Journaliste free lance - Enquêteur - Ecrivain - Photographe - Educateur aux médias pour la jeunesse (et même les + vieux)
Abonné·e de Mediapart
Bande dessinée d’Angoulême : un bilan ensoleillé, avec quelques nuages à l’horizon
Le 52e Festival de Bande dessinée d’Angoulême a refermé ses portes dimanche 2 février. Avec des premières estimations de fréquentation en hausse de 15 à 20 %, selon les organisateurs. Les polémiques n’ont pas entaché le succès populaire. Mais les questions sont sur la table, et il faudra sûrement y répondre avant janvier 2026.
Après la pluie, le beau temps. C’est un peu le sentiment qui dominait alors que se refermait le 52e Festival de Bande dessinée d’Angoulême, dimanche 2 février au soir, après quatre jours de folie, comme d’habitude. Tout avait pourtant assez mal commencé : déluge de pluies dans les derniers mètres de la préparation, mettant à rude épreuve l’étanchéité des chapiteaux et installations éphémères d’un festival qui l’est tout autant. Déluge de polémiques aussi suite à la parution dans le journal l’Humanité d’une enquête à charge ou il est question de « dérive », de gestion opaque, de management toxique, et même d’un licenciement après une plainte pour soupçon de viol lors d’une soirée festive en marge du Festival… (1) Heureusement, le public, lui, semble faire fi de ces coulisses en eaux troubles : Franck Bondoux annonçait dimanche en milieu d’après-midi entre 15 et 20 % de fréquentation en plus. Mais chaque médaille a son revers, et le public s’est plaint – à raison – des files d’attentes interminables pour entrer dans les expos les plus en vue du festival : L’atelier des sorciers à l’Hôtel Saint-Simon (pas étonnant avec une jauge de 50 personnes) ; Gou Tanabe x H.P. Lovecraft à l’Espace Franquin ou encore Vinland Saga à la médiathèque Alpha. « Est-ce qu’on est contents de faire attendre les gens ? Non. Est-ce qu’on a été un peu dépassés par le succès ? Peut-être un peu. Est-ce que le lieu est adéquat pour une telle expo ? Complètement », justifiait le directeur artistique « Asie » Fausto Fasulo, lors de la conférence de presse de clôture dimanche après-midi. Victime de son succès, comment le festival pourrait-il améliorer les choses, au risque de ternir son image et de rebuter même les plus assidus des amateurs de BD ? Une des solutions envisagée est la pré-réservation en ligne, comme ce fut le cas il y a deux ans pour L’attaque des titans, de l’ombre à la lumière à l’Alpha.
« Nous venons de poser un acte, c’est du concret : le 52e festival a eu lieu »
Franck Bondoux, délégué général du FIBD avec sa société 9e Art +, s’est d’abord réjoui de la hausse de la fréquentation – un peu tôt pour dire si cela ramènera l’équilibre dans un budget déficitaire – tout en reconnaissant qu’il demeurait « une inconnue sur la participation financière du ministère de la Culture ». Rachida Dati, dans ses vœux du ministère lundi 27 janvier dernier, a demandé à ce que la culture se rende « dans les campings, plébiscités par les Français ». Sera-t-elle sensible au « camping » géant qui se déploie à Angoulême chaque fin janvier, dans les différents chapiteaux qui se répartissent dans le moindre espace libre de la ville, donnant un charme désuet au festival quinquagénaire, tout en demandant des prouesses de souplesse dorsale aux organisateurs, éditeurs et commissaires d’expositions ? Une souplesse demandée aussi au public, qui semble pourtant s’accommoder – faute de mieux - de ce côté foutraque d’un festival ancré dans la ville, où les bars et restaurants font le plein durant quatre jours. Ce que confirme Xavier Bonnefont, maire d’Angoulême : « C’est aussi un festival du public. Je souhaite tout faire pour sécuriser le festival en continuant de le faire grandir, et l’intérêt c’est aussi qu’il reste dans la ville. Je ne me vois pas demander la construction d’un palais du festival, à l’heure où les deniers publics se raréfient », a-t-il dit devant la presse. Mais si Rachida Dati souhaite voir la culture « descendre » dans les campings l’été prochain (ou l’art d’inventer ce qui existe déjà…), elle se dit aussi « préoccupée par la situation du festival », le ramdam des révélations et rumeurs qui ont précédé le festival étant sûrement venu jusqu’à la rue de Valois. Xavier Bonnefont enchaîne : « la dernière ministre de la Culture à s’être intéressée au festival, c’est Audrey Azoulay (ministre de la Culture 2016-2017 pendant la présidence de François Hollande, Ndlr). C’est d’ailleurs avec elle qu’il y avait eu l’impulsion de l’ADBDA (Association pour le développement de la bande dessinée d’Angoulême) ».
Changement de statut juridique ?
