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Billet de blog 16 juillet 2025

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Plan Bayrou : quel impact sur l'Education nationale ?

Les enseignants sont doublement touchés par le plan présenté par François Bayrou le 15 juillet. Le gel salarial va continuer pour des agents déjà très mal payés. Avec un budget stable, l'Education nationale devra encore réduire l'offre scolaire ce qui se traduira par une dégradation des conditions de travail.

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Le plan Bayrou

Illustration 1
F. Bayrou le 15 juillet 2025 © Flux vidéo du premier ministre

 « Être obligé d'emprunter tous les mois pour payer les retraites ou les salaires des fonctionnaires, c'est une malédiction. » En ouvrant, le 15 juillet, la présentation de son plan par ces propos, le premier ministre désigne, dès ses premiers mots, ceux qui vont porter le poids de son plan d'austérité de 43 milliards.

Le plan vise à stabiliser la dette publique en ramenant le déficit public à 4,6 % dès 2026 et finalement à 2,8 % en 2029. "Ce plan passe par la stabilisation et la baisse de la dépense publique", assène F. Bayrou. "Le travail et la compétitivité doivent être épargnés." Le Premier ministre annonce une année blanche pour 2026. "L'État ne dépensera pas davantage en 2026 qu'en 2025 à l'exception des armées."

Cela concernera d'abord les postes de fonctionnaires. 3000 postes seront supprimés dans la Fonction publique dès 2026. 1500 postes disparaitront chez les opérateurs. De 2027 à 2029, un fonctionnaire sur trois partant en retraite ne sera pas remplacé, annonce le Premier ministre. Il s'inspire d'une mesure mise en place par N. Sarkozy qui ne remplaçait pas un fonctionnaire sur deux.

"L'ensemble des prestations sociales sera maintenu en 2026 au niveau de 2025", ajoute F. Bayrou. "Cela concernera la masse salariale publique." Le Premier ministre précise que les "règles d'avancement sont maintenues". Dans les prestations sociales gelées en 2026, il y a les retraites. Sauf que l'abattement fiscal de 10 % des retraités est supprimé et remplacé par un forfait qui devrait être de 2000 €. Les retraites moyennes et supérieures devraient donc payer plus d'impôt en 2026.

Le barème des impôts est lui aussi maintenu en 2026. Cela se traduira automatiquement par leur hausse. 5 milliards d'économies sont programmées sur les dépenses sociales, notamment de santé : forfait de 100€ sur les médicaments, chasse aux arrêts maladie et aux affections de longue durée.

Enfin le Premier ministre annonce la suppression de 2 jours fériés et propose le lundi de Pâques "qui n'a pas de signification religieuse" et le 8 mai. Ce dernier avait été rétabli comme jour férié par F. Mitterrand.

F. Bayrou évoque une contribution de solidarité payée par les plus aisés mais sans en préciser le montant ou le barème. L'effort national de tous vanté par F. Bayrou repose en fait sur les ayants droit sociaux, les retraités et singulièrement sur les fonctionnaires montrés du doigt dès les premières secondes.

Un paradoxe : le maintien de la réforme de la formation des enseignants

Le budget des ministères n'a pas été communiqué même si Bercy a récupéré les projets ministériels et si celui de la Défense est déjà fixé. Les plafonds prévisionnels devraient être connus rapidement.

Pour l'Éducation nationale, F. Bayrou a précisé maintenir la réforme de la formation initiale des professeurs. Le gouvernement entend poursuivre cette réforme pourtant très contestée par des syndicats enseignants. Les nouvelles épreuves, en licence, auront lieu au printemps 2026. Après le concours, les élèves professeurs seront rémunérés 1400 € en M1 puis 1800 € en M2. En même temps les élèves professeurs seront enseignants à mi-temps en M2 et feront 12 semaines de stage en M1, soit un tiers-temps. Le cout de la réforme en année pleine pourrait être d'environ 300 millions en tenant compte de cet apport en travail des élèves. Pour la seule année 2026, la réforme couterait entre 50 et 100 millions. En termes de postes, il y aura plus de 20 000 élèves professeurs.

Quel budget pour l'Éducation nationale ?

"L'État ne dépensera pas davantage en 2026 qu'en 2025 à l'exception des armées", déclare F. Bayrou. L'année blanche pour le budget de l'Éducation nationale, c'est le maintien en 2026 du budget 2025. C'est d'ailleurs ce qui était conçu initialement par la loi de programmation des finances publiques pour 2023-2027.

Si le budget 2026 est adopté par le Parlement, la difficulté de l'année blanche sera triple. Il faut trouver le financement de l'avancement des agents (le glissement vieillesse technicité GVT). Il représente environ 400 millions. Il faut payer le coût de la réforme des élèves professeurs, probablement un peu moins de 100 millions. Et il faut résister aux pressions des catégories. L'encadrement, par exemple, sait très bien défendre ses intérêts.

L'Éducation nationale est capable de construire un tel budget d'austérité. D'abord elle pourra récupérer des emplois pour au moins 300 millions (voir ci-dessous). Ensuite parce que l'analyse de ses comptes montre la haute technicité de la rue de Grenelle pour dégager des moyens. L'épisode de 2024 rappelle que cette année-là elle a réussi à dégager un milliard pour répondre aux 700 millions retirés brutalement par Bercy et à des dépenses inattendues. 

Depuis l'arrivée d'E. Macron, le ministère s'est affranchi de son budget voté en sous-consommant de façon importante des moyens sur certains postes (par exemple plus d'un milliard sur le budget formation) pour boucher des trous ailleurs. Ainsi, en 2024, le budget du 2ᵉ degré est sous-exécuté quand celui des lycées est sur-exécuté de 1,7 milliard (voir le rapport Paccaud au Sénat). La distorsion entre le budget voté et le budget réel atteint des niveaux qui scandalisent des parlementaires. 

