Le procès des prévenus mineurs impliqués dans l’assassinat de Samuel Paty s’est tenu à la fin de l’année 2023 et un second procès visant huit autres prévenus adultes doit se tenir dans le courant de l’année 2024. En marge du traitement judiciaire de l’affaire, de nombreuses « sources policières », l’analyse du dossier d’instruction par le site Reflets.info et le livre-enquête de Stéphane Simon, Les derniers jours de Samuel Paty, permettent de reconstituer avec précision la chronologie des faits dans son intégralité, ou presque.
Presque, car les zones d’ombre restent en réalité nombreuses pour qui s’intéresse de près à cette affaire, à commencer par la famille de la victime. Assistée par ses avocates Virginie Le Roy et Carine Chaix, Mickaëlle Paty —la soeur du défunt— cherche notamment à élucider la responsabilité potentielle de l’État, avec en ligne de mire de nombreux dysfonctionnements au sein de l’Éducation Nationale, de la préfecture des Yvelines ou des services de renseignement (voir notamment l’interview donnée par Carine Chaix au Figaro fin mars 2024). Un des enjeux de ce bras de fer juridique est notamment d’obtenir la déclassification des notes et des communications internes de ces différentes institutions.
Bien entendu, il serait absurde et malvenu de comparer mon implication dans cette affaire avec celle d’une famille meurtrie et endeuillée, à laquelle je renouvelle mes condoléances. Je tiens également à m’excuser pour la douleur supplémentaire que mon billet de blog polémique du 19 octobre 2020 a pu susciter. Cependant, presque quatre ans après le drame, certaines zones d’ombres —d’une nature différente— continuent elles-aussi de m’affecter, et je pense qu’il peut être utiles de les partager publiquement.
Une procédure-baîllon ?
Le 21 octobre 2020, Gérald Darmanin portait plainte à grand bruit contre mon billet intitulé « Exécution sommaire du suspect : nouvelle norme en matière de terrorisme ? » pour « diffamation publique envers une administration publique ». Sans cette plainte, il est évident que je serais depuis longtemps passé à autre chose. Mais il se trouve que depuis mon audition au Bastion par la Brigade de Répression de la Délinquance Contre la Personne (BRDP) le 23 décembre 2020, je reste suspendu à l’attente d’un classement sans suite ou à une convocation au tribunal. Sans aucune nouvelle de la part de l’État, et malgré un délai de prescription de 3 mois, je ne peux conclure que l’affaire est close car, selon mes avocats, il est possible (quoiqu’improbable à ce stade) que le parquet ait « délivré des actes interruptifs ».
Outre la menace associée à la peine encourue (jusqu’à 45.000€ d’amende), cela fait donc plus de trois ans que je dois contempler la possibilité d’être soudainement pris dans une tourmente dont les enjeux me dépassent largement. Je me considère donc victime d’une « poursuite-bâillon » telle que définie par la Commission européenne, à savoir « une poursuite abusive visant à [me] réduire au silence ». Certes, le caractère abusif de la poursuite n’est pas formellement tranché, mais l’absence totale d’information est en elle-même abusive (de par sa durée) et la conséquence recherchée a été atteinte : je ne me suis plus exprimé sur la question depuis lors. Je saute le pas aujourd’hui pour deux raisons. Premièrement, j’ai eu la chance d’obtenir un emploi stable, ce qui atténue le risque que cette affaire ruine ma carrière professionnelle. Deuxièmement, j’observe une recrudescence hallucinante de ces poursuites-bâillons à l’encontre de responsables politiques de gauche mobilisés pour la défense du peuple palestinien.

