Sources : Wikipedia, Le Monde Diplomatique, "Le Livre des pogroms. Antichambre d’un génocide. Ukraine, Russie, Biélorussie, 1917-1922" de Lidia Miliakova et Nicolas Werth, etc.
Contexte… L’Histoire de l’Ukraine, entre Varèges (Vikings orientaux, « Rus’ ») et Kazars-Tatars (Turcs, Khazaks, Ousbèques, etc.), entre Pologne, Lituanie et Russie, entre Saint-Empire Romain Germanique, Byzance, empire Russe et empire Ottoman.
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Sommaire
Symon Petlioura Vasyl'ovytch (en ukrainien : Симон Васильович Петлюра) est un journaliste ukrainien né à Poltava le 22 mai 1879 et mort assassiné à Paris (6e arrdt.) le 25 mai 1926. Il fut l'un des personnages les plus importants du ‘mouvement national’ (national-fasciste), l’Ataman (commandant suprême de l'Armée) et le troisième président de l’éphémère République populaire ukrainienne (1917-1920).
Homme de lettres, il fut l'une des figures du mouvement national ukrainien au début du vingtième siècle. Autonomiste puis indépendantiste, Symon Petlioura participa à la formation d'une armée ukrainienne et lutta contre le (judéo-)bolchevisme 1. Vaincu, il partit à l'étranger et dirigea le gouvernement ukrainien en exil.
Les pogroms qui se déroulèrent sur le territoire ukrainien à cette époque et le motif de son assassinat sont à l'origine d'une vive controverse sur sa personne mâtinée de négationnisme. C’est pourquoi Symon Petlioura occupe une place particulière (euphémisme) dans l'histoire des relations ukraino-juives, et en est aujourd’hui un personnage central.
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Jeunesse, activité politique et intellectuelle
Issu d'une famille cosaque orthodoxe, Symon Petlioura naquit en 1879 en Russie impériale, dans la ville ukrainienne de Poltava, au sud ouest de Kiev. Il est le troisième fils d'une famille de neuf enfants (quatre garçons et cinq filles). Ses parents, Vassyl Petlioura et sa femme Olha (née Martchenko), possédaient une petite entreprise de location de voitures.
À l'âge de 16 ans, en 1895, il étudie au séminaire de la ville, mais en est exclu en 1901 pour avoir rejoint un mouvement clandestin nommé hromada. Apparue en 1860, cette organisation était une association culturelle de l'intelligentsia ukrainienne composée d'étudiants de tendance socialiste se voulant proches du peuple. Dès lors, Symon Petlioura continue de préparer ses examens par ses propres moyens, donnant des cours pour gagner sa vie. À partir de 1900 il est par ailleurs un membre actif et l'un des fondateurs du Parti révolutionnaire ukrainien 2 (Революційна Українська Партія). En 1902, sous menace d'arrestation, il part pour Krasnodar dans le Kouban, où il devient instituteur puis archiviste des cosaques du Kouban. En décembre 1903, Symon Petlioura est arrêté à la fois pour appartenance Parti révolutionnaire ukrainien de Krasnodar, la Vilna Hromada (société libre), et pour la publication à l'extérieur de l'Empire d'articles antitsaristes. Il est libéré en mars 1904.
Il se rend alors à Kiev puis à Lviv dans l'Empire Austro-hongrois, où il vit sous le nom de Sviatoslav Tagon. Il publi et travaille avec Ivan Franko et Volodymyr Hnatiouk comme rédacteur en chef du journal Literaturno-Naukovy Zbirnyk de la Société scientifique Chevtchenko. Il participe aussi en tant que coéditeur au magazine Volya et contribue à de nombreux articles pour la presse ukrainienne de Galicie. À la fin de l'année 1905, lorsque le Parti révolutionnaire ukrainien prend le nom de Parti ouvrier social-démocrate ukrainien (Українська соціал-демократична робітнича партія), Symon Petlioura fait déjà partie de ses dirigeants, au côté de Volodymyr Vynnytchenko notamment. Contrairement à ce dernier, Symon Petlioura représente le courant qui privilégie l’indépendance nationale.
