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Si les températures sont en chute libre dans l’hexagone, quelques perles de la littérature jeunesse sentant bon le sable chaud et la diversité se démarquent en cette fin d’année, remède imparable contre la morosité. Quelques propositions originales à l’heure de remplir - oh, oh, oh ! - les hottes parentales.
L’atelier des nomades (sans majuscule, comme pour mieux revendiquer son statut de véritable artisan du livre), maison d’édition franco-mauricienne créée par les dynamiques Corinne Fleury (également autrice) et Anthony Vallet, est née en 2010 pour répondre au manque de structures nationales susceptibles de proposer des ouvrages mauriciens de qualité, et ce de façon pérenne.
Les romans publiés par la maison [quelques critiques à lire en fin de billet], exigeante et qui se concentre donc sur les cultures vernaculaires de l’océan indien, sont de plus en plus visibles dans les rayons des librairies et sur les stands des grands salons tricolores, ses feuilles de ravenale (l’arbre du voyageur, endémique de Madagascar et symbole de l’atelier) bien en vue. Mais la littérature jeunesse demeure le point d’ancrage de cette entreprise engagée qui porte haut les couleurs d’un genre trop souvent sous-estimé.
Publiant ses ouvrages aussi bien en français qu’en anglais (multiculturalisme mauricien oblige), le catalogue de l’atelier des nomades rappelle aux lecteurs français l’incroyable histoire plurielle de l’île Maurice, l’équilibre (bon an, mal an) entretenu entre toutes les composantes de sa société. Creuset dans lequel se sont mélangées - au fil d’une histoire fragmentée - langues et cultures indiennes, africaines, européennes, chinoises, arabes, influences de l’hindouisme, du catholicisme, de l’Islam.
Alors qu’en France les débats identitaires déchaînent les passions et encouragent postures et dérapages à répétition, gageons qu’une brise chaude et poétique venue de l’archipel des Mascareignes saura apaiser les bulbes en surchauffe.
L’identification, aux âges clés de l’enfance, est une donnée essentielle pour l’épanouissement, pour le gain vital d’assurance. Proposer des héroïnes et des héros qui ne seront pas forcément tous de la même couleur de peau, tous formatés sur le même modèle à la sauce roman national, est devenu une nécessité à l’heure de la mondialisation.
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Ici une anecdote personnelle pour illustrer mon propos, sans passion militante quelconque.
L’un de mes filleuls, dont les parents sont étrangers vivant en France, de lâcher en pleine discussion, en parlant des élèves de sa classe : « Eux ils sont... Nous nous sommes... » Moi de l’interrompre : « C’est qui ‘eux’ ? C’est qui ‘nous’ ? » ‘Eux’ étaient pour lui les Français. Blancs. ‘Nous’, les autres. Non-blancs. Quelle douleur d’entendre cela alors que les parents se démènent pour s’intégrer ! Comment telle idée, tel séparatisme inconscient lui était-il entré dans le crâne ? Moi de lui expliquer qu’il est né en France, parle français, mange français, lit français, rêve français, EST définitivement français même si à la maison une autre culture est légitimement aussi entretenue ! Il répondit oui oui puis passa vite à un autre sujet pendant que je m’interrogeais sur les personnages de bd et autres dessins animés qui habitaient de facto son imaginaire mais auxquels il ne pouvait que difficilement s’identifier.
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Si donner des traits maliens à Astérix ou des spécificités physiques asiatiques à Tintin (ne souriez pas, les Américains l’auraient peut-être fait. Ne sont pas chiches dès qu’il s’agit de soulager leur conscience à peu de frais) serait grotesque, il n’empêche que créer de nouveaux modèles (si possible un peu plus exigeants qu’un petit ours brun - supposé être universel - se baladant trois mots de vocabulaire sous le bras à travers de moches pages cartonnées) qui viendraient s’additionner à ceux déjà existants paraît relever tout simplement...du bon sens.
L’atelier des nomades a la très grande intelligence de ne pas jouer la corde militante, de ne jamais mettre en avant ce qui est, vu d’ici, pourtant aussi un argument.