Le semestre qui s’ouvre sera capital pour le festival, et son organisation. En même temps que la possible – et visiblement très attendue - dénonciation du contrat qui lie l’actuelle Association du Festival de la bande dessinée à Franck Bondoux et 9e Art +, se joue aussi la possible création d’une SAS (Société à actions simplifiées) qui fusionnerait les deux entités. Pour l’heure, on voit mal comment l’historique association du festival – dépositaire de la marque et gardienne du temple - lâcherait l’affaire. Delphine Groux, fille du fondateur, a certes un nom mais semble aussi avoir du mal à se faire un prénom. L’ombre de Francis Groux plane encore au-dessus du « bébé », pour preuve sa présence au point presse de fin de festival. Sous le feu des critiques venues des rangs des journalistes – et à mots couverts des élus des collectivités locales qui mettent copieusement la main au portefeuille pour subventionner le festival, à l’heure où les incertitudes budgétaires n’ont jamais été si grandes – un nom revient sans cesse : Franck Bondoux. Le patron de 9e Art + et de Partenaireship consulting, (les deux sociétés dont il détient respectivement 91 % et 76 % des parts), fait la grimace sous les tirs croisés de certains médias, et de la pression à peine déguisée des élus locaux des collectivités. Il se défend en nommant toutes ces critiques « d’injonctions contradictoires ». On peine un peu à savoir ce qu’il met dans cette expression un peu fourre-tout, mais on y reconnaît surtout l’antienne professée depuis 20 ans pour l’organisateur du festival : c’est moi ou le chaos ! « Tout n’est pas parfait, bien sûr, mais nous sommes là pour capitaliser sur ce qui a été fait depuis 18 ans. Quand j’ai pris la direction du festival, il était en crise, il y avait des menaces de boycott. Une page se termine et une nouvelle va s’ouvrir. Ce que je constate c’est que nous avons une approche du festival qui le fait entrer dans son siècle : pendant cette édition, on pouvait naviguer sur un drakkar sur la Charente, s’exercer au lancer de hache sur le parvis de l’Alpha, expérimenter la réalité virtuelle avec Lucky Luke », affirmait-il dimanche après-midi dans les grands salons de l’hôtel-de-ville.
Les intérêts financiers sont également politiques : les collectivités locales, qui abondent à hauteur d’un million soixante-cinq mille euros de subventions (pour Angoulême et Grand Angoulême), 500.000 € pour la Nouvelle Aquitaine, environ 170.000 € pour le Département, verraient sûrement d’un œil peu amical la dépossession complète d’un événement qu’ils sponsorisent avec des finances publiques, et qui est le fer de lance des festivals dans la région. Xavier Bonnefont, (qui signe donc deux chèques), affirme qu’il « faut prendre le temps de regarder comment les grands évènements sont structurés » et que le sujet doit être « traité dans l’année ». Il n’en demeure pas moins une mauvaise habitude en Charente et à Angoulême en particulier de faire traîner les choses. La Halle 57 par exemple, toujours propriété de SNCF Gares et connexions, qui ne sert finalement qu’une fois l’an alors qu’en 2023 avaient été annoncé des manifestations de cultures urbaines toute l’année, grâce à la présence de la société bordelaise Darwin. « Le préfet s’active pour faire avancer le dossier, et sa complexité juridique », espère le maire d’Angoulême.
Et les auteurs dans tout ça ?
Au terme de cette 52e édition, il n’aura pas échappé à grand monde que les auteurs et éditeurs indépendants sont impatients de pouvoir retrouver ce que Chamo, membre du syndicat des éditeurs indépendants résumait ainsi samedi soir lors de la cérémonie de remise des Fauves, au Théâtre : « Nous voulons un festival plus gai, plus inclusif, plus créatif, plus humain ». L’éditrice du fanzine Fanatic Female Frustration, Elsa Klée enfonçait le clou au moment de recevoir le prix de la BD alternative : « des changements radicaux sont attendus. Prenez vos responsabilités quand des violences sexuelles et sexistes ont lieu sur le festival ».
2025, année décisive pour le festival de la bande dessinée d’Angoulême ? S’il est encore trop tôt pour le dire, il n’y a pas besoin d’une boule de cristal pour pressentir qu’il va y avoir du mouvement. Y aura-t-il des passages par-dessus bord dans l’organisation de ce rendez-vous incontournable, et si apprécié du public amateur de BD ? Comme dans une bonne série : à suivre…
Fauve d’or : Deux filles nues de Luz (Albin Michel).
Fauve d’honneur : John Romita Jr.
Prix spécial du jury (ex æquo) :Les météores, histoires de ceux qui ne font que passer de Tommy Redolfi et Jean-Christophe Deveney (Delcourt) et En territoire ennemi de Carol Lobel (L’Association).
Prix Révélation :Ballades de Camille Potte (Atrabile).
Prix de la série :Dementia 21 (vol.2) de Shintaro Kago (Huber Éditions).
Fauve des lycéens :Contes de la mansarde, d’Elizabeth Holleville et Iris Pouy (L’employé du moi).
Fauve - Prix du public France Télévisions :Impénétrable d’Alix Garin (Le Lombard).
Éco-Fauve Raja :Vert de rage - Les enfants du plomb de Martin Boudot et Sébastien Piquet (Michel Lafon).
Fauve Polar SNCF :Revoir Comanche de Romain Renard (Le Lombard).
Fauve Patrimoine :Come over come over, de Lynda Barry (Éditions çà et là).
Fauve jeunesse :Retour à Tamioka de Michaël Crouzat, Laurent Galandon, Clara Patiño Bueno et Andrés Garrido Martin (Jungle).
Fauve BD alternative (ex aequo) :Fanatic female frustration et Hairspray magazine.
Prix Konishi : Yohan Leclerc pour la traduction de Les saisons d’Ohgishima de Kan Takahama (Glénat).
Prix René-Goscinny (meilleur scénariste) : Serge Lehman pour Les navigateurs, dessin de Stéphane De Caneva (Delcourt).
Prix René-Goscinny (jeune scénariste) : Elizabeth Holleville pour Contes de la mansarde, dessin d’Iris Pouy (L’employé du moi).
Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.