Dis moi comment les professeurs seront formés et je te dirai quelle sera leur place dans la société. Bien loin de s'opposer, les programmes des macronistes, des Républicains et du Rassemblement national pour la formation des enseignants se recoupent. La victoire aux législatives des uns ou des autres accélèrerait la transformation du métier enseignant lancée par Emmanuel Macron. Et au final son abaissement.
Précipitation du "puzzle accéléré"

Les élections peuvent être des accélérateurs. Emmanuel Macron transformait le système éducatif par petites touches avancées les unes après les autres selon le modèle du "puzzle accéléré" décrit par Xavier Pons.
Début avril 2024 il annonçait une réforme de la formation des enseignants des 1er et 2d degré avec application à la rentrée 2025. Publié juste avant la dissolution, le rapport des sénateurs M Brisson (LR) et A Billon (Centriste) permet de voir les étapes suivantes du puzzle. Les déclarations du député RN Roger Chudeau aux Echos, le 20 juin, montrent que le RN continuera le projet d'E Macron et des Républicains.
Lancée de façon très brutale et sans concertation quelques semaines avant les élections européennes, la réforme d'Emmanuel Macron abaisse considérablement le niveau de recrutement des enseignants. Au lieu d'un recrutement en master 2, les enseignants des deux degrés seraient recrutés en fin de licence. Pour les professeurs des écoles, ce serait après une licence professionnelle dont le contenu serait défini par le ministère et non l'université.
Inspirée des PPPE, cette licence se réduirait à une formation en français et maths donnée par des enseignants du 2d degré. Une bonne partie du temps de formation (d'un tiers à la moitié) consisterait en stages de terrain, délivrant ainsi une main d'oeuvre peu onéreuse pour les remplacements. Pour les enseignants du 2d degré, la licence disciplinaire serait maintenue mais suivie ensuite, comme les professeurs des écoles, de deux années de master largement entamées de stages de terrain.
Les 4 objectifs de la réforme Macron
La réforme lancée par E Macron et qui n'est pas annulée, porte quatre objectifs. Le premier c'est la déqualification des enseignants. C'est particulièrement net pour les professeurs des écoles mais c'est aussi le cas pour leurs collègues du 2d degré compte tenu de l'importance des stages en master. Le second c'est la reprise en main de la formation des enseignants par le ministère et la limitation de leur liberté pédagogique.
Il ne s'agit pas d'avoir des enseignants dotés d'une haute formation académique leur permettant de penser leur métier. La réforme vise à fabriquer des exécutants dociles des modèles ministériels. Ce seront des techniciens et non des cadres. Le troisième élément se lit dans la distinction entre concours et accès à la fonction publique. Les candidats reçus aux concours de l'enseignement ne seront plus fonctionnaires stagiaires. En M1 ils seront de simples étudiants en alternance.
E. Macron s'inspire de la formation des fonctionnaires territoriaux dont la réception aux concours ne donne qu'une qualification, pas un poste. Il prépare une territorialisation de l'éducation nationale. Le dernier objectif est lui aussi systémique. Les agrégés échappent à cette réforme.
Il y aura donc deux types d'enseignants. D'un coté les professeurs des écoles et les certifiés dotés d'une formation très allégée. De l'autre, une formation disciplinaire et universitaire pour les agrégés. Cette séparation invite à redessiner les frontières dans le système éducatif et par suite les limites professionnelles.
D'un coté des enseignants (professeurs des écoles et certifiés) intervenant dans les écoles et les collèges. De l'autre, les agrégés intervenant dans les lycées et le post bac. La réforme vise à installer "l'école du socle" à la place des deux degrés. Entre les deux, le DNB devient un examen d'entrée pour sélectionner les élèves...
Du rapport Brisson Billon...
Le rapport Brisson Billon reprend le projet d'E Macron. Il pousse juste un peu plus loin. On a vu qu'E Macron prépare une régionalisation de l'éducation nationale. Il a choisi N Belloubet pour cela comme nous l'avons expliqué ici.
Le rapport Brisson Billon préconise clairement des concours régionaux pour le premier et pour le second degré. Ainsi les enseignants seraient liés à leur académie de départ. Le rapport annonce aussi plus clairement l'école du socle en précisant sans ambiguïté que les agrégés seraient réservés aux lycées et classes post bac.
Le rapport transforme aussi le métier enseignant en rendant obligatoire la formation continue dans le 2d degré. Les professeurs devront subir les modèles pédagogiques officiels puisque leur participation active à la formation continue ministérielle compterait dans leur déroulé de carrière.
Au Rassemblement national
Et le Rassemblement national ? L'entretien accordé par Roger Chudeau aux Echos confirme que la politique éducative de l'extrême droite sera dans la continuité de celle d'E. Macron comme nous l'avons défini ici. R Chudeau annonce qu'il appliquera la réforme d'E Macron en confiant à des écoles académiques la formation des professeurs.
Celle ci serait confiée à des enseignants du second degré. La déqualification irait donc encore plus loin tout comme la territorialisation. Le RN veut aussi revoir la carte des académies, ce qui laisse entrevoir une territorialisation à une échelle qui pourrait être différente.
Le terrible enjeu des législatives pour les enseignants
Est ce parce que les enseignants restent majoritairement à gauche ? Macronistes, Républicains et extrême droite s'entendent pour abaisser leur qualification et donc à terme leur rang social et leur paye. Tous trois prévoient de territorialiser une éducation que sera moins nationale. En même temps, tous trois veulent accentuer le contrôle du ministère sur le travail enseignant et imposer les conceptions du centre. Les enseignants sont la seule profession pour laquelle l'enjeu des législatives est aussi lourd.
François Jarraud