Durant cette période, il retourne brièvement à Kiev puis se rendidans la capitale russe de Saint-Pétersbourg pour publier la revue mensuelle Vil’na Ukrayina (L'Ukraine libre). Après censure de ce magazine, il se retire à Kiev et travailla pour le magazine Rada (Le Conseil). De 1907 à 1909 Symon Petlioura est le rédacteur en chef du magazine littéraire Slovo (Le Mot) et le coéditeur d'Ukrayina (L'Ukraine).
En 1909, les autorités russes censurent ses publications. Symon Petlioura doit quitter Kiev et se rendre à Moscou où il travailla brièvement comme comptable. C'est à cette période, à l'âge de 30 ans, qu'il se marie avec Olha Bilska avec qui il a une fille, Lesia, en 1911. Plus tard, en 1912, il devient coéditeur du journal en langue russe Ukrainskaya zhizn’ (La vie Ukrainienne) jusqu'en mai 1917. Symon Petlioura est par ailleurs, de 1916 au début de l'année 1917, député plénipotentiaire au comité d'aide pour le front occidental russe. Au cours de cette période, une loge maçonnique nommée « Jeune Ukraine » est constituée. Il l'un de ses membres avant de devenir en avril 1919 Grand Maître de la Grande Loge d'Ukraine jusqu'en 1922.
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De la proclamation d'indépendance au renversement de l'Hetmanat (1918-1921)
La lutte d'indépendance ukrainienne est indissociable du rôle qu'a joué à cette période Symon Petlioura. En mai 1917, dans le cadre d'un congrès, un comité général militaire est élu avec à sa tête Symon Petlioura. À la proclamation du Conseil central ukrainien le 28 juin 1917, il devient premier secrétaire aux Affaires militaires. D'abord observatrice, la Rada centrale décide finalement de participer aux pourparlers de Brest-Litovsk le 28 décembre 1917. En désaccord, Symon Petlioura démissionne le 31 décembre du gouvernement et part organiser le bataillon des haïdamaks de l'Ukraine Slobode. Ce bataillon joue un rôle essentiel contre l'Arsenal en janvier 1918, une usine de munition en insurrection bolchevique armée dans la capitale. Il repousse par ailleurs l'Armée rouge en janvier-février 1918 de Kiev. L'indépendance totale de l'Ukraine est proclamée le 22 janvier 1918.
En avril 1918, Symon Petlioura dirige l'administration de la province de Kiev et l'Union des provinces d'Ukraine. Quelque temps après le coup d'État du 29 avril 1918 conduit par le général Pavlo Skoropadsky avec le soutien de l'Empire allemand et de l'Empire austro-hongrois, en juillet 1918, Symon Petlioura est arrêté et incarcéré. Les administrations des provinces étaient hostiles au gouvernement de l'hetman Skoropadsky qui en a pris du contrôle. Symon Petlioura est libéré quatre mois plus tard et rejoint l'opposition à Bila Tserkva. L'Union Nationale Ukrainienne crée le Directoire (seconde période de la République ukrainienne) pour supprimer et remplacer l'Hetmanat (nom du gouvernement de Skoropadsky). Vynnytchenko en devient le président le 13 novembre 1918, et Symon Petlioura l'otaman en chef (ministre de la guerre). L'hetman Skoropadsky est renversé le 14 décembre 1918 et la République populaire ukrainienne restaurée le 19 décembre 1918. Mais, plus tard, désemparé face à l'agression de l'Armée rouge et à la retraite de l'armée ukrainienne de Kiev, Vynnytchenko démissionne au profit de Petlioura le 11 février 1919. L'Entente associe à tort le mouvement national ukrainien, largement représenté par des Partis socialistes, à un groupuscule bolchévique. Symon Petlioura démissionne de son Parti politique, tout comme le fait son premier ministre du moment Serhy Ostapenko, pour pouvoir négocier un accord avec l’Entente.
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De la prise de Kiev par l'Armée rouge à l'alliance avec la Pologne
En février 1919, l'Armée rouge prend Kiev, abandonnée par le gouvernement du Directoire. Dans une atmosphère chaotique, de nombreux soulèvements de paysans ont lieu en Ukraine, menés par l'anarchiste Makhno, ou encore par l'otaman Grygoriev successivement allié de Petlioura, des bolcheviques et des forces blanches du Général Dénikine. C'est dans ce chaos que de nombreux pogroms furent perpétrés en Ukraine, dont certains par des troupes de l'UNR encore sous la responsabilité de Symon Petlioura (près de la moitié selon plusieurs sources).
