Outre l’aspect militaire, un autre élément lie ces trois pays : leur propension à terroriser les populations civiles ; qu’elles soient kurdes, palestiniennes ou sahraouies ; en utilisant des instruments bien précis : les drones. Nous allons donc voir au cours de cet article non seulement comment s’articulent les échanges de technologies de guerres meurtrières entre ces trois armées mais aussi quelles sont les conséquences de leurs actions sur les peuples visés. Avant de nous lancer dans des explications plus poussées, nous aimerions rappeler la définition du terme « drone » : le drone se définit comme un véhicule terrestre, naval ou aérien qui est contrôlé à distance ou de manière automatique. Ainsi, n’importe quel véhicule peut être qualifié de drone s’il peut fonctionner sans qu’il n’y ait d’être humain à bord.
I- La nature des échanges militaires entre Israel, la Turquie et le Maroc
La normalisation des relations diplomatiques entre Israël et le Maroc en 2020 avait pour objectif la validation de l’occupation illégale du Sahara occidental par ce dernier sur deux plans : diplomatique mais aussi militaire. En effet, outre la reconnaissance américaine de la souveraineté marocaine sur le territoire, cet accord a marqué le début d’une collaboration militaire sans précédent entre le royaume chérifien et l’état d’apartheid israélien, qui se vend aujourd’hui comme une « superpuissance du drone ». Justement, de multiples accords de coopération sécuritaire ont été conclus entre les deux pays depuis dont l’un concerne l’achat de drones israéliens de type Harop. Selon des médias marocains prisés tels que Le360ma ou yabiladi, des contrats d’armement incluant l’achat de ces appareils ont été signés en novembre 2021 et en juillet 2022. Ces drones sont communément appelés « drones de type kamikaze » : ils peuvent transporter jusqu’à 20 kilogrammes d’explosifs, ont une portée de 1000 kilomètres et peuvent rester en l’air jusqu’à 7 heures. Leur fonction principale est d’exploser sur une cible donnée, ce sont donc des instruments de terreur que le Maroc utilise dans le cadre de la guerre qu’il mène aux sahraouis pour assassiner des civils.

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Outre les drones israéliens, le Maroc emploie aussi des drones turcs Bayraktar TB2 à munitions thermobariques. Pour rappel, selon un rapport de la CIA de 1990 cité par Human Rights Watch, voici les effets d’une explosion thermobarique dans un espace confiné : « Les personnes proches du point d’ignition sont atomisées. Celles se trouvant en périphérie sont susceptibles de subir de nombreuses blessures internes […] notamment des éclatements de tympans, des écrasements de l’oreille interne, de graves commotions cérébrales, des ruptures des poumons et des organes internes, voire la cécité ». Le SMACO (« Sahrawi Mine Action Coordination Office », Bureau sahraoui d’action et de coordination des mines) a constaté leur utilisation à travers les corps calcinés des civils qu’elles ont tuées au nord de la Mauritanie et dans les territoires libérés du Sahara occidental, notamment dans les secteurs situés au nord de Tagzumalet. Selon le média espagnol infodefensa, le royaume chérifien reçoit ces drones depuis septembre 2021 de la part du gouvernement d’Erdogan, date à laquelle le premier contrat d’armement incluant 13 unités fut signé.
II- Les conséquences dévastatrices de l’usage de drones sur les civils
Que ce soit en Palestine, au Kurdistan ou au Sahara occidental, l’utilisation de drones a pour but de terroriser la population colonisée sans risquer de subir des pertes humaines au sein des forces d’occupation. En voici les conséquences concrètes sur les civils dans chaque cas.
Au Sahara occidental, les attaques ont majoritairement lieu au sein des territoires libérés, où vivent entre 30 000 et 40 000 civils selon le gouvernement sahraoui. Beaucoup d’entre eux ont dû fuir leurs domiciles depuis le début de ces bombardements, cela nous prouve qu’il y a une réelle volonté de la part de l’armée marocaine de rendre les territoires libérés du Sahara occidental invivables en s’en prenant particulièrement aux civils.