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Si j’aimerais être enfin informé des suites données à cette plainte, je ne recherche aucun dédommagement pour le préjudice subi. Mon intention est simplement de partager mon expérience et d’exposer un certain nombre d’éléments qui peuvent éclairer sous un jour nouveau les tenants et les aboutissants du billet de blog publié le 19 octobre 2020. En effet, en dépit toutes les informations collectées, certaines les « zones d’ombres » qui m’avaient amené à mettre en cause la réaction de l’État n’ont pas été dissipées par l’enquête.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, il peut être utile de préciser que ce nouveau billet de blog n’est plus anonyme puisque l’État connait dorénavant mon identité. Si je préfère rester sous pseudonyme, c’est pour ne pas confondre la caution et le statut que peuvent conférer mon activité professionnelle avec mon engagement citoyen dans des domaines qui n’ont presque rien à voir avec cette dernière. C’est aussi, évidemment, pour préserver une certaine tranquillité. Cependant, si mon identité devait être rendue publique par des individus malfaisants, j’assumerais sans sourciller l’intégralité de mes propos, présents et passés.
La minute où tout bascule
D’après le livre de Stéphane Simon Les derniers jours de Samuel Paty, le professeur est sorti du collège du Bois d’Aulne à 16h51 (p204) et on sait depuis le premier jour que la photo de sa tête décapitée a été postée à 16h55. Le corps du professeur a été retrouvé rue du Buisson-Moineau, à 5 minutes de marche de la sortie du collège. Ainsi, même en imaginant une course continue entre le collège et le lieu du crime (ce qui n’est rapporté nulle part : c’est plutôt une marche rapide qui est évoquée), Anzorov n’a eu qu’une ou deux minutes pour agir. Dans ce laps de temps, il aurait donc : tiré une bille d’Airsoft sous le menton du professeur (Les derniers jours de Samuel Paty, p206), donné 17 coups de couteau, procédé à une décapitation, pris et posté une photo sur les réseaux sociaux accompagnée de son message de revendication. La découverte de la bille suggère en outre que l’agression a commencé par une intimidation (cohérente avec les intentions affichées précédemment par Anzorov) et non par une salve de coups de couteau.
Dans son témoignage, le professeur d’EPS Charlie Jacquin indique être sorti de sa voiture et avoir interagi brièvement avec Anzorov qui est alors penché sur le corps du professeur, sans comprendre immédiatement la teneur des événements (interview du 16/10/23 pour BFMTV). Il ne fait mention d’aucun autre témoin sur les lieux du crime. Dans un autre témoignage pour TF1 (19/10/20), « Stéphane » (un riverain) indique quant à lui qu’il a eu le temps de sortir une première fois pour voir la tête décapitée, de mettre ses petits-enfants à l’abri et de revenir pour constater que le terroriste était en train de manipuler sur son téléphone « face à face avec un autre garçon [qu’il] connait aussi et qui était en train de réparer sa voiture ». Enfin, la police municipale rapporte également avoir découvert Anzorov auprès du corps après le signalement d’un automobiliste. Un policier municipal ayant pris ses fonctions le mois précédent rapporte avoir vu « un individu habillé tout de noir accroupi au niveau d'un corps avec une tête au niveau de ses pieds ». Anzorov a son téléphone en main et les policiers prennent la fuite lorsqu’il se relève. Faute de réponse à la radio, les policiers composent le 17 à 16h55 (article du Parisien du 05/11/20) mais ce n’est qu’à 17h01 que l’information sera reçue par les équipage environnants d’après le livre de Stéphane Simon.
Cette chronologie indique donc qu’Anzorov a été vu par au moins 6 témoins près du corps de la victime déjà décapitée (2 automobilistes, 2 policiers municipaux, 2 hommes du voisinage et 1 professeur du collège) en un laps de temps très court. Cependant, aucun des 3 témoignages ne fait références aux autres témoins présents et il semble que personne n’ait assisté à l’agression elle-même. Stéphane Simon indique qu’au moment du passage de la police nationale, quelques minutes après 17h, une « dizaine de personnes se trouve à présent autour du supplicié ».
La présence d’un complice potentiel
Si la possible participation d’un ou plusieurs autres individus n’a presque jamais été évoquée au cours de l’enquête, cette possibilité ne pouvait être formellement exclue le 19 octobre, et encore moins au moment de l’intervention des forces de l’ordre. Cette possibilité avait en partie motivé mon billet de blog car un terroriste mort ne peut être interrogé à propos de ses complices potentiels. Elle pourrait aussi permettre d’expliquer comment autant d’événements ont pu se dérouler entre 16h51 et 16h55. Appuyant cette hypothèse certes improbable aujourd’hui mais encore plausible le 19 octobre 2020, la présence d’un homme muni d’un fusil à pompe est initialement évoquée sur les ondes de la police (article du Parisien, 05/11/20).