Ne connaissant que trop les idées inflammables du communautarisme (la vie à Maurice n’est pas non plus un long fleuve tranquille...), la maison préfère subtilement déployer son élégant et large éventail de propositions joyeusement bariolées et toujours de qualité (tant au niveau de l’objet lui-même, du papier, que de la ligne éditoriale).
Petit survol avant les fêtes.
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• à partir de 3 ans
L’espiègle Tima est une petite fille métisse aux yeux verts, rêveuse et indépendante. Un peu trop peut-être, puisque lorsque vient l’heure du shampoing, la demoiselle aux jolis cheveux bouclés en forme de tire-bouchon maugrée et boude, tel un jeune chat invité à piquer tête dans la baignoire.
« Si tu ne te laves pas les cheveux, ils attireront toutes sortes de petites bêtes », prévient sa maman.
Loin de la convaincre, la mise en garde maternelle booste l’imagination de la chipie qui visualise déjà sa tête transformée en arche accueillante. Jets de couleurs psychédéliques, faune mauricienne invitée à investir la chevelure devenue brousse dynamique, les serins tissent leurs nids, les geckos se faufilent, les coccinelles deviennent topazes animées, fleurs sauvages et lianes gourmandes - parures délicieuses- s’épanouissent jusqu’au jour où... jusqu’au jour où une famille de petites bestioles pas vraiment sympathiques, elles, décide de poser ses bagages sur le crâne de Tima. Faisant enfin réaliser à celle-ci que toutes les créatures lilliputiennes ne sont pas aimables et que les conseils de maman ne sont pas faits pour l’embêter mais bien pour... l’instruire et la faire grandir.
Frais et délicat, ‘Le paradis dans les cheveux’ est autant une ode à l’imagination enfantine qu’un conte sur l’apprentissage de son corps. Délicieux.
- ‘Grand Mama’, de Corinne Fleury (auteure) et Sébastien Pelon (illustrateur), ed. atelier des nomades
• à partir de 5 ans
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« L’histoire s’inspire d’une chanson océanienne traditionnelle, ‘Larivier Taniers’. Le chant, en créole mauricien, présent tout au long de l’histoire est traduit en français et s’enrichit d’une partition musicale à la fin de l’album. Au bord de la rivière Lataniers à l’île Maurice, vivait Grand-Mama. Cette vieille femme, rabougrie et revêche habitait une maison de bric et de broc avec son inséparable et inquiétante poule noire. Sorcière ou ogresse, elle était crainte du village. On l’épiait, on la guettait… Un jour, envoûté par le chant doux et mélodieux de Grand-Mama, le jeune Malo chemina vers l’antre de la vieille femme. Une ambiance étrange s’y dégageait. Il entendit miauler, glousser, bêler… Le danger guettait Malo. Qu’allait-il lui arriver ? »
Le trait fin de Sébastien Pelon se marie parfaitement au ton chaud et pédagogue de la conteuse Corinne Fleury. Comme dans tous les bons livres de littérature jeunesse, les mots compliqués, surlignés, sont suivis de leurs synonymes. La chanson créole qui guide l’histoire, porte ouverte sur un univers insulaire méconnu, piquera la curiosité des jeunes oreilles avides d’autres langues que le sempiternel cousin anglais. Un très joli voyage visuel et intellectuel sur le chemin des émotions contradictoires, une délicate réflexion sur les préjugés, l’effet de groupe et au final sur la transmission et les amitiés improbables.
Les plus fortes, non ?
• à partir de 3 ans
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Si le Père-Noël fait le tour du monde chaque nuit du 24 décembre, pourquoi porterait-il chaque année le même costume ? À force d’écumer la planète et de visiter chaque continent, le goût de la diversité est apparu chez ce très chic vieux monsieur. Optera-t-il pour un kilt écossais en tartan ? Le coup de vent malheureux serait risqué depuis le traîneau. Pour un très léger cardigan ? Oye, nous ne sommes pas au printemps ! Et pourquoi pas un turban ? Pour affronter les vents sahariens, oui, mais qu’en ferait-il sur l’archipel samoan ?
Fabienne Jonca joue avec la brièveté et multiplie les rimes charmantes et cocasses qui raviront les plus petits, transformant l’auguste héros des fins d’année en facétieux élégant. Les illustrations du dessinateur Iloë sont un feu d’artifice enchanteur, très fines, très aériennes, qui sauront capter l’attention des chérubins, même celle des moins sages. Les sauts géographiques et les nouveaux mots à expliquer (ainsi que la carte-résumé du voyage du Père-Noël en conclusion) seront un premier outil apporté aux parents pour aborder l’immensité du monde, la multiplicité des cultures.
