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Billet de blog 5 janvier 2012

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Une TVA antisociale

Débattue depuis des années, évacuée en 2007 in extremis dans l'entre-deux tours des législatives (Laurent Fabius avait forcé Jean-Louis Borloo à reconnaître que le gouvernement envisageait d'augmenter cet impôt), voilà que la TVA «sociale» semble s'inviter comme ultime chantier du quinquennat.

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Débattue depuis des années, évacuée en 2007 in extremis dans l'entre-deux tours des législatives (Laurent Fabius avait forcé Jean-Louis Borloo à reconnaître que le gouvernement envisageait d'augmenter cet impôt), voilà que la TVA «sociale» semble s'inviter comme ultime chantier du quinquennat.

L'emploi, la croissance, la compétitivité des entreprises sont avancés comme autant de justifications à la mise en place d'une mesure qui reste controversée, même au sein de l'actuelle majorité présidentielle.

Le locataire de l'Élysée, présentant ses vœux aux Français, a déclaré le 31 décembre que «maintenant, il nous faut travailler en priorité pour la croissance, pour la compétitivité, pour la réindustrialisation.» Première mesure annoncée: la TVA sociale. Et le chef de l'État d'expliciter sa pensée: «Le financement de notre protection sociale ne peut plus reposer principalement sur le travail, si facilement délocalisable. Il faut alléger la pression sur le travail et faire contribuer financièrement les importations, qui font concurrence à nos produits avec de la main d'œuvre à bon marché.»

Voyons tout d'abord en quoi consiste la mesure proposée et quels en sont, plus précisément, les avantages attendus. La TVA «sociale» consiste à transférer sur les consommateurs des cotisations payées par les entreprises pour financer la protection sociale. À titre d'exemple, pourrait être envisagé le transfert sur la TVA de 5,4% de charges patronales actuellement dédiées au financement de la branche famille de la protection sociale (soit environ 30 milliards d'euros). Dans cette hypothèse, la TVA devrait passer de 19,6% à 23%.

Les avantages attendus consisteraient, d'une part, en une diminution du coût du travail et, d'autre part, en une hausse du prix des produits importés. Le prix des produits français pourrait, lui, rester inchangé sous l'effet de la hausse de la dite TVA qui serait compensée par la baisse des coûts de production. À l'export, le prix des produits français baisserait, les exportations ne subissant pas la TVA française.

Quelles sont les principales critiques qui sont adressées à ce transfert du financement de la protection sociale des entreprises vers les consommateurs? La critique la plus habituelle vient de l'effet négatif que toute hausse de la TVA est susceptible de produire sur la consommation et, partant, sur la croissance économique. Cette critique se double du constat que ce sont les ménages dont les revenus sont les plus faibles qui, proportionnellement, s'acquittent du montant relatif de TVA le plus fort en rapport à leurs revenus. Singulière en période de crise, la hausse de la TVA pèse donc sur la consommation et la croissance et a, de plus, un impact plus marqué sur les ménages les moins protégés.

À ce stade, nous pourrions considérer l'analyse comme close et déclarer déjà que cette mesure est non seulement antiéconomique mais aussi antisociale. Cependant, les partisans de la TVA dite «sociale» ne désarment pas et proposent deux arguments. La TVA à taux réduit pourrait rester inchangée afin de soulager les effets d'une hausse de la TVA sur les ménages défavorisés. Mais on peut douter de la sincérité de cet argument, la TVA à taux réduit ayant précisément augmenté de 5,5% à 7% très récemment...

Le second argument avancé pour défendre la TVA «sociale» est que la hausse de la TVA pourrait être limitée en se combinant à d'autres recettes envisageables pour financer la protection sociale: hausse de la CSG, fiscalité écologique, hausse de la TIPP. On avait cru comprendre que l'actuel président ne serait pas celui de la hausse des impôts...

Bref, à ce stade, les arguments avancés par ceux qui défendent la TVA «sociale» et ceux qui la critiquent semblent se neutraliser.

Il nous semble ainsi nécessaire d'aller plus loin pour attester du caractère antisocial de cette nouvelle taxe.

Relevons tout d'abord l'éloge implicite du chef de l'État quant à la contribution du travail. Il nous rappelle que c'est le travail qui finance la protection sociale. Au delà du financement de la protection sociale, c'est bien le travail qui est la source de la création de toute richesse réelle. Comment alors comprendre que le travail soit «si facilement délocalisable» (sic) ? C'est que le chef de l'État ne parvient à le concevoir autrement que comme une «force de travail» générant un coût. Ce coût est en France supérieur à ce qu'il est dans les pays de délocalisation. Surtout, dès lors qu'est envisagée simultanément une réindustrialisation, ce coût est présenté comme prohibitif. Ici, intervient le sacro-saint argument de la nécessaire compétitivité. Le coût salarial serait, en France, trop élevé et empêcherait toute réindustrialisation. Dans un ouvrage à paraître le 24 janvier prochain, «L'urgence industrielle!», nous montrons que cette analyse est complètement erronée et perverse. La compétitivité des entreprises françaises ne saurait reposer principalement sur leur prix mais sur l'innovation, la qualité des produits et des services offerts. Ce qui implique la reconnaissance des compétences et l'implication de leurs salariés qui sont à l'origine des richesses qu'elles produisent.

Un véritable pacte productif pour la France, dont nous proposons sur Mediapart les principaux principes (http://blogs.mediapart.fr/edition/un-pacte-productif-pour-la-france), ne peut nullement se fonder sur la contraction des coûts du travail. Qu'il s'agisse des salaires directs dont on rappellera que la part dans la valeur ajoutée a fortement baissé dans les années 1980 alors que la part des dividendes dans le Pib a plus que doublé entre 1982 et 2007, passant de 3,2% à 8,5%. Ou des cotisations sociales dites patronales dont on observera que la part dans le financement de la protection sociale n'a cessé de baisser depuis un quart de siècle.

Au final, le président français, une fois encore inspiré par le «modèle allemand» et fortement stimulé par le Medef, souhaite instaurer une TVA dite «sociale» afin de baisser le coût du travail dont il sait fort bien qu'il ne pourra jamais concurrencer ce qu'il est en Chine, au Vietnam ou dans n'importe quel autre pays de délocalisation. La baisse du coût du travail ne vise en réalité pas à améliorer la compétitivité des entreprises françaises mais à accroître leur rentabilité afin que ces entreprises puissent continuer de verser à leurs actionnaires les dividendes qu'ils attendent.

L'Allemagne, si souvent citée en exemple, a bien instauré une TVA dite sociale en 2007. La TVA dans ce pays a été augmentée cette année-là de 3 points, 2 points allant au budget de l'État, 1 point allant au financement de la protection sociale. Si le point allant au financement de la protection sociale a bien servi à diminuer les cotisations sociales des entreprises allemandes, cette diminution, comme de manière plus vaste, la forte contrainte exercée sur les salaires en Allemagne, avaient comme objectif non la compétitivité mais le déplacement du curseur du partage de la valeur ajoutée du côté des profits au détriment des ménages, comme salariés et comme consommateurs.

C'est bien de cela dont rêvent le chef de l'État, le gouvernement et le Medef. Cette TVA est bien une TVA antisociale et c'est la marque de fabrique de ceux qui nous gouvernent que de vouloir non seulement la créer mais encore de la qualifier de façon perverse de «sociale».

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