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En effet, comme le précise le SMACO dans son rapport, plusieurs paramètres sont à prendre en compte lorsqu’on analyse les bombardements marocains :
- Ils ont eu lieu dans un terrain désertique, à l’air libre et sans végétation où il est très facile de reconnaitre la couleur des véhicules visés et de distinguer les cibles militaires des cibles civiles
- Ils se sont produits dans des secteurs situés à plusieurs dizaines de kilomètres du mur installé par l’occupation marocaine, où les gens visés étaient clairement des civils qui ne représentaient aucune menace pour l’armée marocaine
- Ils ont frappé des secteurs où l’armée sahraouie n’est pas active, ce qui veut dire que les victimes ont péri dans des conditions atroces où personne ne pouvait les assister, comme le témoigne le cas de Embarek Sai et son ami, dont les corps se sont décomposés 17 jours durant sans qu’ils n’aient accès à un enterrement digne. Cela s’explique par le fait que les amis et la famille des victimes évitent de s’aventurer à proximité des tueries des drones marocains pour ne pas mourir à leur tour. C'est ce qui est arrivé au jeune Deidih Mahmud Hueibita qui a été assassiné alors qu’il tentait d’assister les victimes d’un bombardement qui avait eu lieu le 24 novembre 2022 non loin d’Ahfir à la frontière entre la Mauritanie et le Sahara occidental.

Depuis la reprise du conflit en 2020, le SMACO dénombre 60 attaques de drones sur des civils qui ont fait 80 morts. 60% des victimes étaient sahraouies, 14,5% mauritaniennes, 8,3% algériennes et 17,2% n’ont pas pu être identifiées car leurs dépouilles ont trop été brûlées par les drones marocains. Bien que le bilan humain de ces attaques soit effrayant, il ne représente qu’une partie de l’horreur qui vise les populations colonisées : elles doivent aussi faire face aux conséquences psychologiques de celles-ci.
En Palestine, ces conséquences psychologiques se font sentir, particulièrement sur la population de Gaza. Le syndrome post-traumatique dû à l’omniprésence des drones dans l’espace aérien gazaoui y est frappant. En 2021, lors de l’offensive israélienne sur la bande de Gaza, 25 drones avaient constamment survolé l’enclave, pour une durée équivalente à 6000 heures de vol en cumulé selon l’armée israélienne. En août 2022, les offensives israéliennes contre la population gazaouie ont duré moins de trois jours et pourtant le Jihad islamique dénombrait plus de 2000 heures de vol de drones, qui étaient au nombre de 25 à circuler au-dessus de la ville.