En outre, le couteau de cuisine (type santoku) qui a été utilisé pour la décapitation n’est jamais mentionné par les proches d’Anzorov (ce n’est pas celui qui fut acheté à la coutellerie de Rouen) et il n’est pas non plus retrouvé près du terroriste au moment de sa neutralisation. Ce couteau est retrouvé à une trentaine de mètres de la dépouille du professeur (conférence de Jean-François Ricard du 17/10/20) sans que l’on sache si les empreintes ou les traces ADN d’Anzorov ont été relevées dessus. Cette « lame géante » ensanglantée a également été vue près du corps par « un des premiers témoins à avoir alerté les forces de l’ordre » (Les derniers jours de Samuel Paty, p16).

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D’après Stéphane Simon, Anzorov aurait transporté ce couteau dans un « sac-à-dos » avec un « tapis de prière » (Les derniers jours de Samuel Paty, p194). Malheureusement, ces affirmations ne sont pas sourcées et le sac à dos n’est pas jamais mentionné par Jean-François Ricard ou par d’autres témoins. Il n’est visible ni sur les images de vidéosurveillance diffusées par TF1, ni auprès de la dépouille du terroriste après sa neutralisation (A-B). Enfin, malgré la piètre qualité des images disponibles, l’absence apparente de sang au niveau des mains (B) d’Anzorov contraste avec l’abondance de sang visible sur la photo de revendication (qui ne peut être reproduite ici pour des raisons évidentes).
La culpabilité d’Anzorov
« Le jeune de 18 ans n’est, au moment précis de sa mort, qu’un suspect armé d’un jouet et d’un canif ». Tirée de mon billet initial, cette phrase avait suscité de nombreuses réactions car la reconstruction a posteriori des événements ne laissait guère place au doute quant à la culpabilité d’Anzorov. Cependant, quelques minutes seulement après le crime, la culpabilité d’Anzorov est-elle déjà fermement établie ? Au 19 octobre, on sait seulement que le corps a été découvert par la police municipale qui rapporte en outre la présence d’un homme armé, « auteur présumé des faits » (conférence de Jean-François Ricard du 17/10/20). Quelques semaines plus tard, dans un article du Parisien (05/11/20), on apprendra que les policiers municipaux auraient vu Anzorov « accroupi près du corps », avant de fuir (la police municipale de Conflans n’est pas armée).
Inutile d’épiloguer, les faits indiquent que le flagrant délit était effectivement caractérisé et qu’Anzorov pouvait être tenu pour coupable au moment de son interpellation. Ceci étant dit, ce constat seul ne justifie pas forcément le fait qu’il ait été abattu par la suite. Et cela n’interdit pas de se demander si la décapitation a pu être réalisée par un tiers, qu’il s’agisse d’une personne connue du terroriste ou d’une personne ayant un intérêt à transformer un crime odieux en une affaire sensationnelle de portée mondiale, susceptible de bouleverser durablement le paysage politique français.
J’entends déjà gronder les sirènes de l’anticomplotisme en écrivant ces lignes, mais je continuerai de considérer que ce genre d’hypothèses ne peut être exclu par principe, compte tenu des atrocités qui ont pu être commises dans le passé et des nombreux complots avérés et factuels qui ont ponctué l’histoire politique de notre civilisation. Plus généralement, la recherche des complicités potentielles (et leur sanction) constitue l’un des arguments majeurs que l’on peut opposer à ceux qui seraient tentés de se féliciter de la mort précipitée de n’importe quel coupable, quel que soit son crime.