Petlioura la joint à l'Armée ukrainienne de Galicie (UHA) pour combattre l'Armée rouge et les anarchistes de Nestor Makhno, alors alliésde l'Armée rouge. Le 5 décembre 1919, l'Armée ukrainienne se retrouve encerclée en Volhynie par tous les protagonistes, y compris par les troupes polonaises. Après que l'UHA, hostile à toute entente avec la Pologne, eut établi une alliance séparée avec l'Armée blanche, Petlioura ouvre de son côté avec la Pologne.
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Avec des officiers polonais, pendant l'Opération Kiev (1920)
Il quitte l'Ukraine avec certains membres de son gouvernement pour Varsovie dans l'espoir de trouver un soutien militaire. En attendant, Symon Petlioura ordonna d'entamer la Première Campagne d'hiver. Il s'agissait d'offensives lancées par l'Armée populaire ukrainienne derrière les lignes des Armées blanches et rouges du 6 décembre 1919 au 6 mai 1920. Mais l'Armée rouge finit par occuper une grande partie de l'Ukraine et Symon Petlioura conclut une alliance avec la Pologne.
C'est à cette période, par le traité de Varsovie signé le 22 avril 1920, que Józef Piłsudski et Symon Petlioura concluent l'accord reconnaissant l'indépendance de l'Ukraine et arrêtant les frontières des États ukrainien et polonais. Ce traité céde à la Pologne les régions ukrainiennes situées à l'Ouest de la rivière Zbroutch (Galicie et Volhynie). Par ailleurs, l'accord prévoit de préserver les possessions des propriétaires terriens polonais en Ukraine, tandis que celles de leurs homologues russes devaient être distribuées parmi les paysans. Le traité est ensuite complété par un accord militaire signé le 24 avril, plaçant les troupes de Petlioura sous commandement de l'armée Polonaise en vue de la prochaine offensive de Kiev contre les bolchéviques.
Cet accord rencontre l'hostilité de nombreux Ukrainiens condamnant la cession de l'Ukraine occidentale à la Pologne, dont Mykhaïlo Hrouchevsky et Yevhen Petrouchevytch qui dénoncent notamment ce traité. Les quelque 5 000 survivants de l'Armée ukrainienne de Galicie préférèrent alors joindre l'Armée rouge, à l'instar des soviétiques ukrainiens. Aux côtés du maréchal Piłsudski, Symon Petlioura, chef des armées, participe à l'Opération Kiev dont le but était (pour Piłsudski) de créer une « Grande Pologne » (Fédération Międzymorze), comprenant l'Ukraine, la Lituanie et le Bélarus. Une offensive conjointe est lancée le 25 avril 1920. Les forces polono-ukrainiennes prennent Kiev le 7 mai 1920, mais sont contraintes de s'en retirer en juin. Face à la contre-offensive des troupes soviétiques, la Pologne conclut un armistice avec cette dernière le 12 octobre 1920.
Par la suite, Petlioura continue la guerre contre les bolcheviks, sans aide polonaise. Les troupes ukrainiennes sont contraintes de quitter le pays le 21 novembre 1920 et sont internées dans des camps en Pologne. Les dirigeants de la République populaire ukrainienne partent en exil. L'Ukraine est partagée entre la Pologne et l’URSS. Seules perdurèrent jusqu'en 1924 diverses révoltes, notamment la Seconde Campagne d'hiver (novembre 1921), essentiellement constituée de partisans et de détachements volontaires (soldats qui étaient internés en Pologne) et dont l'objectif des raids derrière les lignes bolcheviques était d'unifier les opérations de partisans et de balayer le régime soviétique du territoire ukrainien.
