François VALLET

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Billet de blog 12 septembre 2024

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Nucléaire caniculaire : déni de l'air, déni de l'eau ?

Le Grand Lyon vient de lancer sa « convention métropolitaine pour le climat ». Y sera-t-il question des conséquences, sur l’eau et sur le climat local, des centrales nucléaires du Bugey et de Saint-Alban, proches de l’agglomération au sens large ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les épisodes récurrents de canicules nécessitent d’arrêter plusieurs réacteurs nucléaires ou d’en réduire la puissance pour éviter la surchauffe du Rhône. C’est donc que leur fonctionnement a un impact significatif sur les milieux aquatiques et qu’au-delà de ceux-ci il peut aussi y avoir des impacts.

Plusieurs études récentes, réalisées et publiées par EDF, nécessitent qu’on s’y intéresse de près et qu’on les relie à l’observation de ce qu’il se passe, non seulement pour l’eau que boivent les habitants de l’agglomération lyonnaise mais aussi pour l’air qu’ils respirent et dans lequel ils vivent.

D'un autre côté, plusieurs publications scientifiques récentes devraient alerter les élus des agglomérations densément peuplées proches de centrales nucléaires. Elles montrent que les émissions de chaleur anthropiques aggravent le réchauffement climatique et les canicules. Ces émissions sont aussi une des causes majeures du phénomène d’îlot de chaleur urbain.

 Le texte qui suit a pour objectif d’alerter sur ces études à mettre en parallèle avec ce que mettent en évidence mais aussi ce que masquent celles réalisées par EDF.

Entre le dimanche 11 août et le vendredi 16 août, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité français, RTE, annonçait une limitation de la puissance ou la mise à l’arrêt complet de plusieurs réacteurs répartis dans les centrales nucléaires du Bugey, de Saint Alban et du Tricastin[1].

Ces réacteurs ont en commun d’être refroidis en circuit ouvert par l’eau du Rhône. C’est-à-dire qu’ils évacuent directement dans le fleuve une très grande partie de la chaleur produite par la fission nucléaire (le rendement de conversion de la chaleur en électricité étant de l’ordre de 33%, deux tiers de cette chaleur sont évacués dans l’environnement, c’est-à-dire dans l’eau si le réacteur est refroidi « en circuit ouvert » ou dans l’air s’il est équipé d’un « aéroréfrigérant » qui évapore une partie de l’eau puisée dans un cours d’eau ; quel que soit le mode de refroidissement, la conséquence en est un réchauffement de l’air et de l’eau).

RTE indique les raisons de cette baisse de puissance ou de ces arrêts de réacteurs sur son site internet : « Causes externes liées à l'environnement. Le placement et la durée de cette baisse pour contraintes environnementales seront modifiés en fonction de l'évolution des prévisions météorologiques. En cas de situation exceptionnelle, RTE pourra solliciter une puissance supérieure».

 C’est une étrange manière de présenter les faits. L’environnement dont il est question est un fleuve dans lequel il y a de nombreuses espèces vivantes. Des centaines de milliers de personnes en dépendent pour leur approvisionnement en eau potable et pour leur alimentation. Une température d’eau excessive perturbe sérieusement la vie des milieux aquatiques et rend l’eau non potable. Pourtant EDF n’a rien trouvé de mieux que de se servir des cours d’eau et des mers comme source d’eau à usage industriel et comme égout pour y évacuer les effluents chimiques et radioactifs ainsi que la chaleur dégagée par ses réacteurs nucléaires. Pour ce qui concerne le Rhône, 6 réacteurs équipés d’aéroréfrigérants y puisent l’eau nécessaire à l’évacuation de la chaleur par évaporation. Les 8 autres, refroidis en circuit ouvert, y pompent de l’eau et la rejettent fortement réchauffée. La température de l’eau du Rhône augmente de l’amont à l’aval, atteint un niveau excessif et il devient alors indispensable de réduire la puissance et les rejets de chaleur des réacteurs. Mais RTE suggère que la production d’électricité prime sur la protection des eaux : en cas de manque d’électricité RTE demanderait à EDF de remettre à pleine puissance les réacteurs concernés.

Quoi qu’il en soit, c’est bien une cause interne à la production d’électricité nucléaire, le dégagement de chaleur des réacteurs, qui nécessite d’en arrêter certains ou de réduire leur puissance pour éviter de trop dégrader les milieux aquatiques et la potabilité de l’eau lors des épisodes de canicule.