L’intervention des forces de l’ordre
Le propos de mon billet initial et la plainte qui s’en est suivi étant centrés sur l’intervention des forces de l’ordre, j’ai lu et organisé la quasi-totalité des informations publiées sur les dernières minutes d’Anzorov. Non pas tant pour étayer mon propos relatif à une potentielle « exécution » policière, mais pour essayer de comprendre ce qui s’est réellement passé avenue Salengro ce jour-là. J’ai également analysé en profondeur la vidéo publiée le jour même par le Parisien en appliquant notamment divers filtres pour tenter de retranscrire le plus fidèlement possible les paroles prononcées par les policiers (C). Étant donné que cette vidéo est indissociable de mon propos initial, je me permets de commencer par exposer les résultats de ce travail. J’indique pour chaque passage le niveau de confiance approximatif que j’associe à la retranscription. Un des agents étant plus audible et mieux identifiable que les autres, je lui associe la lettre X. Un certain nombre de passages restent malheureusement inintelligibles.
00:02-00:03 : « vas-y, vas-y » prononcé par un policier. 90%.
00:08-00:11 : « au sol » répété au moins 3 fois par 2 agents distincts dont X. 100%
00:11-00:19 : « jette ton arme » répété 3 (voire 4) fois par 2 agents dont X. 100%
00:19-00:22 : « Allahou Akbar » (80%) répété deux fois par le terroriste ou « allonge-toi » répété deux fois par un policier (20%).
00:20-00:21 : « jette ton arme » répété à nouveau par l’agent X. 100%
00:22-00:24 : « mais te mets pas devant !» prononcé par l’agent X. 100%
00:24-00:25 : « jette ton arme » prononcé par l’agent X. 100%
00:25-00:26 : « attends, attends » prononcé par un agent. 90%
00:27-00:28 : « je monte avec toi » prononcé par un agent. 90%
00:28-00:30 : « jette-toi au sol » répété deux fois par l’agent X. 100%
00:30-00:34 : « au sol » répété 4 fois par deux agents, dont X. 100%
00:34-00:34 : premier cliquetis clairement audible, caractéristique d’un pistolet à air ou gaz. 90%
00:35-00:36 : « il tire » prononcé par deux agents. 100%
00:36-00:38 : « c’est des billes » répété 3 fois par au moins deux agents dont X (un des agents ajoute « les gars »). 100%
00:39-00:40 : « eh faut dégager [???] ». 50%
00:40-00:41 : « eh » puis « casse toi ». 70%
00:41-00:42 : « pousse-toi [ ???] » mais recouvert des aboiements et un tumulte de plus en plus important.40%.
00:42-00:46 : « lève-toi » (10%), « laisse ça » (10%) ou « reste là » (40%) répété quatre fois par l’agent X. 50%
00:45-00:45 : nouveau cliquetis audible du pistolet à billes
00:47-00:48 : « il s’en sort pas celui-là » prononcé par un agent (50%) ou « l’attaque pas [putain ?] » (10%) prononcé par un agent, ou « Allahou Akbar je suis là » (10%) prononcé par le terroriste.
00:49-00:50 : « rentrez vos armes » (50%) ou « sortez vos armes » (50%) prononcé par l’agent X et possiblement un autre agent juste avant. Malheureusement, ce passage crucial est particulièrement ambigu et je ne suis jamais parvenu à trancher sur un plan strictement auditif. En revanche, le contexte et les images suggèrent qu’à ce stade, toutes les armes étant déjà sorties, l’ordre consistait à les « rentrer » pour éviter qu’un coup ne parte involontairement.
00:50-00:54: 9 coups de feu sont clairement audibles. L’analyse des formes d’onde, des échos et des fréquences suggère que le premier et le dernier coup ont été tirés avec des armes différentes de celles utilisées pour tirer les coups 2 à 8 (D). Le premier et le dernier sont plus semblables malgré des formes d’onde légèrement différentes et un écho plus prononcé pour le premier. Cependant, il est probable que cette légère différence soit due au mouvement du cameraman.
00:54-00:56 : « regarde-le » (50%) suivi de mots largement intelligibles qui pourraient être « c’est bon là » (10%), « ça va aller » (10%) ou « t’es malade » (10%) prononcés par l’agent X.
00:57-00:58 : « on attend » (30%) prononcé par un agent, suivi de mots réellement incompréhensible qui pourraient être les derniers râles du terroriste mais ce pourrait aussi bien être les exclamations paniquées d’un agent.
