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Journaliste engagé pour l'Ecole. Fondateur et rédacteur en chef (2001-2023) du Café pédagogique.

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Billet de blog 20 mai 2025

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La Cour des Comptes demande le regroupement des écoles

Dans un nouveau rapport, la Cour des Comptes met l'école primaire sous pression. Alors que le nombre d'élèves diminue, la Cour recommande d'accélérer les regroupements d'école. Une mesure qui dégagerait des postes et transformerait les directeurs d'école en vrais chefs d'établissement.

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Une critique féroce des résultats scolaires

Illustration 1
Dans une classe de l'école élémentaire © François Jarraud

"La diminution attendue des effectifs scolarisés doit permettre de repenser le modèle actuel de l’école". Dans un nouveau rapport, la Cour des Comptes lie deux objectifs : réduire la dépense d'éducation et faire évoluer le statut des directeurs d'école pour en faire de vrais managers.

Pour cela, la Cour se livre à une critique féroce des résultats de l'école primaire. Elle dénonce  "un niveau des élèves inacceptable" en s'appuyant sur les seules évaluations internationales PIRLS et TIMSS.  "En mathématiques, la France est classée dernière des 22 pays de l’UE ayant participé à l’enquête. En français, la situation n’est guère plus satisfaisante : après une baisse continue depuis 2001..., notre pays reste à l’antépénultième place des 18 pays de l’UE ayant participé. Ces classements s’accompagnent d’un étiolement de la part des très bons élèves, part qui est très largement en-deçà des moyennes européennes". On notera que la Cour n'accorde pas de crédit aux évaluations nationales. Cette évaluation moyenne ne tient pas compte des écarts énormes de niveau entre les élèves de catégories sociales différentes. La Cour les connait pourtant bien puisqu'elle montre aussi "une école qui amplifie le déterminisme social".

Pour la Cour, ces résultats désastreux ont lieu "en dépit d’une augmentation constante ces dix dernières années de la dépense consacrée à l’école primaire". Une affirmation forte mais que la Cour contredit quelques pages plus loin : "en dépit des efforts consentis ces dernières années, notamment à travers le dédoublement des classes pour certains publics dits prioritaires, la France dépense moins que les autres pays dans l’enseignement élémentaire. Par rapport à la moyenne de l’OCDE, on observe ainsi une contribution moindre de l’État (1,3 % du PIB contre 1,5 % en 2020)".

Le modèle du privé

Ce qui est intéressant ce sont les conclusions que la Cour en tire. La principale c'est "une gouvernance et un pilotage des écoles à reformer... Concernant l’organisation des écoles primaires il est nécessaire de réformer le pilotage des établissements, de renforcer la place des directeurs d’école et d’adapter la structuration des réseaux scolaires".

Un modèle se profile :" La comparaison avec le statut des chefs d’établissements dans les écoles privées sous contrat permet d’envisager des marges d’évolution dans les missions dévolues au directeur d'école", écrit la Cour. Ceux-ci embauchent les enseignants et ont pleine autorité sur eux. La Cour recommande qu'ils puissent décider de la formation des enseignants. Elle vante aussi le cas du Portugal où les directions décident de 25% des enseignements dispensés.

Généraliser les RPI

Surtout, "il apparait pertinent de mener à bien la réforme du statut des directeurs en liaison avec le regroupement des sites". C'est le deuxième objectif de la Cour : regrouper au maximum les écoles ,particulièrement là où la baisse des effectifs multiplie des structures petites. La Cour envisage de nommer des directeurs ayant plusieurs écoles sous leur autorité. Elle va même plus loin vers "l'école du socle" en envisageant des écoles primaires qui déborderaient sur le collège. "En Europe, de nombreux pays on fait le choix de rattacher la classe de 6ème à l’école primaire. C’est le cas de la Suède, du Danemark, de la Finlande, de l’Estonie ou encore de la Pologne. En France, « l’école du socle », dans son volet le plus intégré (partage de locaux ou classes mixtes) suppose une clarification du statut de l’école primaire puisque le directeur d’école évolue sans cadre réglementaire". Tout se tient.

"La généralisation des RPI, mais aussi la mutualisation de la gestion des écoles au sein de syndicats ou d’intercommunalités, avec l’accord des élus concernés, pourraient permettre d’améliorer sensiblement la connaissance des coûts des communes de moins de 3 500 habitants, en leur demandant une information budgétaire plus facile à mobiliser dans le cadre de RPI ou d’un syndicat de taille critique", poursuit la Cour."Face aux risques de fermeture d’une école, la création d’un regroupement pédagogique apparaît ainsi comme une solution de rationalisation qui pourrait encore être renforcée par la création d’un directeur unique".