 Ceux-ci, désormais habituels en période d’été, ont une incidence sur le fonctionnement des centrales nucléaires de production d’électricité et sur leur sûreté (l’absence de refroidissement peut conduire à la fusion du cœur des réacteurs et des « combustibles » usés en piscines de stockage sur site).

Mais à l’inverse, l’accumulation de chaleur dans l’environnement que ces centrales provoquent n’est-elle pas une des causes du réchauffement climatique et des canicules ? Si c’est le cas, est-il acceptable d’autoriser EDF à réchauffer l’eau des cours d’eau et de la mer, ainsi que les masses d’air environnantes, en dehors des périodes de canicule ? Est-il par ailleurs acceptable d’autoriser EDF à soustraire au fleuve, principale source d’alimentation en eau potable des riverains (du Grand Lyon par exemple), des quantités considérables d’eau évaporée pour refroidir ses réacteurs ? Est-il enfin acceptable d’autoriser EDF à rejeter ses effluents dans l’eau des fleuves et de mer, sachant qu’il n’y a pas de seuil en dessous duquel les polluants radioactifs et chimiques seraient sans effet sur les organismes vivants ? Et comment est-il encore possible d’affirmer, dans un pays fortement nucléarisé comme la France, « le nucléaire ne réchauffe pas la planète »[2]?

Ce sont des questions que l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) aurait dû se poser lors de l’examen des conditions de la poursuite du fonctionnement des réacteurs au-delà de leur quatrième visite décennale (ceux du Bugey, de Cruas et du Tricastin par exemple pour ce qui concerne la vallée du Rhône). Par sa décision du 23 février 2021, l’ASN s’est contentée de demander à EDF de lui transmettre, au plus tard le 31 décembre 2023,  «une étude présentant le cumul des incidences sur le Rhône et sur la Loire des centrales nucléaires situées sur ces fleuves»

Sans attendre les résultats de cette étude l’ASN a déjà accordé à EDF des autorisations de poursuivre d’exploitation de certains des réacteurs concernés.

 Les deux études remises à l’ASN n’ont pas été rendues publiques. EDF en a cependant publié les « versions publiques des résumés non techniques»[3].

 Dans l’étude de cumul des incidences des centrales situées sur la Loire, les rejets thermiques n’ont pas été pris en compte au motif que « la Loire est une rivière dite « de plaine », dont le régime thermique est majoritairement dépendant de la température de l’air. Par ailleurs, tous les réacteurs de type REP situés sur la Loire et la Vienne fonctionnent en circuit dit « fermé » avec des aéroréfrigérants ».

C’est bien cette seconde raison qui justifie que l’étude du réchauffement de la Loire n’a pas été réalisée. Pour refroidir les 14 réacteurs des 5 centrales nucléaires concernées par l’étude, de l’eau est pourtant bien pompée dans la Loire et dans son affluent la Vienne. Une forte proportion de cette eau est évaporée ce qui réduit le débit du fleuve, aggrave son réchauffement en été et diminue la disponibilité d’une ressource vitale pour les riverains du fleuve (il en va de même pour 6 des 14 réacteurs nucléaires sur le cours du Rhône, dont 2 des 4 en fonctionnement sur le site du Bugey).

En outre, les quantités considérables de chaleur dégagée sous forme de vapeur d’eau réchauffent l’air environnant, aggravant ainsi le réchauffement climatique.

Mais EDF ne dit rien dans son étude, ni des prélèvements d’eau non restitués à la Loire[4], ni du réchauffement de l’air par les dégagements de chaleur massifs de ses 14 réacteurs.

 Dans le résumé non technique de l’étude relative au Rhône et dans la partie « Conclusion sur les cumuls des rejets thermiques », EDF indique par contre (extraits) : « Les échauffements résiduels moyens atteints à Beaucaire varient sur les deux années simulées de 1,2°C à 1,5°C en moyenne annuelle, avec des variations liées aux évolutions de fonctionnement des CNPE, ainsi qu’aux évolutions de débit du Rhône à l’échelle saisonnière (valeurs plus faibles au printemps et plus élevées à l’automne). »