Je ne doute pas que des professionnels spécialisés pourraient améliorer et amender utilement ce travail, mais il est difficile de faire mieux avec les outils à ma dispositions (principalement Audacity et Praat) et les biais évidents dont mes interprétations peuvent de souffrir. Cependant, malgré le caractère confus et l’interprétation incertaine de plusieurs séquences, cette minute reste précieuse à de nombreux égards.

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Déformations télévisuelles
A priori, il serait inutile de revenir sur l’identification réussie du pistolet à billes par les policiers et sur ses implications déjà évidentes et centrales au lendemain de l’attaque. Cependant, dans un reportage diffusé le 21/06/21, TF1 s’est rendu coupable d’une grossière manipulation qu’il me faut ici démonter. En effet, entre 01:25 et 01:27 la vidéo de TF1 montre un extrait de la vidéo du Parisien (00:30 et 00:33). Or, TF1 surimpose à ces images 3 à 4 coups de feu qui ne correspondent à strictement rien dans la vidéo initiale, où aucun cliquetis de pistolet à bille n’est entendu à ce stade. Cette méthode, visant sans doute à rendre la vidéo plus « sensationnelle » dans la forme, est désolante sur le fond car elle vient ternir le témoignage poignant d’un policier qui parait ressentir une profonde douleur morale à la suite de l’intervention. Elle devrait être illégale.
Dans cette interview donnée 8 mois après les faits, le policier interviewé indique en outre qu’un « collègue […] s'est pris la tête à deux mains en pensant qu'on avait fait une connerie » avant de faire part de son inquiétude vis-à-vis des idées suicidaires que pourraient développer les autres policiers impliqués. Je compatis réellement avec la douleur et les doutes de ceux-ci. J’ignore s’il s’agit d’une réaction psychologique classique après des tirs mortels, ou si cette souffrance reflète une contradiction entre les aspirations profondes et les actions concrètes de ces agents dans un contexte forcément hautement contraint en matière d’expression personnelle. La gestion de cette affaire par l’État, le ministère de l’Intérieur, et la Police (entendue comme institution hiérarchisée) a-t-elle été à la hauteur de ces héros du quotidien ? Leur souffrance aurait été en tout cas été bien moindre si l’individu avait été dûment interpellé.
Premier tireur ?
L’analyse de la vidéo initiale du Parisien m’incite enfin à penser que le tout premier coup de feu n’a pas été tiré par le policier interviewé puisqu’il annonce avoir tiré à plusieurs reprises. Or, la signature audio du premier coup est sensiblement différente des autres. Il se pourrait donc qu’un premier tireur ait désinhibé certains de ses « collègues ». Et même s’il reste impossible, comme il y a 3 ans, d’identifier ce premier tireur avec certitude, l’analyse de la vidéo continue de suggérer que celui-ci pourrait être cet homme en uniforme noir et portant un collier de barbe, qui arrive par le coin droit de l’écran (00:38) et arme son pistolet dans la foulée (E). Il est apparemment orienté par l’homme vêtu de bleu qui apparait au même moment à gauche de l’écran. Leur entrée en scène coïncide d’ailleurs avec une augmentation dramatique de l’intensité sonore et son caractère impromptu pourrait expliquer certains mots perceptibles —quoi qu’incertains— prononcés entre les secondes 00:39 et 00:46 par les agents ayant entamé l’intervention : « eh faut dégager », « casse-toi » et « pousse-toi ».
D’après plusieurs sources, la BST est arrivée sur les lieux avec deux voitures, visibles sur la vidéo. On peut également faire l’hypothèse que l’homme en bleu, qui ne semble pas porter d’arme, puisse appartenir à la police municipale. Mais il reste difficile d’expliquer la présence de l’homme en noir sur la base des informations disponibles à l’heure actuelle, sachant que la BAC serait arrivée sur place 5 minutes après la mort du terroriste (Le parisien, 5/11/20).
Concordances incertaines
Ces incertitudes expliquent peut-être pourquoi il reste difficile de mettre en concordance la chronologie rapportée par les policiers qui se sont exprimés dans les médias avec le minutage et les paroles prononcées dans la vidéo du Parisien. La vidéo indique par exemple que les neuf balles sont tirées en moins de 5 secondes, ce qui signifie que l’intégralité des actions rapportées ci-dessous sont contenues en moins de 5 secondes (entretien TF1 du 21/06/21).
