J'ai trouvé depuis le début la candidature de Jean-Luc Mélenchon intéressante. Il semble que je sois rejoint par un nombre croissant de citoyens !
Je partage l'idée que les deux quinquennats précédents ont été catastrophiques. Or tous les autres candidats (pour me limiter à ceux qu'on dit "principaux") promettent d'en reproduire et d'en amplifier les défauts. Ils avaient d'ailleurs tous deux débuté sous le signe d'une "rupture" qui n'est pas venue.
Elle ne saurait venir que d'un changement profond des rapports avec Bruxelles, qu'il résulte soit d'un "Frexit", soit d'une tentative enfin réussie d'amener à la raison le gouvernement allemand. Le programme de Mélenchon, consistant à menacer d'un Frexit en essayant d'entraîner dans une révolte les pays d'Europe du Sud, me paraît plus clair et plus efficace que celui du Front national.
Cependant, mon lecteur en cet espace est probablement intéressé, plus que par mes opinions citoyennes, par le jugement du spécialiste français d'Adolf Hitler sur les correspondances entre la situation actuelle et celle des années trente.
Cette dernière me semble avoir été dominée par une personnalité dont l'équivalent est aujourd'hui introuvable. Abstraction faite de la personnalité de son fondateur et metteur en oeuvre, je dis depuis longtemps que le nazisme n'est pas reproductible parce que Hitler était à la tête d'une très grande puissance dont seuls les Etats-Unis offrent aujourd'hui un équivalent, et parce qu'un Hitler américain est inconcevable car il ne pourrait jouer ni d'une défaite, ni d'une apparente infériorité. Ce n'est pas l'élection de Trump qui est de nature à me faire changer d'avis : tout le monde l'attend au tournant et il ne songe guère à maintenir le masque de pacifisme dont il s'est certes, par moments, affublé pendant sa campagne.
Depuis quelques jours un tir de barrage se déchaîne contre Mélenchon (dont la politique intérieure est globalement passée sous silence, au profit d'une politique extérieure fantasmée à partir de quatre noms : Castro, Chavez, Assad et Poutine), de la part non seulement de ses rivaux mais de l'immense majorité des médias (ceci expliquant cela). C'est en quelque sorte rassurant pour moi qui avais émis sur Médiapart, dès le 18 février, la crainte de son élimination physique https://blogs.mediapart.fr/francois-delpla/blog/180217/melenchon-attention et mis les points sur les i le 3 mars en évoquant l'assassinat de Jaurès https://blogs.mediapart.fr/francois-delpla/blog/220317/cauchemar-daech-versus-melenchon . En effet, si la situation me fait penser à un avant-guerre, c'est plutôt à celui des années dix que des années trente.
En se laissant glisser dans la guerre en 1914, la planète a perdu un siècle. A-t-elle le droit et le temps d'en perdre un autre ?
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Puisse le nom de Patrick Cohen passer bientôt en proverbe !
Le brillant présentateur de la matinale de France Inter vient de déshonorer sa profession tout en la poussant au vice. Sur un plateau de télévision, lundi 10 avril, il a isolé dans les127 pages du programme de la France insoumise une ligne, elle-même prélevée sur les 37 de l'article 62 (sur la politique extérieure) en laissant croire qu'il s'agissait de l'intégralité de ce point. Il est question de l'Alliance bolivarienne (ou Alba) à laquelle la France, dit le programme, doit adhérer. Cohen et, après lui, Aphatie (sur RTL) puis Joffrin (dans un édito de Libération) affectent de croire que ce serait en rapport avec la sortie, préconisée par ailleurs, de l'OTAN et qu'il s'agirait d'un bloc militaire intégrant la Russie, l'Iran et la Syrie de Bachar el-Assad. Or il s'agit d'une simple union économique latino-américaine dont la France, en raison de son implantation en Guyane, est déjà partenaire. Le symptôme est un peu léger pour faire apparaître l'élection de Mélenchon à l'Elysée comme le prélude d'une adhésion immédiate de la France à un empire du Mal. Il n'empêche que le gros des médias (à d'honorables exceptions près que détaille Olivier Tonneau https://blogs.mediapart.fr/olivier-tonneau/blog/150417/l-affaire-bolivar-ou-les-insoumis-face-aux-editorialistes-acte-iii ) s'est engouffré derrière le Panurge de France-Inter. A l'heure qu'il est ils doivent bien être quarante.
