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Billet de blog 17 novembre 2025

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L’impossible équation, vraiment ?

Il est inévitable que .., on ne peut échapper à …, toutes les études disent que …Oui-da, il serait donc impossible de financer tel quel notre modèle social. Sauf que c’est à l’envers qu’il faudrait me semble-t-il poser le problème : quel modèle social voulons nous, et comment le financer ? Et on le fait.

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Voilà : « il faut être sérieux, la concurrence bla bla bla, il n'y a plus d'argent en caisse, nous devons faire des sacrifices, seule la capitalisation nous sauvera... » (en clair les plus aisés s'en sortiront, les pauvres morfleront, le privé s'en mettra plein les poches) Ben non. D'ailleurs, qui nous raconte qu'il n'y a plus d'argent, la belle blague?!

Au fait oui, d'où vient « l' argent » ?

D'abord, ne pas confondre argent et richesses . D'un côté les richesses naturelles , richesses gratuites que nous exploitons sans vergogne : l'eau, le blé qui pousse, les arbres, l'énergie du soleil, du vent et de l'eau, les énergies fossiles, les métaux. Capital que les plus malins - ou les plus crapules, au choix – s'approprient inégalitairement sans vergogne. Avant de le revendre, par ici la monnaie ! Ensuite le travail des humains, et leur intelligence qui crée, transforme, transporte : capital encore, que les plus malins etc : bis repetita (la valeur ajoutée,ça vous parle sûrement). Et pour transformer, échanger, acheter, vendre toutes ces richesses, nous avons inventé la monnaie . Créée par et pour les puissants durant des siècles pour asseoir leur pouvoir, puis par les banquiers et eux seuls depuis que la révolution industrielle en a exigé d'inépuisables quantités. Circulant partout, cette monnaie au passage, quand elle stagne, n'est plus simplement un outil, mais fait partie du capital que possède chacun. Elle a un autre avantage : les prêts-monnaie créés par les banques permettent par leur volume les investissements à long terme.

Et donc, où sont passés ces richesses, cet argent, ce capital?

Il se sont accumulés dans le poches des puissants, puis des puissants et des coquins. Transformés en maisons ou châteaux, mis en réserve sous forme de lingots ou de bijoux, investis en usines, voitures de collections ou collections de timbres-postes, planqués un temps sous les matelas puis en livrets A, dans les paradis fiscaux ou produits financiers enfin et surtout. Car on aura bien compris que le propre des humains étant la convoitise et la recherche de la puissance, le partage a été inégal. Les mieux lotis en ont de quoi vivre dans le luxe et les plaisirs durant des siècles (qu'ils ne vivront pas), une bonne partie peut en user pour se nourrir, se vêtir et s'abriter, les va-nu-pieds n'avaient qu'à traverser la rue s'ils voulaient en voir la couleur. Mais pour ce qui concerne la seule monnaie, une partie, la plus importante, se retrouve aujourd'hui dans les circuits spéculatifs, quatre fois plus que dans l'économie réelle. Et un quota important de ce volume est volatil, immatériel, ne reposant que sur des paris financiers, bulles de savon financières qui éclatent ici ou là. Mais il en reste beaucoup : selon Patrick ARTUS 400 000 milliards de dollars environ, de quoi voir venir !

Aujourd'hui, qu'en est-il ?

Comme on vient de le dire, le partage n'a pas été équitable : les riches possèdent infiniment plus que les plus pauvres, et ont  confisqué une bonne part du capital-monnaie pour faire joujou sur le dos des matières premières, des monnaies, des économies de tel ou tel pays – et tant pis si au passage une famine est créée là, un tsunami d'inflation ici. Les biens s'échangent, s'achètent, se vendent, mais toutes ces opérations exigent encore et toujours une noria d'emprunts venant gonfler le volume mondial de monnaie en accroissant le pouvoir de droit de regard des banques émettrices sur ce qui en est fait. Cette utilisation, loin d'être vertueuse et pour le bien commun, est fléchée vers le plus rentable. Et si le plus rentable pollue ou décérèbre, c'est bien dommage mais « que veux-tu nous sommes dans un monde concurrentiel et nous devons nous y habituer »...

