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Billet de blog 6 mai 2025

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Pourquoi Emmanuel Macron relance t-il la question des rythmes scolaires ?

Pas besoin de « convention citoyenne ». Tout le monde sait ce que sont de bons rythmes scolaires pour les élèves. Et tout le monde sait pourquoi on ne les applique pas totalement. Alors quel but Emmanuel Macron poursuit-il avec cet énième épisode de ce marronnier de l'Education nationale ?

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Une convention citoyenne sur les rythmes scolaires

Illustration 1
E. Macron en 2018 © François Jarraud

Lendemain de jour férié. Vendredi 2 mai, Emmanuel Macron lance l'idée d'une nouvelle "convention citoyenne" sur les rythmes scolaires. Elle aurait lieu tout l'été au minimum sous la houlette du CESE. Pour le président de la République, il s'agit de "faire en sorte que l'organisation des journées de nos élèves soit plus favorable à leur développement et aux apprentissages" et "qu'un équilibre soit trouvé aussi pour faciliter la vie des familles". Pour cela, il invite "les parents, la communauté éducative, les collectivités locales et même les professionnels du tourisme" à participer à la convention.

La question des rythmes est tout sauf une nouveauté. On peut rappeler l'expérimentation de la semaine de classe de 4 jours en 1991, la consultation Bayrou qui ne débouche sur rien en 1994, la réforme Darcos en 2007 qui permet la semaine de 4 jours ou de 9 demi journées en libérant le samedi et 2 heures de classe, le rapport de l'Académie de médecine de 2010 suivi par la conférence nationale impulsée par Luc Chatel qui privilégient des semaines de 9 demi-journées avec un horaire quotidien réduit, la réforme des rythmes décidée en 2012 qui impose les 9 demi-journées, et enfin la réforme Blanquer, sous E Macron, qui rétablit presque partout la semaine de 4 jours.

Ce qu'on sait sur les rythmes

Autant dire que la question des rythmes est tout sauf un terrain vierge. De nombreux experts (C. Leconte, F. Testu, H. Montagner) chronobiologistes ont partagé leurs travaux. Tous concluent en faveur d'une année scolaire équilibrée selon un rythme 7 semaines de classe suivies de 2 semaines de congés. Ils recommandent aux cycles 1 à 3 (voire cycle 4) 9 demi-journées de classe avec un maximum de 5h30 par jour. Ce système a été mis en place difficilement entre 2012 et 2017. Il imposait aux communes la prise en charge d'activités périscolaires, ce qui a suscité de nombreuses oppositions communales. Il revenait aussi à faire travailler les professeurs des écoles une demi journée supplémentaire (même si le nombre d'heures de classe ne changeait pas) ce qui a soulevé de nombreuses oppositions. La réforme Blanquer, en revenant en fait presque partout à la formule Darcos a annulé tout cela.

La France, le pays des vacances ?

Les comparaisons européennes d'Eurostat montrent que, contrairement à ce qu'on dit souvent, la France n'a pas des vacances d'été particulièrement longues. On compte 8 à 10 semaines dans les pays d'Europe centrale, 10 à 12 en Espagne et dans les Balkans, plus de 12 semaines en Italie, Grèce et Turquie. Nos 7 semaines font pale figure par rapport à eux et sont comparables à ce qui se fait en Allemagne, Belgique, Pays-Bas par exemple.

La particularité française est dans l'alternance régulière de 7 semaines de classe suivies de 2 semaines de congés pour un total 8 semaines annuelles. Si on prend les congés d'automne, 19 pays européens n'ont qu'une semaine, 13 n'ont rien du tout et certains ont 3 semaines.

Une particularité française c'est l'importance du nombre des heures de cours. On compte en France 9000 heures d'enseignement tout au long de la scolarité obligatoire. La moyenne européenne est à 7700 h. Pour être précis, les jeunes français ont 4320 h de cours au primaire contre 2956 h en moyenne en Europe. Au collège c'est 3784 h contre 2956 h.

Mais la vraie singularité française c'est le faible nombre de jours de classe : 162 jours contre 170 à 190 chez nos voisins. Avec l'importance du nombre d'heures de cours, cela fabrique des horaires scolaires particulièrement lourds qui ne sont pas pour rien dans les difficultés des élèves français.

Pourquoi passer en revue tout cela ? Parce qu'on voit que la question des rythmes scolaires est un curieux meuble à tiroirs. On peut approcher la question sous des angles variés et arriver à bouleverser des habitudes acquises, des catégories sociales différentes et des intérêts parfois très éloignés de l'Ecole.

Une esbroufe ?

Face à l'annonce d'E Macron les réactions sont plutôt hostiles dans le monde enseignant. L'Unsa Education annonce qu'il participera à la consultation mais enrobe  celle-ci de réserves. Du coté de la FSU, S. Vénétitay, secrétaire générale du Snes Fsu, le plus important syndicat du 2d degré, parle de "grand exercice d'esbroufe". Pour elle le vrai défi du gouvernement devrait être d'arriver à trouver des enseignants. Ces réactions montrent la méfiance du monde enseignant. Tous se demandent quelle arrière pensée a E Macron...

