Saint Louis en 1247 fut le premier monarque à recueillir les doléances des français via des enquêteurs itinérants qui sillonnèrent le pays durant une trentaine d'années. Philippe le Bel, Louis XI puis Louis XVI réitérèrent l'exercice, dans le cadre de la convocation des états généraux. À l'époque, ces doléances étaient recueillies dans les villages avant d'être confiées à un représentant chargé de rapporter les récriminations et propositions des citoyens. Aujourd'hui ce sont les candidats aux élections qui proposent ce qui leur paraît bon pour les citoyens (pas sûr que la démocratie y trouvée son compte) .
Pour savoir ce qu'il était advenu des doléances de 1789 il fallut plus d'un siècle avant que JAURÈS en 1903 décide de les analyser. Jusqu'à ce que les Gilets Jaunes à partir de novembre 2018 reprennent l'exercice et ouvrent de nouveaux cahiers sur les rond-points. L'idée fut reprise par les maires ruraux, et ce n'est qu'en troisième lieu que le président MACRON a proposé le Grand Débat.
Dès janvier 2019 toutefois je subodorais la supercherie et pariai dans ce billet prémonitoire qu'il n'y aurait ni débat ni restitution :
La suite n'a malheureusement fait que le confirmer :
Eviction de la Commission Nationale du Débat Public pour ne pas avoir à suivre ses recommandations - en fait pour les contourner en toute impudence .
Élaboration d'un questionnaire orienté dont Edouard Philippe – chapeau l'artiste - résumera les 1,5 millions de contributions en une phrase : « trop d'impôts, donc je baisse l'impôt sur le revenu ».
Réunions locales sans aucune restitution, tandis que les cahiers rédigés en mairie ne sont pas cachés à proprement parler, mais laissés en déshérence, rien n'étant fait pour les publier.
Fort de cette expérience notre Grand Enfumeur ne nous a pas déçu, multipliant à l'envi les dénis de démocratie, chaque promesse de nous écouter accouchant d'un égal enterrement de la parole citoyenne, de la convention pour le climat à celle sur la fin de vie, jusqu'à l'apothéose de la dissolution et de la lumineuse analyse qu'il a réussi à extraire du résultat des élections : je les ai lamentablement perdues, donc je me maintiens au gouvernement.
Depuis 2019 toutefois nombreux sont ceux qui se sont attachés à réveiller cette belle endormie que sont ces cahiers d'une richesse insoupçonnée : chercheurs, sociologues, comités ou associations, simples citoyens par curiosité (votre serviteur), journalistes. La liste est longue et l'énumérer ne ferait qu'en oublier beaucoup. Citons simplement l'étude originale du Triangle sur les doléances du « Vrai Débat » des Gilets Jaunes qui en disait déjà beaucoup :
https://books.openedition.org/pul/48306
Enfin à l'initiative de la députée Marie PICHON l'Assemblée Nationale a ouvert le 11 mars dernier à l'unanimité la possibilité pour tous d'avoir un accès facilité aux archives nationales numérisées : plus besoin d'aller photographier une par une dans chaque archive départementale les contributions citoyennes, suppression de la plupart des exemptions d'accès, cette exhumation va permettre la mise à jour de ce qui était dit il y a cinq ans.
Et nul besoin d'IA pour cette analyse (l'IA est comme les pesticides en agriculture et le dopage en sport : on sait bien que c'est mortifère et que l'on ne devrait pas y toucher mais comme c'est efficace et que certains tricheurs l'utilisent, pourquoi me priverais-je de l'avantage d'être aussi crétins qu'eux ?) Un simple coup d'oeil et l'on sait ce que nous demandions : un surcroît démocratique, moins d'injustice sociale, davantage d'équité fiscale, une transition environnementale efficace et planifiée, pouvoir simplement vivre dignement de son travail...Et, surprise, l'immigration et l'insécurité ne sont que rarement évoquées. Ce qui devrait nous interroger sur comment l'opinion est possiblement manipulée par des discours politiciens et des sondages qui pourraient parfois s'apparenter à des relais d'officines de propagande ?
Ce survol toutefois est insuffisant. Pour compléter les travaux déjà cités plus haut, un grand mouvement citoyen s'est créé à la suite du film d'Hélène DESPLANQUES "Les doléances" narrant les tribulations de Fabrice DALONGEVILLE maire de Auger-Saint-Vincent à la recherche de ces cahiers perdus. Une association nationale est née, et a tenu les 30 et 31 mai derniers son premier festival national.
Mais si le contenu des cahiers est si clair d'emblée, pourquoi cet engouement ? Deux raisons à mon avis : rendre justice à ceux qui ont cru à cet exercice démocratique et qui n'ont été ni écoutés ni entendus, et envoyer à ce pouvoir et à ceux qui lui succèderont un message clair : plus rien ne se fera sans le contrôle des citoyens et le respect de leur parole. Car le pire ici n'a peut-être pas été que ces derniers n'aient pas été écoutés ...mais qu'on leur ait fait croire qu'on allait les écouter.