• à partir de 9 ans
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« Le 31 juillet 1761, Tsimiavo est à bord de l'Utile. Elle a été embarquée clandestinement dans les cales de ce navire de commerce avec 159 autres esclaves malgaches.
Au cœur de la nuit, leur destin bascule : l'Utile heurte un récif de corail et fait naufrage. Les rescapés échouent sur un îlot de sable blanc et de cailloux, perdu au milieu de l'océan Indien.
Quand l'équipage blanc prend le large sur une embarcation de fortune, Tsimiavo et les siens se retrouvent seuls, oubliés de tous. Comment survivre sur cet îlot du bout du monde ? C'est le défi qui les attend. Pendant des jours, des mois, des années, leur courage et leur ingéniosité vont faire des miracles…
Une poignante leçon d'humanité, complétée par un dossier sur les missions archéologiques menées par Max Guérout sur Tromelin, l'île des esclaves oubliés. »
Un ouvrage multi-primé qui pourrait faire peur à certains, inquiets de la lourdeur du sujet en période de fêtes. Il faut cependant faire confiance aux deux artistes qui ont su adapter le récit et le dessin à l’âge des lecteurs et qui offre ainsi avant tout une très forte (et véridique) histoire basée sur la solidarité. En même temps qu’elle permettra de traiter pour la première fois auprès des jeunes enfants de la tragédie que fut l’esclavage et, de facto, de la réalité hélas toujours vivace qu’est le racisme. Un sujet qu’il faut connaître pour mieux, un jour venu, combattre encore. La force commence par la connaissance.
Un ouvrage indispensable.
•à partir de 4 ans
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« Sur le chemin de l’école, Sara aperçoit une drôle de petite maison au toit rouge. Une volière qui renferme des perruches multicolores. Elle pense à son grand-père, qui chérissait tant les oiseaux, ceux qui chaque jour virevoltaient librement dans son jardin. Sara rêve alors d’une volière à ciel ouvert… Une histoire libre comme l’air ! »
‘Rêve d’oiseau’ est une friandise pétillante qui donne envie de siffloter. Tourbillon de plumes, de couleurs et de récitals imaginaires, l’ouvrage égaiera les plus petits qui apprendront au passage que la soif de liberté n’exclut pas le sens des responsabilités. Une revisite du fameux ‘Ouvrez la cage aux oiseaux’ qui serait bienvenue avant, par exemple, d’offrir un premier petit animal.
• à partir de 6 ans
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« Un coq fier défié par un paon ; un dieu rusé qui met à l’épreuve un dévot ; un vil et méchant homme trompé par un garçon espiègle...
Autour des personnages de la tradition orale indienne, ce recueil réunit, avec humour et malice, six contes recueillis auprès des aînés de l’île Maurice. »
Toute la magie des contes hindous mise à portée d’imagination des plus curieux. Avec une communauté sri-lankaise grandissante en France, ce recueil au verbe exigeant et à la sagesse subtile pourrait facilement trouver son public hors île Maurice. Les leçons du dieu Shiva déguisé et de son naja bleu au roi prétentieux, comme la fable des sept déesses de Nallathanga, allument une lumière unique dans les mirettes des orateurs comme dans celles des jeunes auditeurs. Le trait minimaliste de la dessinatrice encourage davantage encore le lecteur à s’engager pleinement sur les chemins de l’imaginaire, direction le lointain pays aux mille divinités.
Et pour les adultes [-cliquer sur les titres pour accéder aux critiques -] :
- ‘Ambatomanga’, de Michèle Rakotoson : Madagascar, l’histoire coloniale oubliée
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- ‘Le Cantique du rasta’ de Sharon Paul : Kaya, le dernier prophète
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- ‘Cette morsure trop vive’de Nassuf Djailani. Complot, meurtre et poésie à Chiconi
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- ‘Misère’, de Davina Ittoo : les sortilèges du vînâ. Envoûtements mauriciens
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— Deci-Delà —