Pourquoi l'affaire ne passerait-elle pas à la postérité sous le label
BOLIBOBARD et les quarante faussaires ?
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Un aveu tardif d'Alain Bergounioux http://www.telos-eu.com/fr/la-vertu-le-bruit-et-la-fureur.html :
"Jean-Luc Mélenchon n’est donc pas là par un concours de circonstances. Il est temps de considérer avec sérieux ce qu’il propose et ce qu’il représente. Cette préoccupation est un peu trop tardive. Car les cartes sont sur la table depuis longtemps. Le programme de la « France insoumise », L’avenir en commun, est disponible depuis la fin de l’année 2016. Les essais, théorisant son positionnement, L’Ere du Peuple, Le Hareng de Bismark, Qu’ils s’en aillent tous, etc. depuis plus longtemps."
Historien et militant du Parti socialiste français, Bergounioux ne va pas jusqu'au bout de son aveu : si lui-même et ses pairs ont tant tardé à se pencher sur les positions de la France insoumise, c'est qu'ils les considéraient avec un souverain mépris, à l'abri du cordon sanitaire des grands médias, lesquels parlaient du candidat le moins possible et toujours en mauvaise part. Ah certes, on en savait un rayon sur son ego surdimensionné, sa volonté d'isolement et son indifférence à la victoire présidentielle, tout occupé qu'il était d'achever le parti socialiste ! On en avait entendu parler de son chavisme, de son castrisme et de son poutinisme, sans la moindre considération pour les incompatibilités de ces étiquettes ! Voilà-t-il pas qu'il a des idées et des auditeurs qui les partagent ? Quel tricheur, décidément !
Pour le reste, Bergounioux et bien d'autres publicistes roulant pour les rivaux de Mélenchon limitent leurs analyses historiques à l'échec des régimes de type soviétique sans omettre, passé de JLM oblige, le coup de griffe rituel à Trotsky. On cherchera vainement sous ces plumes une analyse pourtant évidente : dans bien des pays et notamment en France, depuis de nombreuses décennnies, l'idée du "vote utile" a polarisé les forces de progrès au profit des partis sociaux-démocrates. Lesquels traversent une crise profonde, en raison principalement de l'acuité croissante des problèmes et de leur manque total d'imagination pour y faire face. En France cependant le président Hollande a battu dans ce domaine tous les records. Elu sur un programme nettement axé à gauche après un quinquennat de droite peu concluant, il a trahi méthodiquement ses promesses et semblé calquer consciencieusement sa politique sur celle de son prédécesseur Sarkozy : alignement sur les forces les plus réactionnaires de l'UE et de l'OTAN, répression des syndicats et des manifestations, cadeaux financiers et législatifs au patronat, chef d'Etat campé le plus souvent possible en chef de guerre, discours et attitudes xénophobes, mépris de la démocratie en installant à Matignon le candidat ayant fait le score le plus faible à la primaire, échecs législatifs sur la nationalité ou les vêtements de plage pour entorses flagrantes aux droits élementaires, etc.
Cette situation crée une opportunité sans précédent. Face à une droite moins imaginative que jamais et empêtrée dans des scandales, l'offre socialiste se divise entre un Macron plus du tout de gauche et un Hamon qui n'ose pas l'être tout à fait, tandis que l'exaspération des victimes sociales des deux exercices précédents favorise une montée de l'extrême droite devant laquelle se pose plus que jamais la question du vote utile. Mais, cette fois, c'est le candidat le plus à gauche qui apparaît d'ores et déjà, et risque d'apparaître de plus en plus au fil des jours qui viennent, comme le choix le plus utile. Dans un second tour contre Marine Le Pen, les chances d'un bourgeois immature et méprisant comme Macron, responsable d'une bonne partie des carences du quinquennat, ne sont pas plus éclatantes que celles d'un tribun au mieux de sa forme ayant l'oreille de larges masses, et surtout une victoire de Macron, gage d'un alignement inchangé sur l'Allemagne et les Etats-Unis, donc d'une austérité renforcée et d'une insolence patronale débridée, risquerait de rendre inéluctable le triomphe de l'extrême droite la fois d'après.
Qu'on le veuille ou non, le vote Mélenchon semble d'utilité publique à un nombre croissant d'électeurs. Et, si le candidat conserve sa sérénité, la haine qui se déploie un peu plus tous les jours va encore, par un effet de contraste, gonfler ses voiles.