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Les progroms de 1918-1920
◆ Simon Petlioura et les pogroms antijuifs. La question de la responsabilité - Par Daniel Bensoussan-Bursztein dans Revue d’Histoire de la Shoah 2018/2 (N° 209), pages 689 à 697
« Dans l’ombre de la Shoah [et de la croisade contre ‘les Rouges’ , ndlr], les pogroms des guerres civiles russes de 1918-1921 sont restés un événement peu étudié, eu égard à l’ampleur exceptionnelle des massacres, les plus grands massacres de Juifs avant la Shoah : au moins 100 000 tués, 200 000 blessés et invalides, des dizaines de milliers de femmes violées, 300 000 orphelins dans une communauté de quelque cinq millions de personnes. » (Nicolas Werth, historien)
« Les troupes de Petlioura, complètement incontrôlables, étaient responsables à 40 % de ces actions [les pogroms], l’armée russe blanche à 17 %, l’Armée rouge à 9 %, l’armée dite de Grigoriev à 4 %, l’armée polonaise à 3 %, les francs-tireurs à 25 % (3 % de non identifiés). » (Daniel Bauvois, historien)
Notons à ce propos que ces massacres d’’Untermenshen’ ont « été perpétrées en présence les armées anglo-françaises de l’Alliance, elles-aussi en croisade contre les Rouges, sous hai-ut commandement de Lord Winston Churchill 3 et Georges Clémenceau… « Mort aux "judéo-bolcheviques" ! » 1, ça s’entend de loin.
◆ [Le Diplo] En Ukraine, des pogroms dont l’Occident se lavait les mains
[…] Ces affrontements débridèrent un antisémitisme séculaire. Au milieu des tirs croisés, les pogroms firent en Ukraine cent mille morts et autant de blessés. Ils saccagèrent les demeures d’un demi-million de personnes, transformées en mendiants et en vagabonds. La majorité d’entre eux ressemblèrent à celui qui, les 15 et 16 février 1919, ravagea la bourgade de Proskourov (aujourd’hui Khmelnytsky). Selon le responsable du département d’aide aux victimes des pogroms de la Croix-Rouge russe en Ukraine, les soldats d’une unité de l’armée nationaliste de Petlioura « forçaient les portes des maisons, sortaient leur sabre et commençaient à tuer tous les Juifs qui leur tombaient sous la main, sans distinction d’âge ou de sexe. Ils tuaient les vieillards, les hommes, les femmes et les enfants. (…) Ceux qui étaient dans les caves étaient tués à la grenade ». La veille, rapporte le journaliste Albert Londres, leur chef avait menacé les habitants par voie d’affichage : « J’engage la population à cesser ses manifestations anarchiques. J’attire là-dessus l’attention des youpins ».
[…] Bientôt, les pogroms gagnent Kiev. Après la prise de pouvoir par les bolcheviks, en janvier 1918, la capitale ukrainienne change encore treize fois de mains. Le 29 août 1919, les troupes de Petlioura, à peine entrées dans la ville, massacrent plusieurs centaines de Juifs dont les cadavres s’entassent sur le pavé des rues et dans les escaliers des maisons. L’Armée des volontaires prend le relais le lendemain. Dans les trains qui filent vers Kiev, les Cent-Noirs, des ultramonarchistes qui flanquent les troupes de Denikine, forcent les voyageurs à réciter un Pater noster ou un Credo. Les Juifs, qui ne connaissent pas ces prières, sont ainsi débusqués, torturés et jetés sur la voie. Des centaines de corps inertes jonchent le côté des rails. […]
(Lidia Miliakova et Nicolas Werth, ‘Le Livre des pogroms. Antichambre d’un génocide. Ukraine, Russie, Biélorussie, 1917-1922.
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L'exil (1920-1926)
Simon Petlioura et Józef Piłsudski accompagnés de leurs officiers à Ivano-Frankivsk en septembre 1920
Symon Petlioura quitta définitivement l'Ukraine en octobre 1920, la République socialiste soviétique ukrainienne ayant été proclamée. À ce moment, Symon Petlioura et ses forces furent internés par les Polonais à Kalisz. Plus tard, il dirigea le gouvernement ukrainien en exil à Tarnów, puis à Varsovie.
Au cours de cet exil, en août 1921, Petlioura prit contact avec le leader de la droite sioniste Vladimir Jabotinsky et lui proposa une gendarmerie pour protéger les Juifs lors d'une prochaine reconquête de l'Ukraine. Un accord suivit en septembre 1921, mais le projet ne se réalisa pas. À la suite de cette affaire, Jabotinsky dut démissionner de l'Organisation sioniste mondiale. Les représentants de Petlioura conclurent également un accord avec Boris Savinkov durant cette même période, dans le cadre plus large des alliances avec la Pologne.
