raison qu'elle a été emprisonnée, ce que ma fille a trouvé très injuste.
Ma fille de deux ans connaît sa grand-mère. Lorsque nous étions au Rwanda, elle a passé du temps avec ma mère et Ils ont tissé des liens étroits. Lorsque nous sommes rentrés en Suède, nous avons commencé à discuter par vidéo chat car elle savait parfaitement qui était sa grand-mère. Maintenant, elle dit : "Oh, appelons grand-mère !" Elle dit aussi "grand-mère" à chaque fois qu'elle voit quelque chose en rapport avec le Rwanda, quand nous regardons des photos du Rwanda. Il en va de même pour les mangues, car nous en avons mangé beaucoup là-bas et elle les adorait. Elle dit : "Grand-mère, grand-mère". Mais maintenant, je dois lui dire : "Non, on ne peut pas parler à grand-mère maintenant." Je suppose qu'elle comprendra de mieux en mieux à mesure qu'elle grandira. J'espère qu'un jour, elle pourra à nouveau parler à sa grand-mère, la voir et passer du temps avec elle.
Il est difficile d'expliquer à ma femme, à ma belle-famille et aux autres à quel point c'est surréaliste. Mon beau-père nous a accompagnés au Rwanda et a donc rencontré ma mère. Il a également pu découvrir le Rwanda par lui-même. Il a aimé le pays. Cependant, il a trouvé étrange qu'il y avait toujours une surveillance autour de nous et qu'on nous suivait partout où nous allions. Ma mère a dû lui expliquer que c'était sa réalité quotidienne et que la surveillance était toujours présente autour d’elle. Il y avait toujours une voiture ou une moto qui nous suivait, où que nous allions. J'ai dû expliquer à mon beau-père que c'est ce que d'être un dissident politique au Rwanda.
Vous avez récemment lancé un appel au président Donald Trump pour qu'il s'implique dans ce dossier. Pourquoi pensez-vous que la pression internationale est importante ? Que demandez-vous précisément aux États-Unis et aux autres pays démocratiques ?
Rémy Amahirwa : Oui, en tant que famille, nous avons lancé un appel au Président Trump. Et son conseiller principal pour l'Afrique, Mr Bolous, Nous avons également contacté les médias. The Hill, un média basé à Washington, D.C., a publié un article d'opinion sous la forme d'une lettre ouverte et d'un appel à l'attention de Trump. Je pense que les États-Unis peuvent jouer un rôle important dans la région des Grands Lacs, surtout que maintenant ils tentent de négocier la paix entre le Rwanda et la République démocratique du Congo.
Je crois aussi que la pression internationale porte ses fruits. Kagame, le dictateur rwandais, a déclaré qu'il n'avait pas libéré ma mère en 2018 sous la pression internationale. Cependant, je pense qu'il s'est passé quelque chose en coulisses qui a changé la perception internationale du Rwanda. Ils y voyaient un État beaucoup plus répressif que le Singapour progressiste dont rêve Kagame.
Je suis donc convaincu que c'est grâce à la pression internationale que ma mère a été libérée. Je crois et j'espère que cela peut se reproduire. Nous l'avons vu dans le cas du héros d'Hôtel Rwanda, lorsque ses filles ont plaidé en faveur de sa libération. Il a pu rentrer chez lui et retrouver sa famille. Je pense qu'il pourrait en être de même pour ma mère.
Le Rwanda est très soucieux de son image. Ils accusent notamment ma mère de donner une mauvaise image du Rwanda sur la scène internationale. Mais je pense vraiment qu'ils donnent eux-mêmes cette mauvaise image en la privant de liberté, de même que les neuf autres personnes de son Parti qui ont simplement lu un livre. Lire un livre n'est pas un crime, à moins d'être en Corée du Nord. Mais si le Rwanda veut devenir la Corée du Nord, il est sur la bonne voie.
Il y a également beaucoup d'autres prisonniers politiques au Rwanda. Que peuvent faire les citoyens ordinaires, les militants et les décideurs politiques qui vous écoutent en ce moment pour aider votre mère ?
Rémy Amahirwa : Ils peuvent continuer à faire ce qu'ils font déjà, comme écouter vos podcasts. Pendant très longtemps, un seul récit de l'histoire du Rwanda était autorisé, celui approuvé par le président Kagame. Tout autre récit était considéré comme faux ou génocidaire.
Je crois toutefois que les gens doivent d'abord s'informer sur l'histoire du Rwanda et sur la situation politique actuelle. Des plateformes comme la vôtre, qui traduisent les questions rwandaises en anglais, y contribuent. En plus de s'informer, je pense qu'ils pourraient également diffuser ce qu'ils ont appris sur la situation au Rwanda. Je pense que le régime s'en est tiré pendant très longtemps parce qu'il n'y a pas eu de protestations, ni de la part du peuple rwandais ni de la part de la communauté internationale. Le monde est devenu si petit et nous sommes tous si interconnectés. Je crois donc vraiment que les citoyens ordinaires et les activistes peuvent tous jouer un rôle. Nous pouvons réellement changer l’opinion des gouvernements dans nos propres pays.
De nombreux pays apportent leur aide au Rwanda, et nous leur disons : "Bien sûr, apportez votre aide". Le Rwanda reste un pays pauvre. Mais on n’en parle pas. Je l'ai vu de mes propres yeux en voyageant en dehors de Kigali, mais aussi dans certains quartiers de la capitale que la plupart de touristes ne visitent probablement pas. C'est là que les belles routes pavées s'arrêtent pour laisser place aux routes de gravier et aux chemins cahoteux. L'aide doit donc être maintenue.
Mais je pense que cette aide doit être assortie de certaines conditions, comme le respect des droits humains et l'ouverture de l'espace politique. Cela permettrait d'éviter qu'une seule personne gouverne et dicte sa conduite pendant plus de 30 ans. Le Rwanda compte d'autres personnes intelligentes. Il y en a beaucoup d'autres qui peuvent apporter leur contribution. Mais si elles n'ont pas leur chance, nous travaillons contre nous-mêmes, nous, les Rwandais.
Alors oui, écrivez à vos députés locaux et défendez les intérêts du Rwanda. N'oubliez pas que ma mère n'est qu'une citoyenne ordinaire, comme nous tous. Mais nous aussi, nous pouvons nous battre et changer les choses.
Vous pouvez écouter la version originale de l'interview de Rémy Amahirwa avec Denise Zaneza en anglais via le lien ci-dessous.