"Il commence à courir dans ma direction en tentant de me poignarder. Je tire le premier ; le collègue qui est à mes côtés tire aussi. Malgré nos impacts, celui-ci continue d'avancer dans notre direction. Un troisième collègue, spécialisé dans les tirs à distance, fait feu aussi. L'homme tombe au sol à un mètre de moi à peu près. À un moment, je pensais vraiment qu'il allait réussir à me toucher. Du coup, je vais sur lui. Il est au sol. Je pensais qu'il était décédé avec toutes les cartouches qu'il avait reçues. J'ai le temps de récupérer l'arme, mais au moment où je vais pour prendre le couteau, celui-ci le récupère avant moi et tente de me mettre des coups de couteau au niveau des jambes. J'ai tout juste le temps de m'écarter de celui-ci, de retirer. Le collègue qui est à mes côtés retire aussi."
En outre, la vidéo montre clairement que le mouvement général qui précède les tirs consiste en une avancée des forces de l’ordre, suite à l’identification du niveau de menace faible représenté par le pistolet à bille. Le terroriste a certes pu avancer simultanément, mais il est évident que les policiers ont choisi de réduire la distance physique les séparant de l’assaillant après avoir compris que son arme n’était pas létale.
Conclusion
Pris dans leur ensemble, les informations et les témoignages parus dans la presse depuis la parution de mon premier billet laissent une impression contrastée. Si leur abondance vient éclairer le contexte général de cette attaque et les interactions complexes entre les différents protagonistes, elle ne lève pas réellement le voile sur les deux moments les plus cruciaux du 16 octobre 2020 : le moment où Samuel Paty meurt et le moment où Anzorov est abattu. Ainsi, une profusion de témoins est progressivement venue confirmer qu’Anzorov est resté un certain temps près du corps décapité, sans élucider le déroulé de l’agression elle-même. A l’inverse, un seul policier s'est exprimé à la télévision, pour légitimer la neutralisation définitive d’Anzorov mais surtout pour faire part de la profonde douleur ressentie par ses collègues et lui-même depuis cette intervention. Les justifications fournies sont-elles probantes en regard des éléments disponibles ? Ce n’est pas mon métier d’en décider. En revanche, j’ai été réellement touché par les états d’âme de ce policier qui semble aussi sincères que spontanés.
J’imagine que mon billet de blog initial a pu blesser certains membres des forces de l’ordre et a fortiori les agents qui sont intervenus le 16 octobre. Je m’en excuse et je tiens à réaffirmer aujourd’hui que ma critique de la Police porte avant tout sur la possibilité que certaines doctrines soient mal formalisées, que certains ordres soient mal donnés, que certains contrôles soient insuffisants, que certaines instrumentalisations politiques soient toxiques ou encore que certaines formations soient trop courtes. A mes yeux, ces lacunes systémiques sont une source de souffrance pour la société dans son ensemble, à commencer par les policiers eux-mêmes, d’autant plus lorsqu’ils sont animés par une volonté de bien faire et une adhésion aux idéaux républicains. Je suis bien placé pour savoir qu’un premier tir peut spontanément désinhiber les suivants et qu’en matière de responsabilité individuelle, c’est donc le premier tireur qui porte la plus lourde charge. Pourtant, à mes yeux, trainer ce premier tireur devant l’IGPN, quand bien même il s’agirait d’un exécuteur ayant agi froidement, ce serait encore aborder le problème par le petit bout de la lorgnette. Ce serait ignorer que les causes qui mènent à ces attentats et qui déterminent la manière dont ils sont traités sont diffuses et collectives, économiques et politiques, culturelles et même civilisationnelles.
Comme en toute autre matière, ce sont donc les donneurs d’ordre, les faiseurs de norme, les porte-paroles autoproclamés et tous ceux qui jouissent des dysfonctions du système depuis leur bureau feutré ou leur plateau-télé qu’il faut sans relâche questionner. Ceux-là se reconnaitront.