Ah bon ? Il n'y aurait donc pas d'alternative ?

J'avais émis en février un billet dernier dont je regrette qu'il n'ait pas suscité davantage d'attention et/ou de commentaires :

https://blogs.mediapart.fr/frederic-pic/blog/040225/par-ici-la-monnaie

Où l'on retrouvera des liens vers les écrits des économistes brillants tenants de la Théorie Monétaire Moderne dont j'aimerais reprendre ici les thèmes : On peut fabriquer de la monnaie pour faire vivre nos sociétés, et des quantités très importantes ont été crées et se sont accumulées au fil du temps, une bonne partie étant comme dit ci-dessus contrôlée et gelée à son profit par le monde de la finance et de la spéculation. On peut estimer que ces sommes colossales ont été injustement détournées de leur vocation. Et puisqu'on ne peut les récupérer, ne serait-ce qu'en infime partie (ne taxer pas les transactions financières, malheureux, vous allez ruiner l'économie!), eh bien il suffit de reprendre à notre compte la fabrication de cet indispensable produit.

Comment ça, on pourrait fabriquer sa propre monnaie ?

Ben oui, on laisse bien les banques privées (pour 85%) et les banques centrales - pour le reste - le faire. Pourquoi ne le ferait-on pas, pour assurer des besoins que l'on qualifierait de vitaux, nous ne sommes pas à priori plus stupides que les banques. À certaines conditions évidemment : que ce soit un organisme indépendant du gouvernement qui en décide, pour éviter toute dérive démagogique. En quantité raisonnable, pour éviter le risque d'inflation. En accord avec les accords internationaux (les traités acceptent les monnaie locales, cette monnaie mise gratuitement au service du bien commun pourrait être considérée comme une subvention)

Comment cela pourrait-il s'organiser ?

Un organisme indépendant serait à définir (recyclage du Sénat et du CICE, ONG, citoyens tirés au sort, syndicats, scientifiques, représentants du pouvoir, du trésor et de la Banque de France : beau sujet de réflexion pour une nouvelle constitution ou pour de nouvelles échéances électorales) Cet organisme réfléchirait aux besoins de base vitaux, sur le plan social et environnemental, et demanderait au trésor de fournir à cet égard, chaque année, une somme gratuite et sans intérêt ni remboursement au gouvernement, en indiquant comment le flécher. Nous aurions là une sorte de parlement bis, écologique et social. Pour le reste de ses besoins, le pouvoir continuerait à lever l'impôt et à emprunter auprès des banques. Mais sa dette s'en trouverait allégée, ainsi que le service de celle-ci. Les sommes mises à disposition permettraient de relancer l'emploi. Seules limites : les capacités de mobiliser suffisamment de matériaux, d'énergie et de main d'oeuvre. Et si la somme était excédentaire une année, les tenants de la théorie proposent de limiter le risque d'inflation par une augmentation de l'impôt l'année suivante, pour retirer de la circulation la monnaie en excès.

Alors, pourquoi ne le fait-on pas ?

Parce que certaines forces s'y opposent. Comme celles qui détricotent depuis 80 ans notre bonne vieille Sécu. Comme elles nous rabâchent à longueur d'année dans leurs médias ( propagande !) que c'est impossible. Comme celles qui veulent nous contraindre à la capitalisation, à la concurrence au lieu de la coopération, au chacun pour soi au lieu de la solidarité. Et parce que, confits que nous sommes ici pour beaucoup d'entre nous dans un petit confort, nous préférons y barboter douillettement et ne pas faire de vagues. Parce que, surtout,  nous oublions de relire tous les matins le discours de la servitude volontaire de La BOËTIE, comme je l'écrivais dans un autre billet :

https://blogs.mediapart.fr/frederic-pic/blog/181021/le-discours-de-la-servitude-volontaire-toujours-dactualite

Cela ne résoudra pas la totalité du problème : la convoitise et le désir de puissance persisteront, la lutte pour l'eau et les matériaux de base se fera de plus en plus prégnante, voire violente. Mais cette reprise en main de notre destin ne saurait être totalement inutile.

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