Trois recommandations

Cela amène la Cour à faire trois recommandations. D'abord sur le statut des directeurs : "en liaison avec une refonte de la gouvernance des écoles, engager la réforme du statut de directeur d’école". Ce point est en lien avec une réforme de l'affectation des professeurs qui est peu développée dans le rapport : "instaurer des règles facilitant, in fine, la mobilité géographique". Enfin la Cour veut "systématiser les regroupements pédagogiques ou les regroupements d’écoles dans les territoires confrontés à une baisse des effectifs".

Bien-être et semaine de 5 jours

Après ces développements institutionnels, la Cour conclue sur le bien être à l'école. Mais, alors que la Cour déplore "une organisation de la semaine en inadéquation avec les intérêts de l’enfant", aucune recommandation ne vient à l'appui de ce point et le rétablissement de la semaine de 5 jours. "Même si aucune enquête systématique ne permet de comparer l’organisation de la semaine ou de la journée scolaire dans les différents pays, l’extrapolation des données de l’OCDE (division du nombre de jours d’école par le nombre de semaines scolaires) permet néanmoins de dégager un modèle dominant, qui est celui d’une semaine scolaire de cinq jours pleins. Quant à la semaine de quatre jours, elle n’est en vigueur que dans l’enseignement primaire français", dit la Cour.

Autre passage sans grande portée celui sur le numérique éducatif. La Cour mise sur le numérique pour relever le niveau des élèves. "Plusieurs mesures s’avèrent nécessaires pour davantage adapter les équipements numériques aux besoins pédagogiques en les mettant pleinement au service des apprentissages". La Cour utilise surtout cet argument pour insister sur la formation des enseignants. Car "il n’existe que peu d’études permettant d’apprécier l’impact des outils numériques sur les apprentissages des élèves". Une recommandation demande "d'assurer une progressivité de l’usage du numérique éducatif afin de prendre en compte les facteurs de développement et de bien-être de l’enfant".

En réalité une école française sous financée

Relevons que bien des affirmations du rapport sont peu étayées. D'abord sur le coût de l'école française. Après avoir atteint presque 8% du PIB en 1995, la Dépense intérieure d'éducation a diminué. Elle représente 6.7% en 2023 (contre 6.8% en 2022). Dans Regards sur l'éducation 2023, l'OCDE remarque que les dépenses par élève dans le primaire sont inférieures en France à la moyenne de l'OCDE : "elles sont inférieures de 9 % à la moyenne de l’OCDE dans l’enseignement élémentaire (9 673 USD contre 10 658 USD)". Pour bien comprendre ce chiffre, il faut savoir que l'OCDE comprend de nombreux pays peu développés. La dépense française est faible par rapport à celle des pays développés. Ce n'est pas étonnant : les salaires enseignants sont plus faibles en France que dans les pays comparables. "Le coût salarial des enseignants par élève au niveau élémentaire est en 2020 de 2 518 USD en France, ce qui est inférieur à la moyenne de l'OCDE de 3 614 USD. Cette différence peut être décomposée en quatre facteurs : les salaires effectifs moins élevés des enseignants réduisent les coûts (de 99 USD), les heures d'enseignement supérieures à la moyenne réduisent les coûts (de 506 USD), le temps d'instruction des élèves supérieur à la moyenne augmente les coûts (de 237 USD) et les classes plus nombreuses réduisent les coûts (de 727 USD)".

Des résultats liés à l'absence de mixité sociale

Les affirmations sur le niveau, tirées de PIRLS et TIMSS sont les plus solides. Bien des facteurs nationaux expliquent ces résultats. Par exemple, dans TIMSS, les écarts sociaux expliquent en grande partie le résultat moyen. L'écart de niveau entre les écoliers français issus de milieu favorisé et ceux de famille défavorisée est énorme : 524 points pour les premiers contre 430 pour ces derniers. Une centaine de points c'est l'équivalent de deux années d'enseignement d'écart ! On trouve le même écart quand on compare les ressources éducatives dans les familles : les mieux dotées (32% des familles) sont à 527, les moins bien (22%) à 424. Là aussi 100 points. Le ministère a beau dire que "la pédagogie va vaincre la sociologie", pour reprendre les mots de G. Attal, la sociologie se rappelle à l'Ecole. Les enfants les plus défavorisés sont regroupés dans des écoles spécifiques où les difficultés s'additionnent, y compris celles des remplacements. En France, le nombre moyen d’élèves par classe s’élève à 21,3 élèves en 2022. Il reste supérieur de 12% à celui de la moyenne des pays de l’UE (19,1 élèves).

