Une liste publiée sur intervention parlementaire

Pour la première fois, la liste des rapports réalisés par l'Inspection sort bien après la publication du rapport d'activité. Celui-ci est diffusé le 1er avril sans cette liste, ce qui est tout à fait inaccoutumé. Sans la liste, on ne peut connaitre réellement le travail de l'Inspection et, à travers lui, les questions que se pose la ministre.
"En mettant sous le boisseau la liste même des rapports réalisés par l'Inspection générale, le ministère pousse le culte du secret à son maximum. Il dissimule les traces mêmes des dissimulations réalisées", écrivions nous le 6 avril. Deux jours plus tard, Dominique Marchand, directrice de l’Inspection générale de l’éducation, est interrogée par Paul Vannier, rapporteur de la Commission d'enquête sur les violences scolaires de l'Assemblée nationale, sur cette absence. D. Marchand répond que "c'est un oubli" , qu'elle ne souhaite pas "masquer le pourcentage de diffusion des rapports" et que cet "oubli" provient de la remise tardive du rapport "dans un contexte compliqué". Le 24 avril, la liste des rapports est finalement publiée sur le site du ministère. Elle nous parvient dans des circonstances exceptionnelles.
Un taux particulièrement bas de publication
Première constatation. En 2023-2024, 226 rapports ont été réalisés par l'Inspection générale. C'est moins qu'en 2022-2023, où il y en a eu 251. Mais c'est nettement plus qu'en 2020-2021 où il y avait "seulement" 140 rapports. L'inflation de papier continue.
Sur ces 226 rapports, seulement 25 ont été publiés , soit 11%. Ce taux est très bas. En 2022-23, 12% des rapports ont été rendus publics. C'était 28% en 2020-21. La censure a été maximum en 2019, sous JM Blanquer avec seulement 8% de rapports publiés. Si c'est un peu mieux que ce record, on mesure le poids de la censure sur le travail des inspecteurs généraux. D'autant que l'année 2023-2024 a vu 3 ministres se succéder (G Attal, A Oudéa Castéra puis N Belloubet). Or le changement de ministre s'accompagne, souvent, de la libération de certains dossiers. Les nouveaux cabinets trouvent parfois utile de se démarquer du cabinet précédent. Mais la réforme, introduite par JM Blanquer, qui a fait de l'Inspection générale un service, et non plus un corps, semble peser lourdement sur le devenir du travail des inspecteurs.
La cartographie des sujets sensibles
Car ce sont les rapports les plus importants qui sont gardés au secret. Ceux qui montrent les échecs et les difficultés de la politique ministérielle. Leur liste dessine plus qu'un archipel des dossiers perdus la carte des erreurs grenelliennes.
Citons en quelques uns, parmi ces rapports qui ne sortiront probablement jamais. En premier lieu, on remarque que la préoccupation majeure de l'année reste sous le boisseau. L'Inspection a réalisé le nombre inouï de 44 rapports sur l'éducation en outre-mer, soit 19% des rapports de l'année. Seulement 3 sont publics : ceux sur le statut des enseignants et le décrochage scolaire à Wallis. Le premier sujet fait l'objet d'un projet de loi. Le troisième rapport est éloigné de l'éducation nationale : c'est un rapport sur la lecture publique en outre-mer. Alors que la situation des établissements scolaires est préoccupantes dans plusieurs départements et territoires (Mayotte, Nouvelle Calédonie, Guadeloupe, Guyane...), on ne sait rien des évaluations faites par les inspecteurs sur les enseignements dans plusieurs disciplines (physique-chimie, langues, arts, STI, STMG etc.), sur le pilotage pédagogique ou l'appui pédagogique. En 2020, la Cour des Comptes avait réalisé, à la demande du Sénat, un rapport très sévère sur l'enseignement outre-mer. Par exemple, il établit que la majorité des élèves de Guyane et Mayotte (74% !) ont un niveau de français insuffisant. Les rapports de l'Inspection confirment-ils le diagnostic ? On sait juste ce que le Rapport d'activité veut bien dire : " Confrontées aux difficultés à faire réussir leurs élèves objectivées par différentes études, elles ont toutes mis en place des mesures destinées à améliorer la réussite scolaire et atténuer les écarts de résultats afin de répondre à l’objectif d’égalité des chances". On ne sait rien de concret des constatations et des recommandations des inspecteurs alors que les besoins sont immenses. " La focale des missions confiées aux inspecteurs généraux a porté, en 2023-2024, sur le point de vue pédagogique. Ces derniers ont formulé des recommandations concrètes, adaptées à l’identité singulière de chaque territoire, à destination des recteurs de chacune des académies concernées".
Un second sujet a intéressé les inspecteurs : le service national universel. Trois rapports lui sont consacrés sur des dysfonctionnements dans les séjours, les transports. Mais là aussi, ce dispositif phare porté par E Macron échappe à la publication.
Troisième sujet : les DSDEN, directions des services départementaux de l'Education nationale. 12 départements font l'objet d'un rapport. Aucun n'est publié alors que le rapport d'activité nous dit que l'Inspection songe à une autre structure territoriale. Il faut vous satisfaire de ces propos opaques : "Différents rapports soulignent l’enjeu essentiel des ressources humaines avec une attention particulière que les services déconcentrés doivent porter à la fonction recrutement des personnels, compte tenu de la difficulté à pourvoir tous les emplois, et aussi à la poursuite d’une GRH de proximité comme élément d’attractivité de notre administration".
Si le rapport sur " Le Pilotage pédagogique des écoles de l’enseignement primaire par les directeurs : état des lieux et perspectives" a été publié, celui sur " Le pilotage pédagogique des écoles de l'enseignement primaire par les directeurs : la nécessaire construction d’une professionnalité des directeurs d’école" n'est pas public.
Et il y a encore d'autres sujets qui relèvent de l'information du public et qui sont gardés dans les armoires du cabinet et de l'Inspection. Ainsi ceux sur la prospective des CPGE, sur l'organisation en6ème, la classe de seconde, Parcoursup (remontées des lycées) : autant de sujets qui intéressent le système éducatif et qui ne sont pas publiés. Plusieurs rapports concernent le harcèlement, un sujet majeur de communication ministérielle. Mais la ministre n'a pas jugé bon de les faire connaitre.
Les enquêtes administratives
On assiste aussi à la multiplication des rapports disciplinaires. Ils n'ont pas forcément vocation à être diffusés. Mais l'expérience montre que ne pas les publier c'est encourager le laisser faire, comme le montre l'affaire Betharram. L'enquête sur l'UNSS n'est pas publiée mais son directeur est remercié. Plusieurs enquêtes ont eu lieu sur des services qui dysfonctionnent dans les rectorats d'Amiens et Reims. Plusieurs rapports concernent aussi des inspecteurs. Ainsi le rapport "portant sur des dysfonctionnements au sein d'un groupe d'inspecteurs" de l'académie d’Aix-Marseille ou celui sur la "manière de servir d’un personnel d'inspection" de l'académie de Strasbourg répondraient sans doute à des préoccupations enseignantes. Alors que le rapport d'activité vante la qualité des enquêtes de l'Inspection et la qualité de leur protocole, on aimerait en avoir la preuve. C'est une question qui émerge aussi des débats de la Commission d'enquête sur les violences scolaires de l'Assemblée nationale. Sans qui cette liste n'aurait jamais été publiée et on n'aurait même pas eu vent de tout cela...
François Jarraud