La Russie soviétique n'avait de cesse de réclamer Petlioura aux autorités polonaises. Il était néanmoins protégé par plusieurs amis polonais et collègues comme Henryk Józewski, ce qui n'empêcha pas les services secrets soviétiques de tenter de l'assassiner (automne 1923). L'établissement des relations diplomatiques entre la Pologne et l'Union soviétique contraignit Symon Petlioura à quitter ce pays en 1923. Il échappa à son internement grâce à un nom d'emprunt. Il rejoignit alors Budapest, Vienne, Zurich, Genève et s'installa finalement à Paris en 1924.
Dans la capitale française, Symon Petlioura continua de lutter pour l'indépendance de l'Ukraine, en publiant plusieurs journaux et magazines, notamment l’hebdomadaire Tryzub (Trident) sous divers pseudonymes (V. Marchenko, V. Salevsky, I. Rokytsky, S. Prosvitianyn, O. Riast). Vivant dans des conditions modestes, rue Thénard, il continua de diriger le gouvernement ukrainien en exil. Jusqu'à son assassinat, il exerça une grande influence auprès des milieux socialistes modérés des émigrés politiques ukrainiens.
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L'assassinat de Petlioura
Symon Petlioura fut assassiné le 25 mai 1926 rue Racine à Paris par Samuel Schwartzbard, un anarchiste juif natif de Bessarabie. Ce dernier tira sept balles, dont cinq atteignirent Symon Petlioura. Il justifia son acte en affirmant vouloir venger ses coreligionnaires d'Ukraine, assassinés lors de pogroms, lancés selon lui, par Simon Petlioura en 1919.
La médiatisation du procès fut à l'origine de la fondation de la Ligue contre les pogroms, ancêtre direct de la LICRA. Les débats furent présidés par Me Flory. Samuel Schwartzbard fut défendu par Me Henry Torrès, un avocat ancien membre du Parti communiste. L'avocat général, M. Reynaud, soutint l'accusation. La partie civile fut représentée par Me César Campinchi, futur député et ministre radical-socialiste. Le général Georges Petlioura, frère de la victime, se porta partie civile et fut représenté par Me Albert Willm, ancien député socialiste, devenu très conservateur.
Schwartzbard obtint le soutien de L'Humanité, tandis que L'Action française et L'Écho de Paris dénoncèrent Schwartzbard comme un agent bolchévique, accusation reprise par l'ancien directeur de la CIA, Allen Dulles, selon lequel Samuel Schwartzbard était un agent au service des Soviétiques. Après neuf jours de procès, le tribunal et ses jurés, à 8 voix contre 4 selon les bruits de couloir, acquittèrent Samuel Schwartzbard le 26 octobre 1927 au motif qu'il avait vengé les pogroms, tandis qu'aucun des chercheurs juifs et ukrainiens n'a relevé le moindre antisémitisme chez Symon Petlioura. Il était au contraire favorable à l'émancipation des Juifs, souligne l'historien Walter Laqueur. Certains historiens, comme Léon Poliakov, considèrent que la médiatisation du procès est essentiellement due à la propagande du Komintern, qui avait tout intérêt à ce que Symon Petlioura soit jugé coupable pour mieux légitimer l'invasion de l'Ukraine.
Les véritables motivations de Samuel Schwartzbard mises de côté, l'assassinat fut commandité par l'OGPU. Dans une lettre datée du 11 août 1930, Lavrenti Beria soulignera lui-même l'implication des autorités soviétiques. Certains historiens notent que cet assassinat pourrait être lié au retour de Pilsudski au pouvoir en Pologne, les autorités soviétiques voulant se prémunir contre toute nouvelle alliance. En 1928, deux de ses sœurs, religieuses dans un couvent orthodoxe, furent assassinées par la Guépéou. Symon Petlioura est enterré au cimetière du Montparnasse à Paris ; en Ukraine, il est aujourd'hui considéré comme un héros national.