Mais un rapport qui vient de loin

Ce rapport de la Cour des Comptes se situe dans une longue lignée de rapports qui arrivent tous aux  mêmes conclusions. Ainsi dès décembre 2021 la Cour regrettait "une adaptation trop lente de la structure de la dépense à l'évolution démographique des élèves". Elle demandait déjà "une refonte des modes d'organisation du système scolaire, touchant notamment l'autonomie des établissements et les prérogatives des chefs d'établissement... L'école, le collège, le lycée ne disposent pas d'une autonomie suffisante".

En juillet 2023, la Cour demandait déjà de territorialiser le système éducatif. "En dépit d’une dépense nationale d’éducation supérieure à la moyenne des pays de l’OCDE, le système éducatif français peine à produire des résultats satisfaisants. Son modèle de gestion, très vertical et centralisé, et privilégiant certains parcours, ne lui permet pas de fédérer les énergies au service de la réussite des élèves… En dépit de sa centralisation, le système éducatif français ne parvient pas à garantir l’égalité des chances", écrivait-elle. Elle demandait déjà de renforcer l'autonomie des établissements.

Ce nouveau rapport de la Cour des Comptes soutient les propositions de loi récentes déposées par des parlementaires de droite ou macronistes. Il fait directement allusion à la proposition de loi Rilhac (mars 2024) qui demande la création d'Etablissements public locaux d'enseignement primaire (EPLEP) dotés d'un chef d'établissement. C Rilhac reprend en mars 2024 une vieille idée venue de la droite.  Déjà, en août 2004, F Fillon portait le projet de création d'EPEP dans une loi sans réussir. En 2011, une nouvelle tentative échoue. En 2015, le rapport des inspectrices générales Leloup et Caraglio va dans le même sens. En 2017, dans "L'école de demain", JM Blanquer s'en déclare partisan. En 2018 les députés Bazin-Malgras et Rilhac publient un rapport pour transformer le statut des directeurs d'école. En 2019, l'amendement de C Rilhac à la loi Blanquer préconisant des regroupements d'école sous la houlette d'un principal échoue. Après moult péripéties, souvent cocasses, une première loi Rilhac donne en 2021 aux directeurs d'école une autorité "fonctionnelle". Sa récente proposition de loi n'a toujours pas été examinée par la Commission de la culture de l'Assemblée.

Qui veut des managers ?

Une autre proposition de loi va dans le même sens : celle du sénateur Brisson. Elle imagine des écoles et établissements publics sous contrat avec l'Etat avec des chefs d'établissement ayant la main sur le choix des enseignants et des enseignements. Elle a été adoptée par le Sénat. Et elle devrait passer devant la commission de la Culture de l'Assemblée le 23 juillet 2025.

Pourtant le rapport des inspectrices générales Bénédicte Abraham, Myriam Grafto et Armelle Poutrel sur "le pilotage pédagogique des écoles de l'enseignement primaire par les directeurs", tout en en défendant le principe, montre que les intéressés n'adhèrent pas à ce modèle du manager.  "Reste à aider le directeur à asseoir sa légitimité à être pilote pédagogique de l’école, garante de son autonomie", écrivent-elles. "Dans la question relative à la légitimité du directeur, il reste aussi un espace à conquérir : celui du regard que l’équipe porte sur ses fonctions afin qu’il acquière la légitimité qui lui revient dans le pilotage pédagogique".

De nouvelles économies sur l'école

L'idée de généraliser les regroupements d'école a elle aussi déjà fait l'objet de rapport. En avril 2024, un rapport conjoint des inspections générales de l'Education nationale et des Finances a calculer qu'adapter "le maillage territorial" permettrait de fermer 1925 écoles et de libérer 4927 postes d'enseignants.

Sur ce point, la Cour des Comptes est dans son rôle et aussi dans sa tradition. Sous couvert de bien-être, sous le reproche de l'inefficacité, il est question de récupérer des moyens sur le dos de l'Ecole.

François Jarraud

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