Mais au final dans ce jeu-là, il y a des perdants. Et dans un ministère où 90 % des dépenses sont des salaires, le poste d'économies, c'est les personnels. Quand l'argent manque, le ministère paye mal les personnels et rabote sur les frais de déplacement, les heures supplémentaires HSE et le Pacte. Il dégrade l'offre éducative en supprimant des postes de contractuels. En 2024, il n'a pas hésité à puiser même dans les fonds sociaux.

Quelle évolution pour les postes ?

F. Bayrou a annoncé 3000 postes de fonctionnaires supprimés en 2026. L'Éducation nationale pèse la moitié des fonctionnaires d'État, ce qui donne un bon motif pour y puiser des moyens. Et la baisse démographique apporte aussi de bons arguments à Bercy. On attend 90 700 élèves en moins dans le premier degré à la rentrée 2025 et 116 800 à la rentrée 2026 selon la Depp. Dans le second degré, la baisse est plus difficile à évaluer. Elle serait d'environ 10 000 élèves à la rentrée 2025 et environ 40 000 à la rentrée 2026. Au total cela correspond à 4100 postes dans le premier degré à la rentrée 2025 et environ un millier dans le second. Pour 2026, le ministère pourrait espérer récupérer environ 9000 postes. Même si un récent rapport de l'IPP assure que diminuer le nombre d'enseignants en suivant la baisse démographique est une mauvaise idée. 

À partir de 2027, le gouvernement souhaite appliquer la règle d'un poste supprimé pour 3 départs en retraite. On a compté environ 20 000 départs en retraite d'enseignants en 2023 et 3000 de non-enseignants. Difficile d'estimer les effectifs en 2025 et 2026 : le nombre de départs en retraite est poussé à la hausse par la pyramide des âges de l'Éducation nationale. Mais il est aussi freiné par l'aggravation des conditions des départs en retraite. Le résultat final apporte souvent des surprises… On peut prévoir 7700 à 10 000 postes qui pourraient être supprimés si le gouvernement applique sa règle au budget 2027 pour ce motif.   

Le mouvement semble avoir été anticipé par le ministère ces dernières semaines. Selon les syndicats, on compte au moins 5000 fermetures de classes dans le premier degré. Dans le second degré, les dotations horaires subissent des baisses. Un peu partout on trouve des collégiens sans place en lycée, des lycéens qui n'ont pas la spécialité demandée, des contractuels licenciés secs, des services enseignants modifiés sur plusieurs établissements.

La crise du recrutement aggravée

Car ces suppressions d'emplois arrivent dans un ministère où les personnels estiment déjà être largement en sous-effectifs. Concrètement, les classes françaises restent de loin les plus chargées d'Europe. La crise de recrutement frappe le 1ᵉʳ comme le 2ᵈ degré et près de 3000 postes mis aux concours cette année n'ont pas trouvé preneurs. Les disciplines jugées les plus importantes par le ministère (maths, français) font partie des plus déficitaires.

Le nouveau tour de vis annoncé par F. Bayrou le 15 juillet ne va faire qu'aggraver la crise du recrutement. À la dégradation des conditions de travail dans des classes surchargées, le Premier ministre ajoute l'absence de toute revalorisation globale ou catégorielle en 2026 et donc une baisse du pouvoir d'achat réel. Dans ce tableau, le pari d'abaisser le niveau de recrutement des futurs enseignants pour faire face aux besoins est perdu d'avance. C'est aussi ce que dit l'annonce officielle du non-remplacement d'un fonctionnaire sur trois. 

L'éducation nationale en déclin

Le pire est pourtant ailleurs. Depuis 2024, le budget de l'Education nationale est victime de coups de rabot inattendus et violents de gouvernements incapables de gérer le pays. A chaque fois, le ministère trouve des solutions en dégradant un peu plus l'offre éducative. Et chaque année, on redémarre un peu plus loin de la loi de finances et un peu plus bas. Et chaque fois il y a un parlementaire de droite pour justifier la prochaine baisse.

Ainsi le sénateur LR Paccaud dans son analyse des comptes de 2024 : "malgré ces annulations (692 millions en 2024 NDLR), les crédits de la mission ont quand même été sous-exécutés de 93 millions d’euros en CP, malgré des réouvertures de crédits en gestion. Au total, ce sont 534 millions d’euros qui n’ont pas été consommés par rapport aux prévisions en loi de finances initiale. On peut donc en déduire qu’il existe des marges d’économies sur la mission « Enseignement scolaire », puisque le Gouvernement a pu opérer ces annulations. Dans un contexte contraint pour les finances publiques, des pistes d’économies peuvent être explorées". Bayrou l'a entendu.

Le budget de l'éducation nationale est entré dans une sinistre spirale déflationniste. Alors que l'école privée s'appuie sur des fonds privés et sur de larges subventions des collectivités locales, d'année en année, l'école publique réduit son envergure. D'année en année ses résultats s'en ressentent et la confiance des parents s'érode. D'année en année le fossé se creuse entre une école sous financée qui collecte les publics difficiles et une école privée sur financée qui réunit les plus favorisés. Les difficultés de l'école publique sont exploitées par ceux là même qui fabriquent cette crise pour la mettre à mal et vanter l'école libérale "autonome". Sans une inversion de tendance, nous verrons à courte échéance cette vague submerger l'école publique.

François Jarraud

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