Première hypothèse, la plus répandue : E. Macron et son gouvernement amusent l'opinion tout en surfant sur du prof bashing. C'est un domaine où le gouvernement excelle. Un exemple : au même moment, E Borne évoque une possible revalorisation des milieux de carrière des enseignants alors que le gel du point Fonction publique fait baisser le reveu réel de tous les professeurs. Evoquer les rythmes c'est, comme sous Luc Chatel, ne pas parler des vrais sujets : le salaire, le recrutement, la formation, tous en déclin.

Le retour des 9 demi-journées ?

D'autres hypothèses viennent à l'esprit. Le gouvernement veut-il revenir aux 9 demi journées de cours préconisées par les chronobiologistes ? Cela augmenterait automatiquement les frais des collectivités locales. Elles devraient payer davantage de chauffage et d'entretien des locaux et en plus organiser des activités périscolaires supplémentaires. C'est cela qui a conduit à revenir sur les rythmes de 2012. Une telle réforme transfère des charges aux communes au moment où l'Etat entend réduire leurs dépenses pour diminuer le déficit budgétaire.

Troisième hypothèse : le gouvernement veut-il revenir sur l'alternance 7-2 dans l'année scolaire ? Celle-ci a du mal à se stabiliser. L'intérêt serait de généraliser le zonage des vacances. C'est ce que demande l'industrie touristique pour diminuer ses investissements. L'inconvénient c'est de mécontenter les familles qui auront du mal à partager leurs congés.

Alléger les temps d'enseignement ?

Quatrième hypothèse  : le gouvernement veut-il alléger les temps d'enseignement ? Ce serait un moyen facile pour libérer des postes et alléger le budget de l'Education nationale à un moment où l'équilibre budgétaire (re)devient la priorité. On a un exemple en mémoire :  le passage de 26 à 24 heures hebdomadaires dans le premier degré en 2008. En supprimant 2 heures de soutien, le gouvernement visait à récupérer 8000 postes de Rased. Il y a presque réussi. Le gouvernement pourrait arguer du nombre important d'heures de cours. Mais il lui sera difficile d'expliquer, qu'en réduisant le nombre d'heures de cours, les élèves vont apprendre plus de choses. L'exposition à l'enseignement reste le premier facteur d'apprentissage.

Modifier les obligations de service ?

La cinquième hypothèse me semble plus solide. Le gouvernement pourrait, sans rien changer par ailleurs, augmenter le nombre de semaines de cours. Par exemple l'année scolaire pourrait s'étaler sur 37 ou 38 semaines au lieu de 36. Cette mesure aurait plein d'intérêt pour le gouvernement. D'abord elle facilite la garde des enfants tout en maintenant des vacances d'été suffisantes. Elle diminue le coût des dispositifs que le ministère de l'éducation nationale et les collectivités locales mettent en place en été pour prendre en charge une partie des enfants.

Mais le vrai intérêt est ailleurs. Les professeurs sont mensualisés. Ils ne seraient pas payés davantage. Cette réforme n'aurait aucun impact financier négatif sur le budget éducation nationale. Au contraire elle ouvrirait de remarquables opportunités pour la rue de Grenelle. L'horaire annuel disciplinaire ne serait pas modifié. Ainsi les collégiens du cycle 4 auraient toujours 3.5 h de maths sur 36 semaines. Mais leur professeur devra deux semaines , soit 36 heures, supplémentaires.

Que faire de ces heures nouvelles ? Elles peuvent servir à placer des dispositifs que le ministère n'arrive pas à installer ou qu'il paye actuellement. En premier lieu la "semaine de l'orientation" qui n'existe que sur le papier. Les heures sont dans les horaires officiels mais ne sont pas financées. Et elles correspondent à une vraie problématique du  système éducatif.

C'est la même chose pour la formation continue des enseignants. Alors que le gouvernement abaisse le niveau de la formation initiale, jusqu'à supprimer les épreuves écrites et donc toute sélection pour les professeurs des écoles, la formation continue décline d'année en année. En modifiant les obligations de service on peut récupérer facilement une semaine de formation pour tous sans avoir à remplacer les enseignants.

Ces heures peuvent encore servir à assurer des remplacements ou à mettre en place, par exemple dans le 1er degré, du soutien. On le voit : il s'agit dans tous les cas de vrais sujets qui ne sont pas correctement traités par l'Education nationale. Surtout, ce sont de vraies demandes des parents qui sont anxieux de la réussite scolaire de leurs enfants et de leur devenir. Il y a là un levier dont le gouvernement pourrait s'emparer.

Un Jurassic World plébiscité

En allant dans ce sens, E. Macron et F. Bayrou s'appuieraient sur des études déjà anciennes. D'abord l'idée que toute revalorisation soit être liée à une réforme du métier enseignant. Pour Matignon il y a bien eu revalorisation en 2022, même si elle a été totalement annulée par l'inflation. C Cardon-Quint, dans L'argent de l'école (Presses Sciences-Po), montre que dès les années 1980s la Direction du Budget a préparé des études en ce sens. Une première note de 1982, évoquant "la faible productivité" des enseignants, proposait d'augmenter de 2 heures leur temps de service dans le 2d degré pour leur faire faire du soutien, des remplacements et déjà l'orientation. Nouvelle note en 1984 pour réaménager l'année scolaire afin de dégager les fameuses 2 heures pour l'orientation , le soutien et la formation. L'administration a de la mémoire. Bercy encore plus. Quarante ans plus tard ce Jurassic World budgétaire pourrait bien revivre...

François Jarraud

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