Une telle présence militaire, asphyxiante et effrayante à tout point de vue, laisse forcément des séquelles sur la population visée. Chez les gazaouis cela se traduit notamment par l’octroi d’un surnom aux drones israéliens, qu’ils appellent « zanana ». En arabe, cela signifie « bourdonnement » mais aussi « mal de crâne ». Ce surnom est presque un euphémisme lorsqu’on se penche sur les effets dévastateurs qu’ont ces drones, particulièrement sur les enfants. Il faut s’imaginer qu’un gazaoui de 15 ans ou moins n’a rien connu d’autre de sa vie que le blocus militaire et les bombardements. Entre l’opération Plomb Durci en 2008-2009, l’opération Bordure protectrice en 2014 (qui a été qualifiée la même année d’« incitation au génocide » par le tribunal Sartre-Russel) et l’opération Aube naissante en 2022, les gazaouis ont vu les bombardements se succéder et les milliers de morts s’accumuler sans qu’aucune mesure concrète ne soit prise pour les protéger d’une telle barbarie. Ainsi, à chaque bourdonnement de drone perçu, il n’est pas rare que les enfants soient pris d’insomnies ou d’épisodes post-traumatiques, tant et si bien qu’ils passent régulièrement des nuits à l’hôpital même en période dite « de paix ». À ce propos, voici ce que déclarait le psychiatre Sami Oweida, qui officie à la clinique de Khan Younès au sud de la bande de Gaza, au média Middle East Eye en 2022 : « Les enfants ont besoin de se sentir en sécurité pour se développer mais [c’est impossible] avec les drones ». En effet, difficile de se construire dans un environnement où le spectre de la mort plane constamment et où l’on ne sait pas si le vrombissement que l’on entend n’est qu’un bruit anodin d’un drone surveillant la population ou l’annonce d’un bombardement sans précédent qui annihilera des milliers de vie…
Ce spectre de la mort plane également sur le peuple kurde, qui est traqué par le gouvernement turc par-delà les frontières et ce en toutes circonstances. Dans les semaines qui ont suivi les terribles séismes du 6 février, l’armée turque a procédé à des frappes aériennes dans la zone frontalière turco-syrienne. La ville de Tal Riffat, au nord de la Syrie, a été particulièrement touchée par les bombardements turcs alors qu’elle accueillait des milliers de déplacés après les tremblements de terre meurtriers qui ont frappé le Kurdistan. Le 2 décembre 2019, au moins onze civils, dont huit enfants, sont tués dans des bombardements turcs dans cette même ville : « Les tirs d'artillerie des forces turques se sont abattus près d'une école, au moment où les enfants sortaient » de l'établissement, selon le directeur de l'Observatoire syrien des droits de l'homme. Le 16 février, un septuagénaire a notamment été tuée lors d’une attaque de drone turc à proximité d’un marché. Dernièrement, l'un des dirigeants kurdes du Rojava en visite au Kurdistan d'Irak à Silêmanî a été visé par un drone turc. L'autre état colonial de la région, l'Iran, a aussi usé de ses drones et de son artillerie pour bombarder la région du Kurdistan dit "irakien" lors des révoltes qui ont suivi la mort de Jîna Amini.

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Cette propension du gouvernement turc à s’en prendre aux kurdes même lorsqu’ils sont frappés par une tragédie d’une ampleur inédite nous prouve qu’il veut réellement effacer l’identité kurde et mettre à mal tout projet politique de libération et d'unification kurde. Cette obsession ne date pas d’hier : en 2020 déjà, les troupes turques avaient investi le Kurdistan irakien pour y traquer toute personne se réclamant kurde. C’est ainsi que le 19 juin 2020 par exemple, 3 villageois furent assassinés par un drone turc à proximité de la ville de Dohouk alors qu’ils allaient pique-niquer. Les exactions turques avaient pour but d’isoler le nord-ouest du Kurdistan irakien (qui se situe à proximité de la frontière turque) et de terroriser sa population à l’aide de drones. Enfin, l'utilisation d'armes chimiques par la Turquie contre les Kurdes est dénoncée depuis des années sans qu'aucune prise en main de la communauté internationale ne soit réalisée. La campagne "Nous voyons vos crimes - Arrêtez l'utilisation d'armes chimiques au Kurdistan !" vise à dénoncer ces pratiques coloniales de l'état turc.

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On peut donc voir que peu importe s’il s’agit d’Israël, du Maroc ou de la Turquie, les méthodes de persécution coloniale employées sont similaires, d’où la volonté de ces trois pays de conclure des accords militaires pour s’échanger des drones. Si les puissances coloniales arrivent à créer des liens entre elles afin d’opprimer, il nous faut aussi de notre côté faire les liens entre les peuples colonisés pour démanteler les jougs auxquels ils sont soumis.
Sources
https://www.ecsaharaui.com/2023/02/el-uso-de-drones-y-municion-termobarica.html
https://www.yabiladi.com/articles/details/130009/armement-maroc-signe-accord-avec.html
https://fr.le360.ma/politique/maroc-israel-la-cooperation-militaire-se-renforce-267122/
https://nationalinterest.org/blog/buzz/israel-slowly-become-drone-superpower-165149
https://rojinfo.com/des-drones-turcs-survolent-les-regions-dafrin-et-de-shehba/