Cet échauffement est qualifié de « résiduel » car il n’aurait pas existé en absence des centrales nucléaires. Un échauffement de 1,2 à 1,5°C en moyenne annuelle, dans un fleuve à fort débit, est très inquiétant pour les habitants de la vallée du Rhône. Ce qui le provoque, l’apport massif de chaleur dans les eaux du fleuve, dure depuis plus de 40 ans et pourrait durer encore plus longtemps si l’ASN autorise les prolongations. Mais ce qui n’est pas indiqué dans l’étude et qu’un examen attentif permet de comprendre, c’est qu’une partie conséquente de la chaleur rejetée dans le Rhône se retrouve dans l’air. Cette chaleur s’y accumule et contribue au réchauffement global, qualifié dans l’étude de « changement climatique ». L’étude ne dit rien sur cette « contribution » au réchauffement local alors que le réchauffement global est estimé  à 1 °C en moyenne décennale (2010-2019) par rapport à la période préindustrielle[5]. L’étude précise par contre « qu’une étude thermique du Rhône réalisée par EDF entre 2000 et 2014 à la demande du Préfet coordonnateur du bassin Rhône-Méditerranée a montré que les principaux facteurs qui déterminent la température du fleuve sont le changement climatique, les rejets des sites nucléaires, ainsi que les débits du fleuve et de ses affluents (en lien avec les aménagements hydrauliques) ».

Dans la synthèse de cette étude[6] on peut lire que les centrales situées entre Saint-Vulbas (centrale nucléaire du Bugey) et Aramon (à l’aval de la centrale de Tricastin) ont provoqué en moyenne annuelle une augmentation de la température des eaux du Rhône de 1,2°C sur une augmentation totale de 1,4°C (comparaison entre la période 1988-2010 où tous les réacteurs utilisés actuellement étaient en service et la période 1920-1977 où il n’y en avait pratiquement aucun).

Dit autrement, le « changement climatique » a provoqué une élévation de température de 0,2°C sur un total de 1,4°C.

Le résumé non technique de l’étude datée du 31/12/2023 présente donc de manière trompeuse les résultats de l’étude thermique du Rhône publiée en 2016. La synthèse de celle-ci permet de comprendre sans ambiguïté que le réchauffement des eaux du fleuve résulte essentiellement des « rejets des sites nucléaires » et non pas du « changement climatique ». Ou alors il faut considérer que les centrales nucléaires sont en France une des causes majeures de ce changement.

La nouvelle étude réalisée par EDF confirme ce que permettait de comprendre la lecture de celle réalisée entre 2000 et 2014 : les réacteurs nucléaires refroidis par l’eau du Rhône réchauffent le fleuve de manière considérable. Mais aucune des 2 études ne prend en compte la globalité des incidences du fonctionnement des quatorze réacteurs nucléaires de la vallée du Rhône, sur le climat, sur les milieux naturels et sur les espèces vivantes aériennes.

Les conséquences de l’accumulation de chaleur, dans l’air, dans l’eau et dans les sols, provoquée par plus de 40 ans de réactions de fission nucléaire dans les réacteurs, dans les piscines de refroidissement des combustibles usés et dans les déchets stockés sur site, ne sont pas étudiées. Les conséquences de la dispersion de radionucléides et de polluants chimiques dans l’air, dans la nappe alluviale du Rhône et dans les sols non plus.

En outre, la conclusion du résumé non technique de l’étude demandée par l’ASN à EDF est en contradiction flagrante avec les résultats indiqués précédemment. On peut ainsi lire en page 42/44 : « Les évolutions des régimes thermiques et hydrologiques ou de la qualité des eaux modifient le fonctionnement des communautés et de l’écosystème aquatique. Cependant, malgré des évolutions écologiques se faisant en concomitances d’évolutions physiques identifiées, le lien entre ces composantes n’est pas aisé à établir ». Puis immédiatement après sur la même page : « Ainsi, cette étude montre que les rejets liquides des CNPE et sites en bord de Rhône n’ont pas d’influence notable sur le milieu aquatique ni sur les humains. Les usages de l’eau ne sont pas impactés par les rejets des CNPE et sites en bord de Rhône. ».

Les conclusions des résumés non techniques des études demandées par l’ASN à EDF présentent de manière trompeuse les résultats de ces études qui comportent en outre de graves lacunes.

Rien n’y est dit sur les conséquences des prélèvements d’eau dans la Loire et dans le Rhône, pour l’approvisionnement en eau potable des agglomérations riveraines des fleuves (notamment l’agglomération lyonnaise)[7].

Il n’y a rien non plus sur les conséquences des rejets massifs de chaleur sur le climat local, sur les épisodes de canicules, sur le phénomène d’îlot de chaleur urbain (une agglomération comme Lyon, à proximité de la centrale nucléaire du Bugey, y est particulièrement exposée).