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Retour sur Petlioura et les pogroms
L'accusation au cours du procès portée par l'assassin à l'encontre de Symon Petlioura d'une part, et d'autre part les pogroms perpétrés par des troupes ukrainiennes, sont à l'origine d'une vive controverse sur le rôle de l'otaman dans ces crimes. L'autre reproche qui lui est fait est son influence qui finit par reposer, en grande partie, sur des chefs de guerre en fait incontrôlables48. Petlioura tenta vainement de les maîtriser mais il ne réussit pas à le faire, empêché par ces armées irrégulières nombreuses et l'isolement de son appareil administratif. Cette interprétation a été contestée, dans sa déposition au procès de Samuel Schwartzbard en 1927, par Me Goldstein, opposant déclaré au régime soviétique et ancien Président de la Commission d'enquête sur les pogromes d'Ukraine qui a fonctionné à Kiev au premier semestre 1919.
Selon différentes estimations, de 60 000 à 120 000 Juifs furent victimes des pogroms en Ukraine, sans compter les blessés. 78 % des pogroms de la révolution russe se sont déroulés en Ukraine. 40 % de ces pogroms sont attribués à l'Armée populaire ukrainienne. L'ampleur des pogroms marqua les consciences. Aussi un ministre juif de Petlioura, Arnold Margolin, démissionna après le pogrom de Proskourov en mars 1919, mais il n'en continua pas moins de défendre l'otaman contre l'accusation d'antisémitisme dont il devint l'objet. Il déclara que le gouvernement ukrainien ne pouvait être tenu responsable de ce pogrom en estimant qu'il fit tout son possible pour l'empêcher.
Le président ukrainien Viktor Iouchtchenko et sa femme déposant une gerbe de fleurs sur la tombe de Symon Petlioura au Cimetière du Montparnasse à Paris, en mai 2005
Parmi les mesures prises par Symon Petlioura pour faire face aux pogroms, il y eut la peine de mort. Plusieurs cosaques furent fusillés pour cela à Tolny, Vakhorivka et en d'autres lieux. Petlioura entreprit la réforme de son armée durant les mois de mai et juin 1919. Des unités de volontaires incertaines furent également dissoutes. Pour mettre fin aux pogroms et à leur incitation, Petlioura créa une inspection militaire avec à sa tête le colonel Volodymyr Kedrovsky. Il encouragea par ailleurs la formation de milices juives d'autodéfense. Mais le Bund, organisation avec laquelle les relations étaient fluctuantes, s'y opposa, notamment pour des raisons idéologiques.
Devant l'émotion suscitée en Europe de l'Ouest par ces massacres, Petlioura affirme que « ce sont les bolcheviks qui ont fusillé et continuent à fusiller la population juive » et « Je ne sais rien de pogroms, de pillages et meurtres de masse de la population juive pacifique, et je n'admets mème pas que cela ait pu avoir lieu. »
Les efforts pour combattre la violence visant la population juive furent salués lors de l'assemblée des comités de province de Podolie et des comités urbains du Poaleï-Zion qui se tint à Kamianets-Podilsky le 26 août 1919. Ceux-ci adoptèrent à l'unanimité une résolution en faveur de la participation des Juifs dans le gouvernement ukrainien reconnaissant que ce dernier et le commandant suprême s'opposaient fermement aux pogroms. Aussi, à l'été 1919 il y eut une amélioration et un rapprochement ukraino-juif. De nombreux représentants juifs eurent des entretiens avec Petlioura et exprimèrent leur solidarité et leur soutien à son égard comme la délégation de Meier Kleiderman, les rabbins avec Gutman, les sionistes avec Altman, les artisans avec Jakob Kreis ou encore le Parti socialiste unifié avec Elias Borhad.
Ironiquement, c'est au moment où les relations ukraino-juives s'améliorèrent que Petlioura fut décrit à l'étranger comme un antisémite. Face à la polémique, Petlioura proposa de lui-même aux représentants juifs qu'une commission d'enquête indépendante sur les pogroms soit faite. Dans une lettre datée du 20 octobre 1919, le célèbre écrivain Israël Zangwill, fondateur de l'Organisation juive territorialiste, accordait sa confiance à Petlioura, mais les autres représentants refusèrent d'y participer en évoquant la situation chaotique de l'Ukraine. Petlioura ne souscrivait pas aux accusations de l'époque à l'encontre des Juifs, selon lesquelles ils furent globalement pro-communistes.