Et rien n’est dit sur les rejets d’effluents radioactifs gazeux.

Il y aurait par contre beaucoup à dire sur la manière dont sont examinées et présentées les incidences sur l’eau des rejets d’effluents liquides radioactifs et chimiques.

De telles lacunes ne sont pas admissibles alors que l’ASN s’apprête à autoriser de nouvelles prolongations d’exploitation de réacteurs ayant dépassé 40 ans et alors qu’EDF projette de construire deux nouveaux réacteurs nucléaires EPR sur le site du Bugey.

C’est pourquoi il serait souhaitable que la « convention métropolitaine pour le climat », organisée par le Grand Lyon à partir du 13 septembre et jusqu’au mois de janvier 2025, aborde les diverses conséquences du fonctionnement des centrales nucléaires du Bugey et de Saint Alban, pour les habitants de l’agglomération lyonnaise.

Plusieurs publications scientifiques récentes devraient en tout cas alerter les élus de l’agglomération. Elles montrent que les émissions de chaleur anthropiques aggravent le réchauffement climatique et les canicules[8]. Ces émissions sont aussi une des causes majeures du phénomène d’îlot de chaleur urbain[9]. Les centrales nucléaires, dont les émissions de chaleur massives sont souvent concentrées à proximité d’agglomérations fortement peuplées, font partie du problème climatique. Leurs prélèvements massifs d’eau aussi. Ces derniers et les rejets d’effluents liquides dans le Rhône constituent en outre une menace pour la sécurité d’approvisionnement en eau potable de l’agglomération.

[1] Dans une autre région de France et durant la même période, RTE annonçait aussi que les réacteurs 1 et 2 de la centrale nucléaire de Golfech, refroidie par la Garonne, devaient être pour l’un arrêté et pour l’autre à puissance réduite pour « causes externes liées à l’environnement ».

[2] https://www.jdp-pub.org/avis/orano-presse-internet-plaintes-fondees/

[3] https://www.edf.fr/sites/groupe/files/2023-12/RNT_Incidencescumul%C3%A9es_Rhone_2023_IndB.pdf

https://www.edf.fr/sites/groupe/files/2023-12/RNT_IncidencesCumul%C3%A9es_Loire_2023.pdf

[4] Les données publiées par EDF montrent que la centrale nucléaire du Bugey a consommé 18 millions de m3 d’eau en 2021 (eau prélevée dans le Rhône et évaporée par les tours de refroidissement qui équipent 2 des 4 réacteurs de la centrale). C’est plus du quart de l’eau consommée la même année par les habitants de l’agglomération lyonnaise alimentés par des pompages d’eau du Rhône (de l’ordre de 66 millions de m3).

Autre exemple, la centrale nucléaire de Civaux est autorisée à évaporer 146 900 m3 d’eau par jour et 49,2 millions de m3 par an, soit le minimum vital indispensable pour près de 54 millions de personnes (la population française était de près de 68 millions en 2021). En 2021, cette seule centrale, alors qu’elle n’a fonctionné qu’à 47% de sa capacité maximale, a consommé entre 27 et 28 millions de m3 d’eau prélevée dans la Vienne, affluent de la Loire. C’est près de 1,75 fois la consommation de la population du département de la Vienne (439 332 habitants en 2020 qui ont consommé en moyenne 100 litres par jour et par personne).

https://blogs.mediapart.fr/francois-vallet/blog/040424/les-degats-sur-leau-de-la-production-nucleaire-delectricite

[5] https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/edition-numerique/chiffres-cles-du-climat/1-observations-du-changement-climatique

[6] https://www.rhone-mediterranee.eaufrance.fr/sites/sierm/files/content/migrate_documents/EtudeThermiqueRhone-Plaquette-Mai2016.pdf

[7] Lire à ce sujet ma « petite chronique de la Françatomique » du 4 avril 2024 : « l’eau potable en danger ».

 https://blogs.mediapart.fr/francois-vallet/blog/040424/petite-chronique-de-la-francatomique-leau-potable-en-danger

[8] Anthropogenic heat release due to energy consumption exacerbates European summer extreme high temperature

https://link.springer.com/article/10.1007/s00382-023-06775-x

[9] How does anthropogenic heating affect the thermal environment in a medium-sized Central European city? A case study in Szeged, Hungary

https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S2212095520301553?via%3Dihub

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