Sur le plan personnel, Petlioura fut plutôt philosémite ; en témoigne son plaidoyer figurant dans la préface à la pièce de théâtre Les Juifs de Tchiritov publié en 1907 à Kiev. Les travaux de chercheurs juifs et ukrainiens portant sur cette période n'ont relevé aucune participation de sa part aux pogroms ni de tendances antisémites dans les propos et les publications de ce dernier76. Simon Petlioura comptait plusieurs Juifs dans son gouvernement, tels Solomon Goldelman (Соломон Гольдельман), ministre des Minorités, ou Abraham Revutsky (Аврам Ревуцький), ministre des Affaires juives (tous deux membres du Parti socialiste juif Poaleï-Zion).
Pour autant, tout en sachant que Petlioura n'eut qu'une emprise partielle sur ses propres troupes, il lui fut reproché sa réaction tardive pour faire face aux pogroms. Durant le premier semestre 1919, il ne tint pas compte des demandes de sanction faites par les responsables civils du Directoire et ne réagit qu'en août 1919. Henry Abramson souligne le fait que Petlioura ne prit pas de mesures suffisantes à ce sujet entre janvier et avril 1919. Petlioura fut à ce moment hésitant, du fait de nombreuses désertions dans l'armée, craignant que punir des responsables militaires ne conduisît à des mutineries. Par ailleurs, Peter Kerez affirme que Petlioura fit trop peu pour empêcher les pogroms anti-juifs et que ses propos contre les "excès" de violence antisémite furent destinés au public étranger.
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(1) [Wikipedia] Le terme de judéo-bolchevisme, existant également sous des variantes comme judéo-marxisme ou judéo-communisme, est une expression politique et polémique employée dans des discours alliant antisémitisme et anticommunisme. Le concept désigné par ce terme et ses variantes, très répandu dans l'entre-deux-guerres, vise à affirmer que les Juifs sont, derrière ou parmi les bolcheviks, les maîtres d'œuvre de la prise de pouvoir par les bolcheviks en octobre 1917 et les véritables dirigeants de l'URSS ; plus largement, il les voit comme responsables du marxisme, ainsi que du mouvement communiste en général.
Le mythe du « judéo-bolchevisme » se diffuse après octobre 1917, notamment sous l'influence des Russes blancs : il est récupéré ensuite par le nazisme et par d'autres idéologies nationalistes d'extrême droite dans différents pays. Le concept apparaît alors comme un renouvellement de la théorie du complot juif qui se juxtapose, sans le remplacer, au mythe du Juif comme responsable du capitalisme
(2) Le Parti révolutionnaire ukrainien (en ukrainien : Революційна українська партія, Revolûcìjna ukraïns’ka partìâ ou RUP) fut un parti politique de tendance national-révolutionnaire et marxiste fondé le 11 février 1900 par des étudiants à Kharkiv et dont le principal objectif était la révolution et l'indépendance de l'Ukraine.
Très rapidement le Parti présenta des dissensions internes en raison des divergences sur l'importance à donner aux objectifs nationaux d'une part et socialistes d'autre part. Si le premier programme du Parti révolutionnaire ukrainien prévoyait l'indépendance de l'Ukraine, l'idée d'une autonomie au sein d'une fédération avec la Russie pris le dessus.
Le Parti se scinda finalement en trois. Sous la conduite de Mykola Mikhnovsky se créa une petite aile nationaliste qui devint le Parti ukrainien du Peuple. Souscrivant à un nationalisme absolu, ce Parti demeura sans influence. Puis, en 1904, c'est l'aile gauche du RUP qui fit scission et devint l'Union social-démocrate ukrainienne avant de rejoindre la social-démocratie russe.
Le reste du RUP pris, en 1905, le nom de Parti ouvrier social-démocrate ukrainien. Ce dernier continua de concilier les objectifs nationaux et socialistes. On y retrouve notamment Volodymyr Vynnytchenko et Symon Petlioura, formant chacun un courant du Parti, le premier étant plus fortement socio-révolutionnaire et le second plus nationale-démocratique.
(3) "Zionism versus Bolshevism" (1920), par Winston Churchill | Cet article publié le 8 février 1920 dans "The Illustrated Sunday Herald", condensé du complotisme antisémite des classes dirigeantes européennes (le "complot judéo-bolchevique"), installe l'idéologie colonialiste de Theodor Herzl révisée par Vladimir Jabotinsky dans son contexte géopolitique. De ce point de vue, il est éclairant dans ses présupposés racialistes et toujours d'actualité.
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